Samedi 1er avril : injonction au bonheur / Call to happiness
On annonce une chute de pression et un changement de temps pour le week-end. La journée commence pourtant par un Figeac à l’assise impeccable, tiré au cordeau. Je poursuis avec les dégustations du Grand Cercle qui ont lieu cette année au château Montlabert. L’ambiance est taquine, facétieuse. Les vins se goûtent bien même si tout n’est pas homogène. Un vin après l’autre, la cartographie des terroirs se précise avec des identités fortes: les différents vins de côte, les calcaires, les argilo-calcaires, les terroirs plus sableux, les précoces, les tardifs et, toujours, cette fraîcheur insolente !
Lower pressure and a turn in the weather are announced for the weekend. Nevertheless, the day begins with a Figeac whose base is impeccable, as straight as a dice. This is followed by the tastings of the Grand Cercle; this year they are held at château Montlabert. The atmosphere is impish, irreverent. The wines are pleasant even though not everything is homogenous. The cartography of the terroirs takes shape wine after wine, with strong identities: the various wines of the “côte”. The limestone, the limestone and clay, the sandier terroirs, those that are precocious and those that are tardy; the freshness is pervasive.
A midi, il pleut à verse sous la tente dressée pour la circonstance. On reste concentré. Ne pas se laisser distraire par la table du fond où un dégustateur américain euphorique tient salon.
It starts pouring down with rain at noon, over the awning, conveniently erected for the occasion: we keep our concentration, and are not distracted by the table at the back, where a euphoric American taster is holding court
Six heures plus tard, il est temps de reprendre la route. Pour une visite qui, année après année, constitue toujours l’un des points forts de mes dégustation Primeurs : le terroir le plus exotique de la côte sud de Saint-Emilion, sorte de péninsule qui tombe de tous côtés, avec un climat de type sud, sud-est, dans l’esprit bourguignon. Des argiles froides et humides qui requièrent une longue et lente maturation du fruit. Dans un millésime de longue maturation avec un été très sec, Tertre Rotebœuf est au rendez-vous avec un vin qui constitue une véritable injonction au bonheur. Avec ferveur, François Mitjavile explique l’originalité profonde de ce millésime. Dans ce chai, avec ses clairs-obscurs, sa scénographie, son escalier central où se profilent visiteurs et passantes, j’assiste à une pièce de théâtre. Celle-ci est en train de s’écrire. Chacun en est l’acteur et ce qui défile, sous nos yeux, ce sont les flux de la vie, les métamorphoses du temps, l’instant de grâce. Et à la fin, lorsque la pièce s’achève et que le maître des lieux, un peu épuisé, referme la porte doucement, c’est Montaigne qui apparaît, venu en voisin, d’un autre siècle, à sauts et à gambades : l’allure poétique ! « Aux événements je me porte virilement ;en la conduite, puérilement. L’horreur de la chute me donne plus de fièvre que le coup. Le jeu ne vaut pas la chandelle. (…) Et y a moins de mal souvent à perdre sa vigne qu’à la plaider. La plus basse marche est la plus ferme. »
Six hours later, it is time to drive on. Year after year, the coming visit is always a high point of my tastings of Primeurs: it is the most exotic terroir of the southern bank of Saint-Emilion, a kind of peninsula that is falling all over the place, with a southern, south-eastern climate, comparable to that of Burgundy. Cold and moist limestone whose fruit requires a long and slow maturation. Tertre Rotebœuf, in a year that has had a very dry summer, brings us a wine that is like a call to happiness. Fervently, François Mitjavile explains the deep originality of this vintage; the cellar, with its semi-darkness, its scenography, its central staircase where one can make out the outlines of visitors and passers-by, is like a play, a play that is being written as we go. Every one of us is an actor: the tides of life, the transmutations of time, the moments of grace pass before our eyes. At the end of the play, our host is a slightly worn out and closes the door softly.
Il n’y a pas que la sagesse. La vie est surprenante, injuste aussi. Plus tard dans la nuit, après une soirée du côté de Sainte-Colombe, me reviennent ces propos d’un convive à la dégaine de Tom Waits. Il évoque la fortune immense de l’un des seigneurs de Saint-Emilion. Malgré son insolente réussite, ce dernier conserverait, selon notre interlocuteur, une fêlure, une forme d’inaptitude au bonheur : « C’est la boule brisée de Citizen Kane et son Rosebud, il mourra seul, définitivement malheureux ! » prophétise le chanteur à la voix écorchée en savourant son verre de Domaine de l’A 2001.
Wisdom is not the only thing that matters. Life is surprising and unfair. Later that night, after an evening spent in the vicinity of Sainte-Colombe, I remember the words of a fellow diner whose unusual look was reminiscent of Tom Waits. He mentions the immense wealth of one of the lords of Saint-Emilion. But, in spite of his insolent success, the latter still has a crack, a kind of inability to be happy: “It is Citizen Kane’s broken snow globe and his Rosebud; he will die alone, forever miserable!” prophesises the singer with the husky voice whilst enjoying his glass of Domaine de l’A 2001.
Translation : Alex Limpach
Leave A Reply