J’aime les adresses improbables. Je rêverais d’un guide recensant les restaurants aléatoires, extravagants, inouïs, de la planète. Pas les huppés, les étoilés, les banquises à pingouins compassés. Ni ceux conçus pour les hipsters et les foodies. Pas d’hostie à la sève de sapin disparaissante. Pas de retour à Manigod. Non, des restaurants à ciel ouvert, des trouées dans le prêt à porter culinaire contemporain, des bouffées d’air pur ! De la résistance avec un zeste de légèreté.
Il faudrait dresser la liste. Pour cela, je compte sur vous. Il y aurait la « ferme de l’opiniâtreté », ce restaurant perdu dans les profondeurs de l’Ontario, du côté de Canocimo Singhampton, l’Eigensinn Farm de Michael Stadtänder. La Colombière à Lully, près de Genève, de Chantal et Bernard Lonati. Ou ce restaurant réputé de poissons, à la frontière entre la Géorgie et l’Arménie. Nous l’avons cherché en vain pendant une heure. Le chauffeur du bus disait bien connaître l’endroit. Nous fûmes bloqués sur une piste caillouteuse, parmi les ruines du tremblement de terre de 1988, entourés d’une meute de chiens menaçants. Il faudra revenir et chercher davantage. Ou le petit restaurant de Tomataka Imai près du marché de Kyoto.
J’aimerais évoquer également les éphémères, ces phénix d’une saison au paradis. Planches de salut et caravansérails gourmands. Telle l’Horloge d’Auvillard où, le temps des cigales, un certain Vincent Pousson s’est mis au piano. Ou encore ce restaurant près du lac d’Orta, dans la petite ville d’Invorio, à l’écart de la foule. Une villa en bordure de route. Mal éclairée. Pas un chat à l’horizon. Il faut sonner à la porte. C’est ici ? Oui, c’est ici !
Vous êtes chez Pascia di Paolo Gatta. Il faut sonner avant d’entrer. Une salle lumineuse, épurée. Quelques tables. Le chef vient lui-même prendre la commande, vous amène la carte des vins. Une bible. Cinq pages uniquement pour le champagne. Et les vins du Piémont par légion : les Ghemme, Gatinara, Boca, Bramaterra, Lessona, Carema. Tout y est. Ou presque. Avec une cuisine, limpide, frémissante, personnelle. Ce jeune homme ira loin.
De l’autre côté de la frontière, dans l’un des plus beaux coins du Valais, une adresse tout aussi secrète : l’hôtel-restaurant Nest und Bietschhorn à Ried. C’est le plus vieil hôtel de la vallée des Tschäggättä, construit il y a deux siècles peu après la première ascension de l’emblématique Bietschhorn. Le chef Laurent Huber ne lâche rien et propose dans ce cadre alpin une cuisine étonnante. Sa femme Esther est en salle. On y croise des pèlerins de toute origine : des anachorètes à longue barbe blanche ; des piétons chaussés de tricounis ; de vieux garçons bernois adeptes du jodel ; des promeneuses solitaires, toute une foule bigarrée, venue faire retraite dans ce lieu où le temps coule avec une lenteur qu’il n’aurait jamais dû perdre.
On se trouve au Lötschental, une merveille de vallée qui s’apprivoise lentement. Le premier jour, pour vous mettre en appétit, montez directement depuis l’hôtel jusqu’à Weissenried, hameau accroché à la pente, que toise le sourcilleux Bietschorn. Le lendemain, traversez la Lonza, en face de l’hôtel, et grimpez jusqu’à la Bietschhornhütte, véritable joyau des Alpes valaisannes. Ce refuge a d’ailleurs reçu le prix Wilderness 2004. Nous nous trouvons ici à une autre échelle du temps. Plus d’horaire.
Quoique… Comptons quand même 5 h pour faire l’aller et retour. Le temps de méditer cette pensée de Gary Snyder dans La Pratique du monde sauvage.
« Il existe un univers situé au-delà du monde que nous voyons, qui est le même monde mais plus ouvert, plus transparent, sans blocs. »
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