Une nuit, Pirotte est ainsi parti en exploration autour de sa cave, voyage inouï, dont, scaphandrier des abysses, il nous ramena ce petit joyau, cette méditation, Expédition nocturne autour de ma cave.
Pirotte, c’est un peu notre Xavier de Maistre contemporain, il voyage immobile, il involue, déroute, décrypte, accompagne, illumine, persévère dans son essence de grand libertaire comme ce rosé de Marsannay qu’il évoque et qui « persévère dans son essence montagnarde ».

On se délecte à lire ce petit livre jubilatoire, à partager ce foisonnement de la vie, des rencontres, des sortilèges, avec Pirotte le désenchanté qui continue de célébrer l’amour vrai du vin même si « toute fête est perdue. Le vin se prostitue dans les coulisses des théâtres boursiers. »
Dans l'empyrée personnel de Pirotte plane, au-dessus du monde, des contingences, des fadaises, le jaune mythique, le château-chalon. Comme une préface à l’éternité ! Un homme qui a de telles passions ne peut être que sanctifié :
« La seule idée que nous ayons de l'infini (" tout ce qu'on appelle infini m'échappe ", disait Rousseau), c'est sa figuration algébrique, le huit renversé comme un sablier qui ne mesure plus le temps. Que l'on débouche un clavelin de château-chalon plus que centenaire, que lentement on verse dans la carafe l'or liquide, sans jamais en épuiser les parfums (les insondables parfums, dirait le pédant que je suis un peu), et que se répande dans la chambre doucement durant des heures d'attente le mystère odorant de ce miel qu'aucun souffle n'évapore, on est saisi par le sentiment de percevoir un miracle, non pas celui d'une jeunesse incongrue, ni d'une étrange longévité, mais bien d'une espèce de permanence ou d'entêtement d'un réel impalpable, et c'est comme si, d'une boucle à l'autre de l'oméga, on venait de transvaser l'infini. »
C’est là dans cette lente marche d’approche, dans ce dépouillement de l’essentiel que Pirotte, l’exilé, est grand.
Et l’on a plaisir à s’inviter dans cette quête, à descendre les marches, à entrer dans cette pénombre : chercherions-nous aussi une consolation, à fixer l’errance ? Weiss ich nicht und wozu Dichter in dürftiger Zeit ? Ses paroles résonnent, étrangement, en écho de l’élégie « Le pain et le vin » d’Hölderlin. Oui, pourquoi des poètes en ce temps de détresse ?
« Le vin, la littérature, la peinture, la musique, la philosophie même ne sont pas des ornements de la vie. Ils sont la vie même, qui n'est tissée que de confidences. Nous n'existons que dans l'à-peu-près, l'instable, le précaire et l'insoupçonnable. Nous ne pouvons compter que sur une planche de salut, où cependant nous redoutons de nous aventurer, car elle apparaît plus menacée, plus risquée encore, que nos certitudes mesquines et le sentiment taraudant de notre dépossession. »
Le livre Jean-Claude Pirotte, Expédition nocturne autour de ma cave, Ecrivins, Stock, 2006. 88 p.
Pour en savoir plus sur Jean-Claude Pirotte, je vous renvoie au site personnel d’Amancio Tenaguillo y Cortázar.
* PS Ce texte sur Pirotte était déjà écrit au moment où j’ai appris la libération d’Ingrid Bettancourt. Six ans de détention ou d’exil des deux côtés, une libération et une histoire d’évasion de part et d’autre mais la comparaison s’arrête là.
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Cher Jacques Perrin,
Quel plaisir ce matin, en regardant mes statistiques. Double plaisir, même. Puisque non seulement je vois que vous parler de Pirotte dans votre blog mais qu’en plus vous me faites l’honneur de citer mon site perso.
Je me doutais bien que vous finiriez pas nous faire un article sur JC Pirotte. Puisque vous aviez déjà évoqué les "Itinéraires spiritueux" de Gérard Oberlé. L’un est un ami de l’autre, l’un et l’autre se citent mutuellement. Pirotte a même dédié à Oberlé son dernier livre de poèmes : "avoir été".
Merci donc pour ce bel hommage que je transmettrai à l’ami Jean-Claude. (Il ne risque pas de vous lire autrement, n’étant pas adepte de ce qu’il appelle "le machin informatique" !) Il se fera sans doute un plaisir de vous répondre, avec comme il en a l’habitude une belle aquarelle, ou une encre, pour décorer l’enveloppe.
Mais attention, comme il est un peu votre voisin, il se pourrait qu’il lui prenne l’envie d’une expédition nocturne autour de votre CAVESA ! Vigilance donc ! C’est la moindre des précautions avec le pirate Pirotte !
Je vous donne rendez- vous fin 2008/début 2009 pour la parution aux éditions Le temps qu’il fait, à Cognac, de l’ouvrage "Le vin des rêves" consacré à Pirotte. J’y travaille.
Et avant, Pirotte doit sorti un roman en septembre à La Table Ronde.
Cordialement
ATC
Me relisant, mais trop tard, je constate quelques coquilles dans mon texte. Je m’en excuse auprès des internautes qui ont plus de rigueur que moi et qui prennent le temps (et la politesse) de se relire !
Je suis ravi de constater cette liaison entre Pirotte, Jacques Perrin et Amancio Tenaguillo de Cepdivin.
Très proche de vos deux site / blog cela me fait tout simplement plaisir.
J’en profite et ajoute cette citation de Pirotte:
«J’aimerais bien raconter cette histoire: ma vie avec le vin.
Je parle à mes amis: buvez du vin. Mais c’est à moi que je parle aussi:
bois du vin, bois du vin ce soir et tous les soirs.
Cependant, ne bois pas seul, jamais. Et ne bois qu’avec ceux que tu aimes.
Ou encore, ne bois qu’avec celle que tu aimeras.
Tu l’aimeras si le vin tout à coup scintille dans ses yeux,
si la couleur du vin s’éveille entre les doigts qui s’approchent du verre,
et si toi, brusquement, tu découvres en la regardant pencher un peu la tête
et se sourire à elle-même, tu découvres au vin que tu croyais connaître
des arômes sans précédents et des saveurs impossibles.
Ce sera la musique du vin.
Je crois, oui, je crois que la vie, le vin, ne cessent de nous ménager des surprises
en nous restituant le passé, l’enfance, les belles images au détour d’une ruelle,
ou dans l’éclat soudain de l’automne jaillissant d’un vignoble.»
Jean-Claude Pirotte – Autres arpents
Amitiés à vous deux Philippe
"on est saisi par le sentiment de percevoir un miracle, non pas celui d’une jeunesse incongrue, ni d’une étrange longévité, mais bien d’une espèce de permanence ou d’entêtement d’un réel impalpable, et c’est comme si, d’une boucle à l’autre de l’oméga, on venait de transvaser l’infini"
Cela me remémore le Lafite 1959 dégusté lors de mes 40 ans en 1999. Du temps liquide !
Les êtres humains ne pensent plus, donc n’existent plus, le temps se fige, se dilate. C’est proustien !
Autre sensation de l’infini : l’éclipse totale de soleil de 1998 en Guadeloupe. La magie nous a saisi lors que les derniers rayons du soleil ont filtré à travers les cratères lunaires, provoquant l’effet de diamant. L’éternité à "duré" près de 3 minutes. Le deuxième éclat de diamant l’a brisée.
Christian Rausis
Émotion, sensation tellement humaine…
Christophe
Bonjour Amancio : merci pour votre message. J’attends Jean-Claude Pirotte avec grand plaisir !