Des enfants, des souvenirs, une empreinte; des mots, des gestes, des œuvres, une présence. Tous, nous voudrions laisser une trace. Dessiner l’arabesque pure, effleurer l’idéal, tracer une ligne au cœur de la vague, dans la blancheur de la combe neigeuse, sur la crête irisée de la dune. Au risque parfois de s’y perdre parce qu’il y va de l’intensité de nos vies, du sillage qu’elles laisseront quand nous aurons disparu.
La scène commence dans le sud du Wadi Rum, en Jordanie. Elle pourrait avoir lieu n’importe où, ailleurs, dans un lieu isolé de notre planète. Le genre d’endroit où l’on vient pour se décanter, entrer dans une autre durée, un territoire sans balises. La rumeur du monde s’est estompée. Pas de réseau, pas de contrainte, aucune urgence.
Au bivouac, les étoiles scintillent d’une manière particulière, les villes ne leur font plus écran. Pour alimenter le feu, chacun a collecté du bois sec comme on fait provision de rêves avant la nuit. On lie connaissance. On ramène avec soi un peu de la vie d’avant, qu’on défroisse, puis qu’on oublie momentanément.
Nous ne sommes que des passants. Un petit groupe de randonneurs unis par la même approche, découvrir cette région à la culture multimillénaire, et traverser à pied une partie du désert pour rejoindre Pétra, la cité secrète des Nabatéens, la sentinelle du temps!
Pendant plusieurs jours, nous vivons au présent, à l’heure du vent et du grès pulvérulent. Nous cheminons de concert d’un djebel à l’autre, par d’invisibles sentes que les Bédouins connaissent par cœur.
L’un d’entre nous suit pourtant un chemin parallèle, parfois éloigné du nôtre de plusieurs centaines de mètres. Féru de technologie, il sait à chaque instant exactement où nous nous trouvons, à quelle altitude, combien de kilomètres nous avons parcouru et, sans doute, le nombre de calories brûlées.
Un adepte de la quantification de soi sur la route des caravanes qui transportaient autrefois l’or, l’encens et les épices.
Disciple sans le savoir du philosophe Foucault, notre marcheur du désert est entré dans la tâche infinie de «s’éprouver, de s’examiner, de se contrôler» en permanence.
Pourquoi? Sans doute pour accéder à une forme nouvelle de vérité du sujet où ce que l’on est capable de faire et la trace que l’on en garde déterminent, même d’une manière illusoire, ce que l’on est.
De retour dans son pays, il nous livrera d’ailleurs la clé partielle du mystère à travers ce message laconique: «Salut, ci-joint la trace GPS de notre circuit sur Google Earth (désolé je ne sais pas la séparer des traces de mes autres voyages)».
Article paru dans 24 Heures, le samedi 16 janvier 2013
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