1994 : assez pur et normalement évolué pour l'âge, sur des nuances de tabac qui rappellent le mourvèdre et épicent considérablement le bouquet. La saveur rejoint les arômes, vin classique de forme, très bonne structure, tanin à la fois soyeux et délicieusement granuleux. De port ferme, il finit frais, avec un alcool très bien contenu dans le corps. Beau vin de 16 ans d'âge, qui plus est, issus de vignes encore très jeunes (6 ans) !
1995 : bouquet peut être encore plus défini et plus lisse que le 94, sur des touches de suie plutôt jolies. Corps sinueux, tanins soyeux, vin de forme élégante et de toucher de bouche velouté. Une légère touche animale diversifie la saveur déjà épicée. Prêt et apaisé, il est pleinement à boire… à table.
1996 : un nez plus froid, avec également des notes de viande crue, de cuir frais. En aérant le vin, le bouquet s'épice là encore sensiblement, avec d'étonnantes notes de muscade. Si l'attaque est bien languedocienne avec une sensation de liqueur, la saveur est relativement évoluée et le tanin un peu à nu, étiré, froid. Vin droit, peut être un peu filiforme mais qui porte de belles rides et tient encore debout.
1998 : passé un premier nez aux notes intenses de musc, on découvre une bouche puissante, opulente et volontaire. Corps lisse et suave qui donne à l'ensemble une forme ramassée, plus qu'allongée. Généreux et semblant à son apex, il est à boire sur une cuisine méditerranéenne qui joue sur les cuissons lentes. Sucs de viande bienvenus…
1999 : difficile d'avoir un consensus car les deux bouteilles ouvertes différaient : la mienne présentait un nez de cuir frais évoluant sur des nuances de caoutchouc brûlé. Attaque chaleureuse et expansive, allonge sur une impression de salinité et d'acidulé qui peut faire penser à un début d'expression de terroir calcaire. Par contre l'alcool s'intègre moins en finale que sur d'autres années plus corsées. Mais on chipote…
2001 : grandeur totale de la Grange des Pères : bouquet kaléidoscopique qui réussit le pari d’associer la mangue, la merise, la réglisse, le poivre, la menthe. Magnificence de la bouche avec une harmonie tannique totale, le grain se fond dans le corps malgré sa haute sapidité et salinité, et l'ensemble se paie le luxe d'être suavisé par un élevage de premier ordre. Un des plus grands rouges français du millésime, il exsude sa terre natale.
2002 : moins d'intensité aromatique que 2001 mais on conserve une vraie précision sur des nuances d'eucalyptus. Trame tannique détendue, légère pointe herbacée dans le grain qui signe la difficulté de mûrir le raisin dans ce millésime maltraité par des pluies abondantes, début septembre. Mais le vin ne décroche pas et se paie le luxe de présenter une allonge très respectable. Un des plus beaux Languedoc du millésime, et de loin.
2003 : note de pêche rôtie typique de l'année, avec également de la fraîcheur et du fond par delà. Corps suave dès l'attaque et qui ne décroche pas, plus loin. Vraie plénitude dans un goût un peu exotique, on admire le prolongement de la saveur. Légère astringence et retenue de finale qui lui donne encore au moins cinq belles années devant lui. Difficile de trouver un meilleur rouge dans la région et sur le millésime, là encore.
2004 : étonnantes notes de fleurs séchées, avec une pointe d'abricot qui signe une parenté stylistique évidente avec le 2001. C'est un vin drapé et construit autour de tanins surfins, qui lui confèrent un raffinement sans pareil dans la région. On adore son velouté de finale et une fois encore sa grande sapidité (qui semble s'accentuer au fil des millésimes, comme si le terroir gagnait en expression). A rechercher d'urgence !
2005 : millésime de maturité et de concentration, ce vin nuance toute la palette de réglisse, tirant même sur la mélasse, et le pain d'épices. Puissant et fougueux dès l'attaque, sa trame est intransigeante. On retrouve aussi ce goût acidulé si particulier. Allonge splendidement enrobée. De forte corpulence, il a la retenue nécessaire pour exploser dans les dix prochaines années. Un futur « 2001 » ?
2006 : seul vin de la soirée servi en magnum, ce 2006 nous a étonnés par une petite note de colle qui le rendait difficile à cerner. Par delà, des nuances appuyées de romarin ne demandaient qu'à émerger. Bouche de construction similaire aux millésimes antérieurs, mais avec un décrochement qui confirme la probable déficience du bouchon. Quel dommage…
2007 : récemment mis, ce vin juxtapose à l'heure actuelle une somme de qualités qui pourraient bien en faire un futur must : nez opaque à la parenté de style proche du 2005. Grande suavité de l'attaque suivie d’une fermeté et d’une austérité érigée, l'élevage appuyant légèrement le fruit et la délicatesse du grain à ce stade. Les composantes doivent se lier et s'harmoniser, mais la dotation est terrifiante ! A suivre.
Remerciements chaleureux à la famille Vaillé, et tout particulièrement à Laurent, qui a fourni ces vins après les avoir façonnés avec une application émouvante. Mais aussi à Nicolas Bon, qui a animé cette dégustation avec brio.
21 Comments
Superbe !
Intéressant ce choix de partir des vins les plus vieux.
Bu la Grange des Pères rouge 2001,il y a quelques années à l’Auberge du Prieuré à Moirax chez Benjamin et Agathe Toursel,immense souvenir,et le dit flacon était proposé à 61 euros sur table,qui dit mieux dans l’hexagone?
Si vous passez dans le Lot-et-Garonne,arrêtez-vous un moment,bon du 01 y en n’a plus,mais entre la cuisine et la cave,y a de quoi faire…..
On y mange bien en effet …
Bcp de superbes 2001 en ce moment : Charvin, Rayas, Trévallon …
Belle dégustation en effet… Merci Nicolas (x2) de nous la faire partager!
Passé un peu à côté d’un 2006 récemment, sans problème de bouchon, mais très fermé et du coup le bois se faisait davantage sentir. Il restait bon mais pas plus (et pourtant je ne suis pas objective, parce que La Grange des Pères est un vin que vraiment j’adore).
Le 2005 est superbe oui!
Laurent: du moins puissant au plus puissant (j’aime bien déguster dans cet ordre d’ailleurs).
Anne-Laurence,
Du plus complexe au moins complexe, ce qui m’ennuie un peu …
Souvenir d’un superbe 92 bu chez Michel Bras.
Je place les vins de Laurent Vaillé au sommet de la production languedociennes.
Récemment : superbes 96 et 98.
Me souviens de ma 1ère découverte de la Grange des Pères,ça remonte à vieux,6 ou 7 ans,un 96 rouge, bu à la Maison Borie chez Manu Viron à Lyon,un frisson chère la dite bouteille et bue trop jeune,mais un bon souvenir avec la cuisine inspirée du chef.
En parlant "d’adresse à GDP", je l’ai trouvé à 70 et quelques euros la quille…et plus étrange à 12€ le verre dans un endroit étonnant…à Aigues-Mortes….au Dit-Vin.
Un petit repaire sympathique dans un lieu over-touristique, trouvé au hasard-total, une ambiance bistroy avec une cuisine simplette…bref une adresse bien étrange mais fort agréable quand on est parti pour se faire assaisonner dans un bouge à touriste.
Bu donc ce jour de Juin 2009,un (grand) verre de Rouge 2004, j’ai noté "excentrique et extatique pour la région, complet et construit, un tombeau de fruits frais, d’épices chaudes, de tomates mûres et d’olives de tout pays".
Verticale 2002/1992 (effectuée en mai 2005) :
http://www.invinoveritastoulouse...
Laurentg,
Du plus fin au plus puissant (et certainement pas le moins complexe), pour ce cru c’était l’idéal. Précisons que les vins étaient servis par série (94 et 95 d’abord, puis par trois)
GDP 2004, bu cette semaine avec Armand et Nicolas, au restaurant « le comptoir des Tontons » à Beaune. Fallait bien « dépoussiérer » une bouteille du Languedoc dans un restaurant Bourguignon ! Et puis comme c’était la première d’Armand, nous ne devions pas rater cette occasion (79€ sur table, 65 pour le 2002, c’est très raisonnable). Elle paraissait étonnamment moins évoluée que celle dégustée la semaine d’avant mais elle présentait toujours autant de séduction et d’évidence. Un millésime parfait à boire aujourd’hui (mais j’ai tendance à penser ça à chaque fois que je bois une Grange, quelque soit le millésime !)
2006, un millésime qui me parait plus sévère, plus stricte que ceux qui l’entourent. Un décrochement dans l’excellente régularité des vins du domaine ? A suivre…
OK
Passé un bon moment aux Tontons, lors du dernier voyage.
VdT Anglaore Véjade 2007 et Crozes Dard &Ribo K Les Carrières 2007, tous 2 irréprochables !
🙂
On passe toujours un bon moment aux Tontons, qu’on se le dise !
😉
Au delà de la montée en puissance, l’idée était aussi de suivre l’histoire du domaine, de ses (presque) débuts au dernier millésime mis en bouteille.
La GDP 2004 bue cette semaine aurait pu se passer de commentaires, mais le vin était tellement beau et bon que l’on a devisé dessus pendant une bonne heure.
L’on se rappelait alors la phrase de Frank Schoonmaker, initialement prononcée à l’égard du grand Montrachet : "ce n’est pas un vin, mais un évènement."
Un vin devrait toujours être un événement! Que ce soit comme l’oeuvre d’un artiste (où s’inscrit indéniablement Vaillé) ou comme un vecteur de convivialité ou juste comme un plaisir sybaritique…
Chère Caliopée,
je le qualifierais davantage d’ Artisan !
C’est marrant, le peut-être futur "Vaillé" du Beaujolais m’a dit vendredi soir dernier, après plus de 3 heures de discussion et dégustation : "tu vois, après avoir vendu pendant des années les plus grands vins du monde, pour avoir beaucoup côtoyé et travaillé avec les vignerons qui les font, et pour ne faire aujourd’hui du vin que depuis 4 ans, je me dis que tout cela, vraiment, ça n’a rien d’artistique. C’est autre chose. Bien autre chose".
Ce qui nous renvoie à l’éternelle question : où l’art commence-t-il ? Dans la main et même le cerveau du sculpteur ? Ou dans l’oeil du public ? Je te laisse transposer au vin…
…et te souhaite – pour finir – de boire un jour la cuvée d’Elian Da Ros nommée "Le vin est une fête" !
Cher Nicolas,
Historiquement, l’artiste au Moyen-Age était considéré comme un artisan et le savoir-faire comme une tangente au métier. Dès la Renaissance, il est progressivement reconnu tant comme un homme de savoir que détenteur d’un savoir-faire. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que les deux statuts se différencient et que la notion d’artiste prend son sens moderne. Quant à Burgaud, il peut s’inscrire dans la lignée des artistes, à mon humble avis!
En réponse; l’idée de Kant dans « Le libre jeu des facultés individuelles» dit que « lorsque nous jugeons qu’un objet est beau, nous mettons sa représentation en rapport non aux déterminations de l’objet mais en rapport au sujet et au sentiment de plaisir et de peine de celui-ci. C’est la représentation et non l’objet qui est cause du sentiment de plaisir ou de peine. » Dès lors, l’objet n’est pas une œuvre en elle-même tant qu’il n’a pas été reconnu en tant que tel ou « affiché» en tant que tel. Ainsi, on peut prendre l’exemple d’un gribouillage d’un enfant de trois ans qui, dans le cadre où il est vu, n’a d’autre valeur que sentimentale. Alors qu’un même gribouillage, exposé dans un musée, prendra une tout autre dimension – d’où l’importance du lieu comme possible légitimation de l’œuvre. Dans cette idée, Bourdieu explicite « la magie de la griffe » qui peut « en s’appliquant à un objet quelconque, un parfum, des chaussures, voire, c’est un exemple réel, un bidet, en multiplier extraordinairement la valeur » -cqfd
Pour compléter; une œuvre d’art –la finalité du métier d’artiste- est à lire, selon E.D. Hirsch, écrivain et critique littéraire, selon un axe triple ; le sens (meaning), la signification (significiance) et son application (using). Si l’on prend l’exemple du bidet exposé par Duchamp, le sens qu’il donne à son « œuvre » est un critique envers le « ready made » et la dénomination d’un objet manufacturé par le seul choix de l’artiste. On se retrouve donc face à l’éternel problème de définition de soi-même (en tant qu’artiste), de l’œuvre (en tant que telle) et de qui a l’autorité pour confirmer ou infirmer ces affirmations. Donc, je ne pense pas trop m’avancer en disant que le viticulteur peut être vu comme un artiste -tout est question de définitions! 😉
Chère Caliopee,
je ne parlais pas de Jean-Marc Burgaud ! Il n’a jamais vendu de "grandes" bouteilles en tant que marchand de vin, et il fait du vin depuis le millésime 89 ! Je parlais de Fabien Duperray, du domaine Jules Desjourneys.
Merci pour la minute historique, par contre ! Pour continuer la réflexion, si ce n’est déjà fait je t’encourage à t’intéresser à la fontaine de Duchamp, ça prolongera le débat ; de façon un peu capilotractée certes, mais ça le prolongera. Le signifié et le signifiant ne sont pas loin.
Mais avant tout, il faut boire de la "GDP" ! Et les grands 2007 arrivent au CAVE, tout bientôt, mon petit doigt me l’a dit… (PUB)
😉
Comme on dit : les grands esprits viennent de se rencontrer !
J’ai découvert un millésime 2007
Quel bonheur de boire un aussi bon vin
La finesse en bouche et la rondeur en bouche en font un vin d’exception
Bravo !
J’ai découvert un millésime 2007
Quel bonheur de boire un aussi bon vin
La finesse en bouche et la rondeur en bouche en font un vin d’exception
Bravo !
Une sarl immatriculée en Charente achetait une citerne d’un excellent Bordeaux à 30€/litre puis l’exportait en Croatie où le nectar était embouteillé.
les flacons revenaient en France dans un domaine et étaient étiquetés…
Le champion revendait ensuite son nectar à 150€ la bouteille et pour l’aider certains specialistes criaient au miracle. ..
Enquête en cours…cela va faire du bruit dans le monde des amateurs de vins authentiques.