Le vin doit raconter une histoire. Tous les descendants d’Homère et du story telling vous le diront. Oui, mais laquelle ? Provins, la coopérative valaisanne, a décidé de réécrire la sienne en lettres d’or. Présentée depuis quelques mois à un parterre de journalistes et de prescripteurs, sa nouvelle cuvée Electus suscite le buzz et sonne comme une belle promesse. A voir si le caractère performatif de son nom lui vaudra la reconnaissance et la notoriété que le prix auquel elle est vendue (190 frs) semble annoncer. Une ou deux fées se sont déjà penchées sur le berceau de celle que personne n’attendait. Même si le projet couvait déjà depuis 2005. Aujourd’hui, comme le proclame l’étiquette le Valais s’ouvre enfin au monde – Valais mundi (le nom de la société qui le commercialise) – tout en s’arrimant aux pentes rocailleuses du petit village de Mund, propulsé centre du monde, pardon début de la vallée du Rhône.
Parmi ces fées bienveillantes, Jancis Jobinson. C’est elle qui ouvre le bal en juin dernier avec une dégustation comparative d’une série d’incomparables : Solaia 2010, Pape Clément 2010, Vieux Télégraphe 2010, Léoville-Poyferré 2010. Verdict : Electus arrive en deuxième position, ex æquo avec Solaia, juste derrière Léoville-Poyferré. Ce sont les prémisses de la légende.
Par une journée munificente, juste à la veille des vendanges, j’ai répondu à l’invitation de la direction de Provins et des œnologues proches de ce projet, Samuel Panchard, Gérald Carrupt et Damien Carruzzo. Invitation à venir découvrir le premier vin icône suisse ! Chemin faisant, je me suis interrogé sur cette propension, bien dans l’air du temps, à voir des icônes partout à la manière d’un patriarche de l’Eglise d’Orient. Après tout, ce ne sont que des images, des reflets, des rêves qui captent plus ou moins notre attention.
Sur la gestation de ce projet, oyez et voyez la vidéo ci-dessous.
Quelles sont les facettes de l’Electus 2010 ? Trois cépages du lieu (humagne, cornalin et diolinoir) entrent dans sa composition et détiennent la majorité (60 %) ; deux cépages « internationaux », cabernet sauvignon et merlot apportent leur tonalité et leur différence dans un assemblage qui, c’est le moins que l’on puisse dire, tient parfaitement la route. Image toujours : Hugh Johnson a même parlé à son sujet d’une sorte de Rolls-Royce, pour le faste, et aussi sans doute, pour le confort de conduite. J’ai dégusté ce vin sur une période d’environ 3 heures (la dégustation a été suivie par un déjeuner où chacun aura pu remarquer que l’Electus était un vrai vin de gastronomie). Par sa fraîcheur d’expression, par son équilibre, par son élevage bien conduit, sans boisé envahissant, malgré ses 80 % de bois neuf (Demptos et François). Le vin est continu, bien rythmé, avec une finale expressive et des tanins nuancés.
Mon bémol (à part le prix dont le marché sera seul juge) est en relation avec un style un peu trop lisse et consensuel. Un style travaillé, bien formaté, malgré les dénégations de l’équipe : « c’est le vin qui prend les décisions ». Un grand vin doit susciter l’émotion. Il nous touche par sa singularité, par l’affirmation d’un style, d’un caractère, quitte même à prendre le risque de déplaire de prime abord. On connaît la phrase de Jacques Puisais, « Un vin doit avoir la gueule de l’endroit où il est né et les tripes du vigneron ». Un grand vin – ou celui qui a l’ambition de le devenir – doit coïncider totalement avec cette définition.
L’Electus se lance aujourd’hui à la conquête des marchés internationaux avec 30’000 bouteilles du millésime 2010. Et entend ouvrir la voie pour les vins du Valais. Il faut lui souhaiter bonne chance et, après ce premier jet, lui demander d’affirmer davantage son identité de vin de terroir, en communiquant par exemple sur la vingtaine de parcelles retenues pour constituer la cuvée.
Le monde du vin a vu fleurir ces dernières années un certain nombre de vins cultes. La plupart ont, pour des raisons aisément compréhensibles, préféré jouer la carte de la marque plutôt que la logique du terroir. Le Valais viticole dispose d’une mosaïque très intéressante de terroirs et doit miser à fond sur cet atout plutôt que de céder aux sirènes du marketing.
Demain, peut-être, un autre élu apparaîtra. Un grand blanc d’assemblage pourquoi pas ? Car, comme l’a fait remarquer Nicolas Vivas lors du déjeuner : en Valais, le grand vin blanc, c’est une évidence ; le rouge, c’est du travail !
Comment
D’accord avec toi, Grand Jacques, sur ce commentaire : clair et net, un vin de gastronomie. Lissé pour le marché international. Et c’est ainsi que je l’avais dégusté en le notant comme le « plus immédiat » lors de la même dégustation. Il développe un facteur plaisir non négligeable et un équilibre, une retenue de puissance pas évidente chez les autres crus du comparatif.
Ce vin sera présenté à Villa d’Este et là, devant un parterre de producteurs à qui on ne le fait pas ! Ce sera très intéressant à suivre.
Quant au positionnement du prix, nous savons tous que cela rentre dans une politique marketing que peut « supporter » une telle entité.
En tout état des choses du vin, il est clair que la dégustation à l’aveugle est un passage absolument obligé à tout nouveau venu pour se faire connaître. On l’a vu avec évidence durant les 17 années du GJE.