Deuxième jour : Weissenstein – Pierre Pertuis – chaîne du Montoz – Cabane des Rochettes
L’aventure est sous les spatules. Nous abordons cette deuxième journée sous une aube glorieuse mais incertaine. Elle fera bientôt place à un jour opalescent. Nous avons laissé Schubert au vestiaire et Gentizon des oiseaux, muni de nos bagages, poursuit sa route parallèle pour nous retrouver ce soir à la cabane des Rochettes.
En moins d’une heure le temps a changé. Notre guide nous avait prévenus : « ici, la météo est capricieuse, même si tu connais bien les lieux, tu peux facilement t’égarer. Je conseille à tous les aspirants-guides de venir passer quelques jours dans le Jura pour apprendre à s’orienter. »
Nous vagabondons, cisaillons, zigzaguons par d’obscures sentes parmi les forêts du Geissflue. Le brouillard s’enhardit. Il nous cueille lorsque nous arrivons au Hasenmatt, plus haut sommet des environs. Staro signe le livre de passage. Sans doute a-t-il eu un mot pour la bande à Chappaz passée non loin d’ici et qui, en 1976, a accompli l’intégrale, de Bâle à Genève, en 11 jours.
Une courte descente jusqu’à l’Althüsli. Une ferme-auberge apparaît tout à coup dans une trouée. Cette vision de bœufs placides aux allures de Wagyu, venant à tour de rôle se faire masser sous des rouleaux automatisés, nous ramène au Japon.
Nous rejoignons ensuite le chemin qui traverse le Küferegg et la Wandflue. Pendant une dizaine de km nous chevauchons la grande étrave du plissement jurassique, tantôt à ski, tantôt à pied lorsque le chemin devient plus escarpé. Fin des clédars, des fils de fer, des barrières, des clôtures. A nous la grande vague, l’élan, le surf hivernal sur cette ligne de crête bordée de dérupes et de sapins frondeurs, entre Granges et Moutier.
En été, l’endroit doit attirer de nombreux randonneurs. En hiver, par contre, surtout par mauvaises conditions météorologiques, les passants sont rares. Parfois, dans le brouillard tenace, on devine une présence, un souffle. On effleure un silence. On rumine dans les marges du temps.
Et puis, en début d’après-midi, cette forme d’épiphanie. Dans les environs d’Obergrenchenberg, tout se rassérène, tout devient simple, évident. Le soleil sculpte les reliefs. Le paysage reprend ses droits. Nous nous retrouvons en équilibre sur ce belvédère, penchés au-dessus du vide, affamés presque.
Une longue glissade dans un val verglacé, neige tantôt râpeuse tantôt mouillée. Une petite remontée à flanc de coteau et nous franchissons une frontière invisible. Voici le canton de Berne.
La caravane s’est immobilisée. « Il nous manque quelqu’un !»
Ça arrive. Pepone nous avait prévenus : » on se perd facilement dans le Jura… »
Finalement tout le groupe se retrouve à l’Hôtel Pré-Richard Harzer non loin de Court, partageant une fondue façon « île flottante » avec un Johannisberg de Chamoson.
« En route ! Sinon nous allons arriver à la nuit au refuge ! » Le guide a raison. Il est 16.00. A vol d’oiseau une dizaine de km nous séparent encore de la cabane des Rochettes où nous passerons la nuit. Il faut se remettre en chemin dans cette lumière d’hiver qui nous enveloppe d’un manteau invisible.
Tout à l’heure, du côté du pré Ménori, celle-ci disparaîtra, la morsure du froid se fera plus vive. Lancés sur la trace d’un loup ou d’une chimère, nous continuerons de tailler la route à travers les grandes orgues des bois, à la recherche d’un point lumineux sur la crête du Montoz. 586.950 / 229.400 Altitude 1328 m. Nous y sommes ! Le gardien de la cabane des Rochettes et Gentizon des oiseaux nous attendent. Le feu crépite dans la cheminée. Fin d’une magnifique journée et de la deuxième étape de notre traversée.
L’inspiration et le souffle : Maurice Chappaz, La Haute Route du Jura – de Bâle à Genève à skis. Avec un itinéraire complet par le guide Jean-René Affolter. Photographies de Marcel Imsand. Editions 24 Heures
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