En guise de préambule : voilà, ma synthèse des Bordeaux 2014 est terminée ! Ne reste plus qu’à corriger les épreuves avant de les envoyer à l’imprimerie. Le tout paraîtra dans le 52ème numéro de Vinifera. Pour vous abonner, c’est ici. Mais je ne vous oublie pas, chers lecteurs de Mille Plateaux : comme chaque année, j’ai rédigé mes Chroniques impertinentes. Voici la première.
Le temps oscille entre ce que les Anglo-Saxons – qui sont des experts en la matière – appelle a fine drizzle et l’éclaircie balbutiante. Dans l’avion, les visages sont crispés. Les révélations sur le crash de l’A320 de Germanwings et le comportement suicidaire de son copilote viennent de paraître dans la presse.
Ma journée débute par un galop d’essai dans le Médoc. Au programme : Ducru-Beaucaillou, Léoville Las Cases, Pontet-Canet et Pichon-Baron Comtesse de Lalande. Les deux Saint-Julien sont magnifiques et jettent un peu de lumière dans cette journée un brin morose.
C’est Alfred Tesseron qui m’accueille à Pontet-Canet. Un chantier éventre la seconde cour intérieure du château. Les grands travaux ont commencé. Au programme, la création d’un nouveau bâtiment et d’écuries pour accueillir les douze chevaux de trait du domaine. Le temps d’apprécier le merveilleux soyeux de texture de Pontet-Canet et de saluer Jean-Michel Comme.
Ce dernier, le regard perdu dans le lointain, s’adresse à un groupe d’acheteurs qui, comme le dirait ce cher Léo Ferré, ne semblent entraver que couic : préoccupés par la seule mise en marché, ils ne semblent guère s’intéresser à la menace des drosophiles suzukii lesquels, clame notre prophète, sont la conséquence de notre manque de respect de la nature.
Déjà le Médoc s’éloigne de moi et, un peu plus tard, je jette l’ancre dans le Fronsadais…
J’ai rendez-vous au Château Grand-Village avec une famille vraiment adorable, les Guinaudeau de Château Lafleur et Grand-Village, une propriété superbe située près de Mouillac.
Des gens uniques dans le paysage bordelais, humbles, perfectionnistes, proches du terroir, dévolus à lui, comme le peintre à la lumière.
Il y a Sylvie et Jacques Guinaudeau, Baptiste, leur fils, Julie, leur belle-fille. Au départ de l’histoire, parmi la parentèle, il y a le fondateur, Henri Greloud, arrière-arrière-grand-père de Jacques. Déjà propriétaire de Le Gay, M. Greloud a fait l’acquisition en 1872 des 4.5 ha situés sur le lieu-dit Lafleur. En 1888, Charles Greloud prend la succession de son père Henri. Quelques années plus tard, c’est un cousin de Charles, André Robin, qui rachète la propriété. Les filles de ce dernier, Marie et Thérèse Robin, héritent de la propriété en 1946 et vont la gérer pendant 38 ans.
Les fameuses sœurs Robin qui déclaraient il y a un peu plus trente ans à l’Amateur de Bordeaux :
«Personne ne parlerait peut-être de Château Lafleur. C’est un beau vin, peut-être parce qu’il n’a qu’un chemin qui le sépare de Petrus. Ma sœur et moi nous faisons tout. Mais moi, je ne bois pas, je compte. On décide ensemble.»
En 1984, année du décès de Thérèse, Marie donne le vignoble en fermage à son cousin, Jacques Guinaudeau déjà en charge, avec sa femme Sylvie, du vignoble familial de Grand-Village. Ils vont s’attacher à restructurer et optimiser le vignoble, replantant près de 8’000 pieds et mettant en place un système de drainage. En 1987 naissent Les Pensées de Lafleur, le deuxième vin.
À la disparition de Marie, en 2001, les Guinaudeau, en toute logique, mais à la surprise de certains qui rêvaient d’acquérir l’un des joyaux de Bordeaux ou d’étendre leur empire, réussissent à racheter Lafleur et à pérenniser l’œuvre familiale. Pour marquer cette continuité, le nom qui apparaît dès 2002 sur l’étiquette est celui du fondateur, Henri Greloud.
L’étape suivante consistera alors pour la famille Guinaudeau à mieux comprendre le terroir, un quadrilatère de 4.55 ha, qui malgré sa petite taille comporte d’importantes variations géologiques et recense 4 différents types de terroirs pour 24’000 pieds de vigne. Le terroir est ici très différent de celui de « boutonnière » de Petrus avec ses argiles gonflantes. On y trouve des graves, des parties argilo-graveleuses, des parties argilo-sableuses et aussi – après tout, on est à Pomerol ! – des argiles.
C’est cette histoire que nous évoquons ce soir, à table, en dégustant tels des jalons, quelques vins d’autant plus émouvants, le Grand-Village 1990, Les Pensées de Lafleur 2008, les Château Lafleur 2006, 1998 et 1986 – deuxième millésime fait par Jacques et Sylvie Guinaudeau.
Comment ne pas évoquer, revenant sur ces trente années de passion, la belle formule de Saint-Exupéry ? « Celui-là seul comprendra ce qu’est un domaine qui lui aura sacrifié une part de soi, qui aura lutté pour le sauver et peiné pour l’embellir. Alors lui viendra l’amour du domaine. Un domaine n’est pas la somme des intérêts, là est l’erreur. Il est la somme des dons »
Chaque gorgée nous ramène à l’essentiel. C’est l’instant rare. Celui de l’occasion favorable et du dieu Kairos. Silence.
Comment
On attend ton rapport avec impatience, tant on peut lire ici et là de navrantes descriptions sans aucun intérêt. N’oublie pas de dire ce que tu penses de Figeac 🙂