Des masques et des rêves : s’inscrire dans le paysage…

Considéré parfois comme un Tibet en miniature, le Lötschental est une vallée latérale du Haut-Valais : recouvert de glace dans sa partie supérieure durant le petit âge glaciaire ; quasiment coupé du monde jusque dans les années cinquante, le Lötschental a gardé ses traditions, ses rituels et ses paysages.

Fasciné par cette vallée fermée, le peintre Albert Nyffeler s’est établi à Kippel, dès 1901, et y a vécu de nombreuses années, partageant la vie des paysans de montagne, les observant et les photographiant.

Regards croisés : entrelaçant ses visions de la vallée lointaine avec les photographies de Nyffeler, Chappaz a, plus tard, écrit un très beau livre, Lötschental secret.

 

 

Rappelez-vous : c’était l’époque où Chappaz dénonçait les Maquereaux des cimes blanches et faisait scandale. La vallée extatique, dernier lieu d’aventure et de liberté, paradis secret, lui apparaissait alors comme une « arche dans l’arche ».

Existe-t-il un paradis autre que perdu ? En 2001, le Lötschental a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco, sous le nom d’une vaste entité «Welterbe Jungfrau-Aletsch-Bietschhorn» Même si, aux dernières nouvelles, le Bietschhorn qui est bien une des plus belles montagnes du Valais, n’apparaît plus dans la dénomination…

Un mot encore sur les Tschäggätta, cette antique coutume liée à la période du Carnaval qui demeure encore très vivace ici et qui a contribué à faire connaître le Lötschental bien au-delà de ses frontières. Réservée initialement aux hommes célibataires, qui, masqués et déguisés, faisaient irruption dans les maisons silencieuses au soir, au milieu des jeunes filles qu’ils poudraient de cendre, cette pratique a évolué ensuite.

Maurice Chappaz y voyait une forme de dialogue entre les morts et les vivants, la retour des ancêtres les plus lointains, jusqu’au couple originel, Adam et Eve !

Aujourd’hui, les travaux des ethnologues ont mis en évidence, outre ce double ancrage traditionnel des Tschäggätta (contact avec les forces de l’invisible et rituel matrimonial), une ouverture vers un monde fantastique, imaginaire, inspiré par la science-fiction et le rock’n’roll !    

 

Ce long préambule était nécessaire pour découvrir cet objet extraordinaire, un refuge de montagne précurseur en terme d’architecture, posé au cœur du territoire sacré, à mi-chemin entre Fafleralp et le Lötschenlucke qui mène au glacier d’Aletsch. Une provocation ? Les entendez-vous les cris d’orfraie des vieux alpinistes en pantalons de golf clair et tricounis se retournant dans leur tombe ? Depuis, on a fait encore plus fort, non loin d’ici, avec la futuriste Monte-Rosa hütte. Aujourd’hui, je ne vous parlerai que la Anenhütte, posée comme un songe, à la frontière des rochers et des glaces éternelles, à 2358 m. Et oui, vous ne rêvez pas, il s’agit bien d’un refuge de montagne, construit non loin de l’emplacement de l’ancien refuge dévasté par une avalanche, dans des conditions parfois dantesques, avec parfois des températures de moins vingt-sept degrés !

Relisant ce merveilleux livre qu’est L’été grec de Jacques Lacarrière, je suis tombé sur ce passage où l’auteur, évoquant les petits villages grecs des îles perdues du Dodécanèse, décrit ce que devrait être toute vraie architecture.

"Il y eu là un art immédiat de l'espace, un bonheur constant mêlant à tout mouvement la fantaisie et la raison: art de mettre chaque pierre à sa juste place de lumière, de s'inscrire dans le paysage sans jamais le meurtrir, de prolonger en somme le désordre inconstant de la mer par ce désordre apparent des maisons blanches comme des vagues pétrifiées."

Remplacez le désordre inconstant de la mer par l’ordre chaotique des montagnes et des glaciers,  essayez de mettre chaque pierre à sa place d’ombre et de lumière, de ne pas meurtrir le paysage mais de jouer avec lui, de l’inscrire dans la construction. Et vous aurez peut-être, après deux heures de marche, cette vision, cette autre extase immobile, jetée là, parmi les vagues de rochers, tel un amer rassurant pour le randonneur.

Itinéraire : de Fafleralp (grand parking) deux chemins s’offrent à vous. Ce qui vous permettra de faire un circuit en boucle. Compter environ 3.30 pour l’aller-retour. Depuis Anenhütte, un sentier permet d’accéder au Langgletscher d’où l’on peut rejoindre le Lötschenlucke et le glacier d’Aletsch (mais c’est plutôt une rando à faire à ski, au printemps, en venant de Konkordia).

 

Si d’aventure, ce post vous avait donné envie d’y aller ce week-end, foncez : dès lundi 4 octobre, la cabane sera fermée et vous ne pourrez pas profiter, le cas échéant, d’une des splendides suites avec vue sur le Bietschorn et, pourquoi, pas d’une flûte de champagne.