En terme de dégustation, certains arômes du cabernet sont intimement liés à la viticulture et au climat. Le plus largement connu, dit de « poivron », est dû aux pyrazines qui prédominent dans les raisins pas encore mûrs. Les composés de pyrazine sont présents dans toutes les grappes de cabernet et sont dégradés au fur et à mesure que le raisin mûrit. On peut détecter ce composé en bouche à partir de 2 nanogrammes par litre de vin. Mais toute note de poivron ressentie ne doit pas être systématiquement condamnée : il existe en effet des nuances entre le poivron vert herbacé (dilution et raisin pas mûr) et le poivron rouge grillé, tirant vers le paprika (haute maturité phénolique atteinte dans un contexte climatique tempéré).
Mais pour vraiment connaître, appréhender et apprécier le cabernet, quoi de mieux qu’une dégustation ? Voilà donc le détail des vins que nous avons donc dernièrement goûtés au CAVE, détaillé dans l’ordre de service choisi pour la soirée.
Saumur-Champigny « Franc de Pied » 2008 Dom. des Roches Neuves : peu intense au premier nez mais assez frais et floral (effet millésime et vendange entière), poudré ; tanin sérieux pour ce vin qui s’allonge sur du végétal noble, il est plus svelte que musclé, presque pinotant à l’aération. La vigne, très jeune, ne permet pas une grande profondeur de bouche, mais ce style raffiné et légèrement austère est des plus intéressant.
Saumur Puy Notre-Dame « Clos de la Cerisaie » 2008 Mélaric : premier nez légèrement lactique évoluant sur du poivron grillé et des nuances épicées. L’attaque est plus ronde, plus en chair que le précédent ; le tanin est ferme, assez « calcaire » dans sa rigidité et sapidité. Le vin est long, corsé, retenu. Seul petit reproche : un léger manque d’éclat de fruit en fin de bouche.
Chinon « Diablesse » 2008 Château de Coulaine : premier nez légèrement « nature » avec des notions de cacahuète, qui évoluent ensuite sur des touches de cerise et d’encens. Le tanin, charnu, permet un corps suave et donne une impression de fondu très agréable ; le vin est coulant et persistant, il dégage une grande harmonie. Un délice à boire tout de suite.
Bourgueil « Clos Nouveau » 2007 Pierre Gauthier : nez à la fois étrange et envoûtant où l’on trouve des nuances de fleurs fanées, de poivre et de poivron grillé : remarquable profondeur et complexité aromatique. Très belle qualité tactile avec un velouté des plus hédonistes ; le vin est dense, corsé mais ample, l’élevage sublime le tanin et apporte de la sophistication. Coup de cœur !
Saumur-Champigny 2007 Clos Rougeard : la parenté aromatique et stylistique avec le précédent est évidente, avec ici également des nuances animales plutôt jolies (rare) et une touche d’élevage bordelaise. Vin d’équilibre septentrional, très bien construit, donnant un sentiment de concentration mais aussi de finesse. Beau potentiel pour ce cru produit par les Moustachus Mythiques.
Chinon « Croix Boissée » 2009 Bernard Baudry : après les deux très jolis nez précédents, on marque ici un temps d’arrêt avec plus de retenue et de chaleur (notes d’orange sanguine, légère acescence) due à l’année. On notera la noirceur impressionnante de la robe. Vin surpuissant, à l’élevage quelque peu perceptible et doté d’un tanin viril caractéristique du style maison. Un cru sur la réserve, à attendre sagement car même un passage en carafe prolongé ne le détend pas pour le moment.
Saint-Emilion Grand Cru 2006 Château Petit Gravet Aîné (80% de CF) : une très belle matière, mais le fût domine trop les parfums et la saveur du vin. Dommage car les tanins sont de qualité et semblent extraits avec doigté. Méchante barrique !
(Italie – Haut-Adige) Cabernet franc « Amistar » 2007 Peter Sölva & Söhne : un vin technique qui ne traduit pas la noblesse du cépage ; le côté cassis allié à une partie de la vendange passerillée fatigue, tandis que la bouche repose sur des tanins crissants.
(Suisse – Vaud) Cabernet franc « Etincelle » 2010 Mermetus (Henri & Vincent Chollet) : très joli nez floral et délicat, évoluant sur des épices qui rappellent le souk oriental. On apprécie l’extraction de tanins très fins, légers et donnant au vin un caractère primesautier malgré sa haute maturité phénolique. L’ensemble est ample et plein de jus. Un vin de plaisir, joyeux, bien dans le style Chollet !
(Suisse – Genève) Cabernet franc « barrique » 2005 Nicolas Bonnet : une excellente bouteille pour découvrir le cépage : notes de tabac et poivron mûr rehaussées d’un élevage chic ; les tanins sont bien extraits mais fermes, mûrs et frais, suffisamment présents pour réveiller les papilles et inviter à se mettre à table. Un vin sérieux, vinifié par un vigneron très attachant.
(Suisse – Valais) Cabernet franc « Charnel » 2009 Marjo Van der Linden : le vin le plus rare de la soirée et pour cause : deux barriques produites à partir de cette vigne sur granit cultivée en biodynamie, rachetée il y a peu à Marie-Thérèse Chappaz, et vinifiée et élevée en fûts neufs. Nez riche, mûr, avec un boisé présent mais plutôt élégant. On admire la qualité de texture de la bouche et la sensation de glisse qui en émane. C’est concentré, rond et long. Un vin ambitieux, valaisan en diable !
(Suisse – Valais) Cabernet franc « Quintessence » 2009 Benoît Dorsaz : issu du terroir calcaire de Plamont situé sur Fully, on peut dire que ce cabernet « terroite » : notes lardées, fumées et résineuses, qui précèdent une bouche où l’élevage est présent mais ne gâche pas le plaisir de ce vin croquant, presque crayeux dans les sensations. C’est long, ferme, étonnant de fraîcheur.
(Suisse – Valais) Cabernet franc 2009 Defayes & Crettenand : les vignes de cabernet qui composent cette cuvée seraient paraît-il les plus vieilles du Valais. Expression de fruits noirs confits, de jus de cerise burlat pour ce vin souple et qui n’a sans doute pas vu le bois ; il s’exprime largement sur le côté solaire de l’année, mais sans débordement. Une belle bouteille !
(Suisse – Valais) Cabernet franc « Antica » 2009 Cornulus : expression difficile pour ce vin le jour de la dégustation, alors que je l’ai déjà beaucoup mieux dégusté à d’autres occasions : nez fumé évoluant sur des nuances boisées assez prégnantes ; le bouche est bien dans l’esprit du millésime à savoir très mûre, les tanins sont encore fermes et soulignés de bois. A regoûter.
En guise de conclusion : Chinon « Les Varennes du Grand Clos – Franc de Pied » 1989 Charles Joguet : cette cuvée expérimentale née avec le millésime 1986 est toujours restée confidentielle. A l’époque, Charles Joguet la vinifiait, paraît-il, un peu différemment de l’autre Varennes du Grand Clos, et l’élevait également un peu moins longtemps. Nez sublime : une infusion de fleurs fanées et d’agrumes les plus nobles, un bouquet – au sens le plus poétique – enivrant et rappelant certains grands bourgognes au vieillissement ; le bouche est encore vigoureuse, avec une acidité étonnante compte tenu du millésime : peut-être la signature de la vigne franche. Le vin se tient aujourd’hui très bien, il est à son apex et nous a permis de finir la soirée en beauté.
Nota : Cet article a été écrit avec le concours de José Vouillamoz pour la partie ampélographique. A noter le futur ouvrage de référence qui paraître en octobre 2012 : The Grape, par Jancis Robinson, Julia Harding et José Vouillamoz, chez Penguin.
8 Comments
Que des beaux noms : on sait être sélectif au Cave !
Bravo pour ce papier de référence ! Et un de plus 🙂
Manque quand même à l’appel les délicieux Kuria de Malatinszky, Cabarnet Franc Selection et Kopar(ok seulement 50% de CF) de Attila Gere :o)
Le Kopar a déjà été goûté lors d’un cours d’octobre 2009… et c’était très bon !
blog.cavesa.ch/index.php/…
Très intéressant, Nicolas …
Je pense aussi au mencia espagnol, en appellation Bierzo, qui s’exprime un peu à la manière du cabernet-franc.
Une dégustation intéressante, en effet, qui a permis de mettre à mal quelques a priori sur ce cépage. Il n’en demeure pas moins que, à mon sens, le cabernet franc est un cépage assez rustique et plutôt exigeant, qui demande, plus que d’autres encore, une culture soignée et attentive ainsi qu’une vinification précise et adroite. Dans le cas contraire, il est très facile de sombrer vers des vins durs, marqués par les fameuses notes végétales récurrentes citées dans l’article, et qui ne signe en rien une forme de "typicité".
Nous sommes assez loin de ça dans cette belle liste de vins sélectionnés par Nicolas. Pour ma part, je retiens le croquant et la qualité de constitution du Clos Nouveau 2007 en Bourgueil, une belle découverte. Belle expression également, avec l’Etincelle de Chollet (Suisse), marqué par de superbes notes de fruits rouges et une trame tannique fine, élancée et gourmande. Autre découverte, le Charnel de Marjo Van Der Linden, même si des notes prégnantes d’élevages (mais bien plus élégantes que sur le Château Petit Gravet) et donnant au vin une saveur plus "sexy" que "charnel", peuvent dérouter. Enfin, et bien évidement au dessus du lot, le Joguet 1989 charme par cette "floralité" caractéristique des grands cabernets francs à maturité. Une leçon…
Bu récemment un remarquable Cheval-Blanc 1995 (53% de CF si j’ai bien lu, complétés par 47% de merlot).
L’apport du cépage y est magistral.
Cette note définie comme végétale de poivron-lierre est définitivement inhérente au cépage. Et ces pyrazines seront toujours présentes, quelle que soit la maturité du raisin, mais effectivement à des concentrations très différentes. Ce sont vraiment les autres arômes qui vont amener à ressentir le poivron vert ou le poivron rouge, mais la note poivron de base provient toujours des mêmes deux majoritaires molécules.
Cependant comme toujours, il ne faut pas porter de jugement hâtif sur les personnes n’arrivant pas à apprécier ce cépage, car parfois cela signifie juste qu’elles ont un seuil de perception très bas pour ces molécules et de ce fait la note poivron domine pour elles systématiquement. D’ailleurs c’est drôle de constater que ce sont ceux qui n’aiment pas ce cépage qui toujours le reconnaîssent le mieux…
Au delà du fait de sentir ou non du poivron, je souhaitais surtout attirer l’attention sur le fait qu’entre sentir du poivron vert affreusement végétal et des nuances de poivron rouge grillé, il y avait un monde qui pouvait témoigner entre autres de différences de niveau de maturité et de rendements. Après, que l’on soit "allergique" ou pas à toute note de poivron est effectivement un autre problème.
J’en profite pour signaler que j’ai goûté ce matin de 2010 du Cabernet de Defayes & Crettenand et qu’il est très bon.
De même, rebu hier soir le Champigny 2007 du Clos Rougeard qui s’est présenté sous les meilleurs auspices. Un bien belle bouteille et des tanins comme on aimerait en "goûter" plus souvent.