Une semaine et un jour après les tragiques événements et la fantastique mobilisation populaire, en France et dans le monde, sous la bannière de Je suis Charlie, que restera-t-il ?
Une chose est certaine, ce souffle nouveau, cette façon de dire non à la violence destructrice, à la folie, à l’aveuglement doivent perdurer et s’intensifier. C’était, c’est l’unique réponse à donner à la barbarie. La bonne.
Charlie Hebdo est réapparu une semaine après le drame. En couverture, sur fond vert, le prophète, marri, en pleurs, arborant une pancarte Je suis Charlie, avec ce slogan : Tout est pardonné sans point d’exclamation, d’interrogation ou de suspension.
Non pas une pacification dominatrice, militaire, conquérante, mais une manière de tendre la main, une empathie. Un silence aussi. Celui de quelque chose d’encore informulé, le signe peut-être d’un lointain meilleur ?
Serait-ce l’aphesis grecque, le pardon (même pour des actes qui n’ont pas été commis), une libération, la sortie de l’engrenage de la violence ?
Ou, pourquoi pas, l’illustration de la miséricorde du Prophète ? «Et nous ne t’avons envoyé que par miséricorde pour les univers » (Coran, sourate 21, verset 107).
Car dans ce pardon tel qu’il est formulé à travers ce dessin, la question n’est pas de savoir qui pardonne à qui. Il faut être deux pour se réconcilier. Un qui donne et un qui reçoit.
La couverture de Charlie Hebdo dit tout ça et le redouble comme une évidence. Tout est pardonné, car il faut tout pardonner, malgré ceux qui s’obstinent à dire : rien ne sera jamais pardonné et ne vocifèrent que pour attiser la haine.
Que, les morts à peine enterrés, des voix se lèvent déjà pour stigmatiser cette couverture comme une nouvelle provocation, que certains agités manifestent dans le monde en criant à nouveau au blasphème est très inquiétant.
Ces signes exigent de la part du camp de la liberté la plus grande vigilance et détermination. De telles réactions à la couverture de Charlie – certains y voient un « acte de guerre » (sic !) – sont totalement injustifiées.
Pire elles témoignent d’une tentative d’intimidation et, chez certains, une obstination belliciste.
Pas d’amalgame. Tout ce qui s’est passé n’a rien à voir avec l’Islam. Les tueurs ont voulu « venger le prophète », mais ils n’étaient que des frappadingues qui n’ont – c’est bien connu – rien à voir avec l’islam. Evidemment.
Pas d’amalgame : le leitmotiv a jailli spontanément à la fin des attentats pour éviter le parallèle entre la communauté musulmane et ces attentats et ne pas tomber dans l’un des pièges que nous tend le terrorisme.
Les amalgames ont pourtant été très vite faits et dans des sens très différents. Il y a celui, attendu, fait par Marine Le Pen qui appelle un fondamentaliste un fondamentaliste et qui suscite ce commentaire, pourtant très discutable sur la forme, de Michel Onfray :
« Marine Le Pen dénonce « un attentat terroriste commis par des fondamentalistes islamistes ». Pourquoi une fois de plus le personnel politique, suicidaire, lui laisse-t-il le monopole des mots justes sur des situations que tout le monde comprend ? C’est en effet « un attentat terroriste » et il a été effectivement perpétré « par des fondamentalistes islamistes ». Quiconque le dira désormais va passer pour un lepéniste ! Le musulman qui n’est pas fondamentaliste se trouve ainsi épargné, et c’est très bien ; on dit donc en quoi ça a à voir avec l’islam parce que ça en est la version radicale et armée, brutale et littérale ; on laisse entendre qu’il faut lutter contre cette formule-là et rassembler tous ceux qui sont contre, y compris les musulmans ; et on dit d’un attentat terroriste que c’est un attentat terroriste. »
Dans un style beaucoup moins frontal, plus ignominieux – et donc plus condamnable, n’en déplaise à ceux qui bêlent sur les réseaux – il y a l’amalgame fait par Dieudonné avec son Je suis Charlie Coulibaly. Une chose est certaine, personne n’a la moindre envie de dire Je suis Dieudonné.
Il y a pire encore. La palme dans le registre de l’emberlificotage et de l’amalgame retors revient sans doute à un expert en la matière,Tariq Ramadan. Interviewé par la RST, celui-ci s’est livré à un numéro de contorsion incroyable pour quelqu’un qui tente de se faire passer pour un penseur de l’islam modéré et du dialogue entre les cultures.
Sa manière de condamner sous condition ce qui s’est passé, sa dialectique obscure, ses insinuations sur les condamnations à géométrie variable qu’auraient faites Charlie Hebdo, sa façon de récupérer la tragédie pour conforter sa thèse de l’islamophobie quasi généralisée et, surtout, la manière perfide qu’il a de jeter l’opprobre sur les victimes en parlant d’un « humour de lâche » est tout simplement abjecte.
Qualifier l’humour de Charlie Hebdo de « lâche » alors que douze personnes viennent de perdre leur vie, ne nécessite pas de savantes herméneutiques : cela revient, sans oser le dire explicitement, à situer le courage du côté de ceux qui ont pu se sentir offensés par ces caricatures et à continuer d’attiser les flammes délétères.
En doutez-vous ? Prenez le temps de lire attentivement les propos qui suivent que je retransmets quasi intégralement.
Venir soutenir ensuite que tous ces événements n’ont strictement rien à voir avec l’islam est inexact. Ils ont à voir avec un fondamentalisme islamique et ceux qui pourraient, dans le camp de l’islam, marquer la différence avec l’islam véritable, celui du Prophète (dont on rappellera au passage que l’islam n’a jamais interdit de le représenter), celui des poètes et des philosophes qui ont diffusé sa lumière, à commencer par le grand Averroès pour qui le Coran tout entier est un appel à la réflexion et à l’examen critique et l’islam, une religion de la liberté.
Transcription de l’interview de la RTS, journal de 19.30, 10 janvier.
Tariq Ramadan : Je pense qu’aujourd’hui il faut entendre la voix des musulmans, elle est extrêmement claire, elle est une condamnation… Maintenant on ne peut pas faire non plus comme si tout à coup au-delà de la condamnation il n’y avait pas des frustrations (sic !), pas parfois le sentiment qu’il y a parfois des condamnations à géométrie variable selon les victimes… ceci, on ne peut pas simplement dire, vous avez des doutes… Non, il y a quelque chose qui est factuellement vrai aujourd’hui : une normalisation du discours islamophobe, une normalisation de la stigmatisation des musulmans à travers l’Europe… donc, ce sentiment-là, il a une justification, mais on ne peut pas l’utiliser pour justifier des événements comme ceux-ci (…) ce n’est pas une affaire musulmane, c’est une affaire qui nous concerne tous…
– Est-ce que vous vous dites : je suis Charlie ?
– Non, je ne suis pas Charlie. Je dis : je suis pour la liberté d’expression. Ils avaient le droit d’aller jusqu’au bout, mais je me suis exprimé par rapport à Charb quand j’ai débattu avec lui en disant combien je trouvais que cette stigmatisation à géométrie variable n’était pas bonne… Vous savez il y a quelque temps de cela Charlie Hebdo a renvoyé Siné parce qu’il avait fait de l’humour sur le fait d’être juif et ils n’ont pas arrêté de faire de l’humour sur les musulmans et j’ai dit que cet humour-là était un humour de lâche (resic !)…Donc je suis pour le principe de la liberté d’expression, je ne suis pas pour son usage lâche donc… D’ailleurs, j’ai dit et répété ma sympathie à…à… aux familles des victimes… mais je ne vais pas aller cautionner parfois des attitudes qui n’étaient pas très bienveillantes, pas très courageuses et en dessous de tout…de…et parfois assez vulgaires… »
5 Comments
Le drame avec les livres saints, c’est qu’on y trouve tout et son contraire. Relire la section « Monothéismes » de Michel Onfray dans son « Traité d’athéologie ».
Si la chrétienté a été pendant des siècles à la base des organisations sociales auxquelles se pliaient des pouvoirs temporels y trouvant une place de choix, si la notion de laïcité a réussi à inverser cette priorité de la religion sur le laïc, il devrait être évident pour chacun qu’à avec de bien trop rares exceptions, la religion de l’islam est considérée par plus d’un milliard d’individus comme devant être, pour leur vie quotidienne, prioritaire par rapport au reste.
Bref : jusqu’à quel point faudrait-il vouloir imposer à autrui un système social où la hiérarchie entre religion et laïcité devrait être interversée ?
Jusqu’à quel point ? Jusqu’au point où les libertés fondamentales sont menacées.
François, la réponse à ta question est aussi d’ordre géographique.
Il y a des pays où la soumission à la religion est avérée par la loi. Et d’autres, dont la France, où les lois de la République prennent le pas sur celles des religions et tant mieux.
Le nouvel impérialisme musulman veut changer cette donne et nous, Suisses, Luxembourgeois, Français, ne sommes pas d’accord.
Merci à Jacques de cette lecture de la Une de Charlie-Hebdo à laquelle je souscris.
Sans rien vouloir imposer, on peut relire nos principes et les comparer :
Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen.
Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.
Art. 3. Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.
Art. 4. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.
Art. 5. La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
Art. 6. La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.
Art. 7. Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.
Art. 8. La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.
Art. 9. Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
Art. 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.
Art. 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
Art. 12. La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.
Art. 13. Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Art. 14. Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.
Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.
Art. 16. Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.
Art. 17. La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.
Bien évidemment Nicolas que ce qu’on nomme, raccourci, le monde « occidental » ne veut surtout pas revenir à un système où la laïcité ne serait pas la base. Encore heureux !
Mais dans quelle mesure doit-on vouloir imposer à autrui un système qui n’est pas le leur ?
Ceux – là non plus, ne sont plus là . . .