Dans le cadre de l’Ecole du vin du CAVE, nous avons récemment eu le plaisir de recevoir Nicolas Bon pour une soirée consacrée à trois grands terroirs de l’ouest languedocien, afin d’explorer ces appellations aux noms populaires mais que l’on connaît finalement trop peu.
Le massif des Corbières forme une barrière naturelle, historique et culturelle, avec la région du Roussillon. Son vignoble est ouvert sur la mer Méditerranée et sur la plaine du Languedoc. Son étendue, sur soixante kilomètres, offre une succession de bassins variés divisés en quatre ou cinq unités géographiques bien différenciées et imbriquées dans ce massif unique. Première AOC en superficie du Languedoc (et quatrième de France !), elle couvre 17’200 hectares. Le climat est méditerranéen, chaud, sec et ensoleillé. Les vents sont omniprésents avec notamment la Tramontane ou le Cers, vent soufflant de l’ouest, et le vent marin. La pluviométrie moyenne annuelle augmente avec l’altitude. Les températures moyennes annuelles montrent une évolution décroissante d’est en ouest, passant de 15.4°C, en bord de mer, à 13.4°C, près de Carcassonne. Dans ce paysage tourmenté, la vigne se partage le territoire avec la garrigue et quelques oliviers. Les parcelles délimitées présentent des sols essentiellement argilo-calcaires et développés sur des molasses de l’Eocène.
La zone du Minervois est adossée à la Montagne Noire, pointe méridionale des Cévennes, avec comme point culminant le Pic de Nore (1210 m). Le vignoble, totalement exposé au sud, s’inscrit au cœur d’un vaste amphithéâtre qui descend régulièrement du nord au sud pour terminer en pente douce auprès du fleuve Aude. Il couvre environ 5’000 hectares. Le climat est méditerranéen, caractérisé par une grande douceur, une relative sécheresse, une pluviométrie annuelle moyenne de 630 millimètres et une température moyenne annuelle supérieure à 14°C, avec un ensoleillement annuel supérieur à 2’400 heures. La zone géographique appartient à un large synclinal, s’appuyant au nord sur le Massif de la Montagne Noire, et comblé par des sédiments molassiques tertiaires, coupés de bancs de grès et de conglomérats de calcaires lacustres. Les sols les plus caractéristiques sont donc développés sur des terrasses caillouteuses, des marnes, des grès, des altérations (dégradation) de calcaire dur et sur quelques lentilles de schistes dans les zones d’altitude.
Saint-Chinian s’étend de part et d’autre de l’Orb et de son affluent, le Vernazobre. La zone géographique se répartit sur 20 communes au nord-ouest du département de l’Hérault, entre la montagne Noire et la plaine de Béziers (3’300 hectares déclarés). Adossé au pied de l’Espinouse, le vignoble est implanté jusqu’à la limite maximale de 400 m d’altitude, abrité des vents du Nord, froids l’hiver et desséchants l’été, avec une orientation principale sud/sud-est favorable au cumul des températures. La moyenne des températures annuelles est supérieure à 14°C. La pluviométrie moyenne annuelle est inférieure à 700 mm. L’aire parcellaire délimitée repose sur deux grands ensembles de sols : les sols développés sur schistes : c’est sur cet ensemble, qui couvre les deux tiers des surfaces délimitées, que sont délimitées les dénominations géographiques complémentaires « Berlou » et « Roquebrun » ; les sols développés soit sur des graviers soudés en conglomérats, soit sur les dépôts villafranchiens, soit sur les alluvions quaternaires disposées en terrasses caillouteuses, et quelques sols de décalcification sur calcaire dur réduit en squelette argilo-siliceux.
Pour l’ensemble des trois AOC, l’encépagement doit comporter au moins deux cépages. On retiendra que les cépages principaux sont le grenache, le mourvèdre, la syrah, le lladoner pelut et le carignan (uniquement sur Corbières).
Une fois le décor planté, il ne restait donc plus qu’à confronter ces appellations par séries et dans l’ordre qui suit.
Minervois « Régal du loup » 2010 Le Loup Blanc (magnum) : Sols argilo-calcaire. Elevage en cuves béton. Fruité de cerise confite évoluant réglissé et mentholé ; c’est un vin simple mais plutôt frais, à la bouche gourmande, soyeuse, glissante mais sans minceur. On notera juste une légère fermeté sur l’allonge. Ensemble facile, vin à point.
Corbières « Les Terrassettes » 2010 Clos de l’Anhel : Carignan majoritaire, syrah, grenache et mourvèdre. Vinification traditionnelle, cuvaison de 20 jours. Elevage en cuve. Très beau nez d’épices douces, fin, floral, qui précède une bouche relâchée, savoureuse, immédiate, avec le caractère épicé du carignan dans la saveur, une vraie sapidité et un côté salivant. Vin semblant proche de son terroir, faussement facile, avec du caractère sur la finale. Un domaine et une vigneronne qui méritent d’être davantage connus !
St-Chinian « Le Laouzil » 2011 Thierry Navarre : Terroir de schistes bruns. Vinification traditionnelle. Elevage 12 mois en grand foudre. Fruité explosif au nez typique du domaine (kirsch), menthe poivrée, caractère balsamique, réglissé, très schisteux, avec un grand naturel d’expression. Fraîcheur accrue de la bouche par rapport aux deux autres vins de la série, sensation d’expression de terroir, longueur, finesse, c’est très bon.
Minervois « Où est donc Ornicar » 2012 Jean-Baptiste Senat : Terroir argilo-calcaire. Vendange entière. Elevage en barriques pendant 6 mois. Nez de « carbo » typique, quasi beaujolais, sur le bonbon anglais, comme la bouche, savoureuse, glissante, à boire sans se poser de questions, mais on peut se demander où est le terroir ? Vin-boisson.
Corbières « Campagnès » 2012 Maxime Magnon : Vieux carignan majoritaire. Vinification en macération carbonique. Style à la fois proche et différent du vin précédent, avec plus de noirceur et densité aromatique, vin plus épais, sérieux. Plus d’élevage aussi, au nez et en bouche. Un cru musclé, jeune, dense, serré dans le grain, exempt des scories faciles de la carbo, bâti pour la garde. Boisé à peine sec en finale à ce stade, mais le fond de vin est très prometteur. Il se goûtait encore mieux le lendemain !
St-Chinian « Cuvée Olivier » 2010 Thierry Navarre : Terroir de schistes bruns. Vinification traditionnelle. Elevage 12 mois en fûts. Caractère du nez avec du grillé, fumé, des notes de goudron, de ciste, évolution légèrement lardée. En bouche, on devine sur l’attaque un léger gaz carbonique, mais le vin est surtout très dense, très terroir, noir, solaire, languedocien. Plus « chaud » que le Laouzil, il est racé, construit pour la garde, et surtout assume totalement son équilibre sudiste.
Minervois « Une histoire de famille » 2012 La Tour Boisée : Sols argilo-calcaire. Vinification traditionnelle. Elevage 6 mois en cuves. Nez végétal, poivron, terreux, et bouche arcboutée sur un tanin rustique, dur et pas totalement mûr.
IGP Aude (Corbières) « Pièce de Roche » 2010 La Baronne : 100% carignan issu d’une vieille vigne plantée en 1892. Terroir de fines graves argilo-calcaires. Vinification traditionnelle en cuve inox pendant 25 jours. Elevage de 10 mois en barriques. Nez riche, enrobé par le bois, mûr, sanguin, avec une sensation de profondeur et richesse ; bouche ronde, langoureuse, ample mais pas chaude (la fraîcheur du cépage parle). Beau déroulé de tanins, la texture est sensuelle. Pour la garde sans problème, et sa tenue à l’aération prolongée est excellente.
St-Chinian « Les schistes » 2012 Borie la Vitarèle : Terroir de schistes. Vinification traditionnelle. Elevage de 12 mois en demi-muids. Nez « noir », réglissé, fumé, avec des notes de graphite, très intense, profond, évoluant sur les fruits noirs confits ; bouche enrobée, à la saveur de crème de cassis, de myrtille confite, sanguine, solaire et chaleureuse, mais sérieuse. Un cru authentique.
Minervois « Sylla » 2010 Borie de Maurel : Syrah. Sols d’éboulis de marnes et de calcaires. Vinification en macération carbonique. Elevage cuve pendant 15 à 18 mois. Comme souvent avec ce domaine, le nez embaume la confiture de cassis, on est même à la limite du sauvignon au niveau aromatique, caractère carbonique extrême. Bouche dans le même registre, un peu en dedans, lactique, mono-saveur, mono-registre. Vin un peu dissocié, quasi entêtant.
Corbières « Romain Pauc » 2011 Château La Voulte Gasparets : Carignan majoritaire, grenache, mourvèdre et syrah. Vinification en macération carbonique en cuve inox. Elevage de 12 mois en barriques avec 20% neuves. Boisé bordelais avec des nuances lactiques, du grillé ; grosse acidité de la bouche, tanin détendu par la barrique, saveur marquée par le grillé du bois, mais beau jus. On regrette seulement le bois neuf. Va-t-il se fondre au vieillissement ?
St-Chinian « Causse du Bousquet » 2011 Mas Champart : Syrah majoritaire, grenache, mourvèdre et carignan. Sols caillouteux et filtrants. Elevage en cuve et fûts bourguignons de différents âges. Nez noir mais dense, assez frais, peu racoleur, un peu de bois mais pas d’excès. Bouche séveuse et sérieuse, au tanin ferme, légèrement mate dans l’expression du parfum et de la saveur, mais le grain est intéressant : il y a de la fraicheur, de la finesse. Il pourrait bien vieillir, à suivre.
Minervois « Mère Grand » 2011 Le Loup Blanc : Vieilles vignes de grenache et carignan. Sols calcaire. Elevage 12 mois en cuves tronconiques bois puis 6 mois en cuve béton. Nez touffu mais peu disert (il s’est refermé depuis le début d’année), pur dans les fruits noirs, sans interférence de bois ; fraîcheur acidulée de la bouche malgré une grosse matière, caractère salivant, profondeur de saveur, vin corsé mais pas dur, méritant un peu d’aération ou mieux, quelques mois de plus pour s’ouvrir.
Corbières « L’Enclos » 2010 Domaine des 2 Ânes : Grenache majoritaire, mourvèdre, carignan et syrah. Vinification traditionnelle en levures indigènes. Cuvaison variant de 4 à 5 semaines. Elevage en cuves bois tronconiques et en demi-muids de chêne français. Phénolé au nez, hélas, il se goûte mieux en bouche avec un côté crémeux, doux et acidulé du fruit. Dommage qu’il manque juste de pureté car la matière est très belle et l’extraction mesurée.
St-Chinian « Terrasses Grillées » 2010 Guy Moulinier : Dominante syrah. Élevage de 12 à 15 mois en fûts de chêne. Nez très syrah, quasi rhodanien, sur l’olive, racé frais, marqué par le cépage, rappelant les vins de Terre des Chardons ; le vin est frais en bouche, élancé, net, parfaitement construit, abouti. Seul bémol : il n’a pas résisté à une aération prolongée et se goûtait éventé le lendemain. Mais il a beaucoup plu le soir de la dégustation ! Domaine à suivre.
Compte-rendu écrit avec Nicolas Bon (présentation des appellations), que je remercie vivement pour l’animation de ce cours riche et documenté.
2 Commentaires
Merci pour ces pistes.
Dans une récente dégustation de vins du Languedoc, j’ai trouvé ce Campagnès 2012 plutôt amylique, boisé et assez lisse/frêle.
Une bien belle dégustation.