Les liens qui unissaient jadis la Suisse au vignoble de la Valtellina étaient forts et solides. Mais le temps a filé, l’habitude de boire du chiavennasca (nom local du nebbiolo) également. D’autant qu’à l’instar de nombreux vignobles européens escarpés, ces vignes de montagne ont fondu comme neige au soleil, la difficulté de cultiver leurs terroirs exigeants – et leur faible rentabilité – finissant par décourager nombre de producteurs. C’est ainsi que l’on passa, du temps de la splendeur, de 6’000 hectares cultivés à aujourd’hui près de 850.
Mais quelques domaines historiques se sont battus pour maintenir la culture du nebbiolo. Leurs noms ? ArPePe, Nino Negri, Bettini Fratelli, Triacca, Aldo Rainoldi, etc. Bien leur en a pris car le vignoble a survécu, même s’il était à la fin du siècle dernier dans un état de fragilité avérée ; et en aucun cas assuré de sa survie éternelle. Fort heureusement, une nouvelle génération de jeunes producteurs idéalistes s’est prise d’amour pour les imposantes terrasses des grands crus valtellinesi, rêvant de faire à nouveau chanter ces terroirs historiques.
Il faut dire que les meilleurs crus possèdent de sérieux arguments. Ils sont au nombre de cinq. A l’extrême ouest de la zone d’appellation, on trouve Marroggia, monopole d’une cave coopérative. Viennent ensuite, au centre de l’appellation, Sassella, un des plus étendus ; Grumello, plus petit ; et le bien nommé Inferno, le plus solaire de tous. Enfin, dans la partie qui tire vers le nord-est, à l’exact emplacement où la rivière Adda forme un coude avant d’obliquer vers Bormio et Tirano, on trouve le dernier cru, Valgella, moins connu mais idéalement exposé, avec sa forme en amphithéâtre convexe. La matrice géo-pédologique de la DOCG est assez simple à définir car le vignoble repose sur des granites plus ou moins altérés en fonction de leur exposition aux éléments naturels érosifs (pluie, soleil, vent). Les meilleurs terroirs, au delà d’être les plus pentus, possèdent une exposition méridionale majoritaire et sont cultivés en terrasses parallèles à la pente.
La tradition locale voulait que l’on taille la vigne en archetto valtellinese. Mais à l’instar d’autres vignobles transalpins historiques, les dernières avancées qualitatives en la matière démontrent que le Guyot semble plus utile et qualitatif, dans l’optique de viser un meilleur étalement du feuillage et des raisins plus – et mieux – mûrs. Le vent qui souffle dans la vallée de façon quasi discontinue, conjugué aux expositions particulièrement solaires, favorise des maturités plutôt précoces pour une culture aussi septentrionale du nebbiolo, ainsi qu’un bon état sanitaire, pour peu que les vignes soient cultivées avec application et sans surcharge.
On constate aujourd’hui que les différences d’expressions des crus proviennent davantage des altitudes de culture que de l’emplacement cadastral des vignes. Ainsi, sur les près de quarante kilomètres de la zone d’appellation, il est utile de savoir que les plus hautes vignes cultivées vont jusqu’à 850 mètres. Les jeunes producteurs sont toutefois convaincus que les raisins des vignes de nebbiolo les plus élevées (autour de 600 mètres) sont surtout intéressants à vinifier passerillés pour le Sforzato (ou Sfursat), « l’Amarone » local, car leurs peaux épaisses et leur acidité élevée présentent un profil idéal pour la dessiccation en vue de produire des rouges précis et équilibrés, de grande classe pour les meilleurs d’entre eux. La zone basse de culture varie quant à elle entre 300 et 450 mètres et permet de produire des vins solaires, fruités, ronds mais pas aussi structurés que les meilleurs Valtellina Superiore : c’est souvent ici que sont produits les Rosso di Valtellina et les « simples » Valtellina. Enfin, l’expérience montre aujourd’hui que la zone reine pour la production de grands vins secs de garde semble s’étaler en moyenne entre 450 et 600 mètres.
Ainsi donc, mardi dernier, le journaliste Gianni Fabrizio (co-directeur du guide Gambero Rosso) et Davide Fasolini, du domaine Dirupi, avaient fait le déplacement afin de venir nous présenter les meilleurs vins cette région viticole merveilleuse. Voici le compte-rendu de dégustation des cuvées de la soirée les plus mémorables :
Valtellina superiore 2013 Dirupi (en bouteilles depuis mai, sortira début 2016) : teinte rubis orangée, robe légère, translucide, nez en formation, entre épices et fraise des bois ; attaque langoureuse, texture idéalement fine avec une saveur granitique marquée (épices) pour ce vin dense mais sapide, cachant sa puissance, prometteur. Disponible en 2016 au CAVE.
Valtellina superiore 2012 Dirupi : très parfumé (fruits rouges, violette, rose), vin ouvert, de grande précision aromatique ; évident au palais, épanoui dans la texture, il est suave mais dynamique, lumineux, un vrai régal. Disponible fin octobre au CAVE.
Valtellina superiore Riserva 2012 Dirupi (en bouteilles depuis juin, sortira début 2016, issu d’un seul cru) : robe encore plus légère et orangée ; nez envoutant, à la fois retenu et parfumé, sur la rose ancienne, les fleurs séchées, le quinquina ; sapidité renforcée par rapport aux deux cuvées précédentes, avec aussi plus de tanin, de structure – la bouche est plus virile que le nez mais le vin se montre déjà très savoureux, dense, rémanent, difficile à cracher. Futur grand vin ! Disponible en 2016 au CAVE.
Valtellina superiore Riserva 2011 Dirupi : un peu moins précis que le 2012 à ce stade, il se montre davantage épicé mais plus mat aromatiquement. Il a besoin de temps pour s’ouvrir et laisser apparaître une belle note truffée caractéristique des millésimes chauds, avec des nuances de fruits confits mais pas cuits. La bouche est puissante, supérieurement riche en alcool, mais garde un équilibre sur le fil jusqu’en finale, ne basculant pas dans la lourdeur.
Valtellina superiore « Pietrisco » 2013 Boffalora : un peu réducteur de prime abord, il s’ouvre sur un profil fin, poivré, frais, jeune mais précis, le terroir parle. En bouche aussi. Le style se rapproche de Dirupi : très bonne approche traditionnelle « propre » pour ce vin contemporain mais intègre, vertical, racé. Il évoque même de très beaux pinots à l’aération.
Valtellina superiore Valgella « Ca’ Morei » 2012 Sandro Fay : nez exotique, frôlant la décadence avec une grande maturité phénolique, très pamplemousse, aromatique, pénétrant. Bouche tendue, nerveuse, bâtie sur une acidité mûre, avec une saveur métallique noble typique des grands rouges de granit jeunes. Ici aussi, le terroir cause fort : vin structuré, bâti pour la garde. On lorgne vers Barbaresco en terme de puissance. Excellent !
Valtellina superiore Sassella 2011 Terrazzi Alti : un peu de végétal noble et racé (notes de racines tubéreuses, chinotto), qui le fait ressembler aromatiquement à la Riserva 2012 de Dirupi. On retrouve cette personnalité en bouche avec de la tension et de la maturité, des agrumes, de la longueur, de la réserve, le terroir parle encore. C’est un très bon 2011.
Sforzato « Corte di Cama » 2012 Mamete Prevostini : assez caramélisé dans le parfum mais plutôt net pour le type, il se montre plus convaincant que le vin sec du domaine gouté ce soir là (Cf. infra). Dans le type habituel de l’appellation, c’est un vin riche, ample, sexy, rehaussé d’un peu de bois, mais ses fortes proportions et son côté puissant, volontaire, l’équilibrent.
Sforzato « Vigna del Picchio » 2011 Sandro Fay : nez renversant de truffe melanosporum, avec des notes de groseille confite et de châtaigne sous-jacentes d’une gourmandise unique ; et le tout dans un registre frais ! Grande bouche incrachable, sapide, juteuse, étonnante car conservant des sensations de terroir et une identité valtellinese malgré le passerillage. Sublime vin de vigneron, de terroir et de caractère. Une référence absolue pour l’appellation, et surtout un modèle !
Nous avons également dégusté les vins suivants :
- Valtellina superiore Riserva « Maroggia » 2011 Assoviuno
- Valtellina superiore Inferno Riserva 2009 Rainoldi
- Valtellina superiore Grumello 2011 Alberto Marsetti
- Valtellina superiore Grumello 2009 Gianatti
- Valtellina superiore Ortensio Lando 2010 Faccinelli
- Valtellina superiore « Vigneto Fracia » 2007 Nino Negri
- Valtellina superiore Sassella « San Lorenzo » 2009 Mamete Prevostini
- Valtellina superiore Riserva « Stella Retica » 2006 Arpepe
- Valtellina superiore Sassella Riserva « Rocce Rosse » 2005 Arpepe
- Sforzato « Corte di Cama » 2012 Mamete Prevostini
- Sfursat « Fruttaio Ca’ Rizzieri » 2008 Rainoldi
- Sfursat « 5 Stelle » 2005 Nino Negri
Nous adressons un grand merci aux deux protagonistes de cette dégustation, qui nous ont donné envie de suivre l’aventure passionnante réinitiée aujourd’hui par ces grands vignerons et ce fascinant vignoble de montagne. Pour approfondir, nous vous conseillons l’excellent et très complet site du Consortium de tutelle des vins de la Valtellina.
Comment
Article très intéressant sur les vignoble d’altitude. Une petite remarque pour en avoir moi-même fait l’expérience avec le Dr. José Vouillamoz – voici mon explication constructive :
Les grands spécialistes des cépages – MW Jancis Robinson et le Dr José Vouillamoz ampélologue, ainsi que Julia Harding – auteurs de Wine Grapes : la nouvelle « bible » des cépages mettent des majuscules à tous les noms de cépages, même lorsqu’il s’agit de mots doubles comme Cabernet-Sauvignon…
http://academievin.com/pressrelease.aspx?cid=94&lid=2&eid=12&clid=14&ctid=6
Je le sais de la bouche même de José Vouillamoz qui m’a conseillé de corriger tout ce qui est publié sur mon site…
Il saura vous le confirmer à l’adresse :
José Vouillamoz