Comment dire les harmoniques, les arpèges du goût et comment décrire le temps du vin, cette pulsation légère, cette profondeur de surface où nous emporte tout moment de partage ? Je ne sais le faire. Personne n’a commencé à le faire. Ah ! si ! Proust, sans doute, dans un autre registre, quand il décrit le « festin des bêtes merveilleuses » à Balbec. Nous sommes tous des bêtes merveilleuses qui rêvons parfois d’être des anges. Il nous arrive aussi d’être « sérieux comme le plaisir. »
Alors, voici, une tentative de description d'un autre de ces festins…
On pourrait commencer par cette lumière : elle fait irruption tout à coup après un grand coup de froid et des jours encerclés de brouillards mélancoliques mais tenaces. Tenter de la décrire, diffuse, allègre, descendue des montagnes en rais obliques, qui s’invite à la partie, perce le vitrage, poudroie sur les objets, semblant réchauffer délicatement la pièce, comme si elle contenait en elle toutes les promesses de la journée.
Les amis sont là, venus de France, d’Italie, des confins. Un premier verre de champagne – la cuvée Winston Churchill 1996 de Pol Roger – et déjà nous happe le tourbillon des conversations, la joie des retrouvailles : chacun fait partie d’un ensemble fascinant, complexe, qui a le charme de l’imprévisible : parfums, grain des voix, musicalité des mots, gestes de chacun, perçus comme uniques, mais qui pour la plupart furent imités ou appris – telle façon de se tenir, d’accompagner son propos d’une forme de trait dans l’espace, en le découpant, comme un chef d’orchestre soulignant tout à coup un changement de tempo.
Dans l’Immortalité, Kundera rapporte qu’il est improbable que chaque individu ait son propre répertoire de gestes, compte tenu du fait que notre planète a déjà vu passer quatre-vingts milliards d’êtres humains. Il va plus loin, affirmant même qu’il y a moins de gestes que d’individus.
Que chacun soit individualisé ou pas jusque dans ses gestes, seul importe pour nous ce qui vient de commencer, ce moment qui n'est pas fixé, cette lente circonvolution des êtres autour d’un astre invisible que nous recherchons tous et qui porte des noms aussi différents que : ataraxie, plénitude, joie… On pourrait citer également ce vieux mot, plutôt galvaudé, de la langue française : "bonheur". Un mot qui a trait à la chance mais dans lequel on ne peut s’empêcher d’entendre aussi la bonne heure qui passe.
Celle-ci prend maintenant la forme d’une pure splendeur, le Chablis Les Clos 1990 de Vincent Dauvissat, profond, miellé, empli d’une énergie cosmique.
Maintenant ? Il suffit de saisir sa chance. Tenir son bonheur entre ses mains, est-ce possible ? Sommes-nous occupés à autre chose que ceci, dans nos vies et en dehors : capturer l’instant, l’attraper, le saisir par les cheveux ! Kairos est ce point d’inflexion, la présence du présent, cette dimension originale du temps que les Grecs anciens avaient conceptualisée sous ce vocable.
Vers la fin de sa vie, Einstein lui-même s’est beaucoup intéressé, paraît-il, à cette question de la présence du présent. Elle est en tout cas au cœur de la question du goût : savourer n'est-ce pas coïncider totalement avec l’instant, aimer sans souvenirs ni projection ?
Continuons à explorer le temps, les seules limites fixées étant celles de la Bourgogne. Le repas s’est installé. Après les cuisses de grenouilles et les Chevalier-Montrachet 2002 et 2005 de Jadot, on file vers la cuisine, l’Agra ronronne, chaude, rutilante, insufflant son rythme au repas. Pas d’urgence. On passe d’un climat à l’autre. Trois 1976 pour suivre, un Corton Rognet de Chevalier Père et fils, un Chambole-Musigny Les Amoureuses de Voguë et une sublime La Tâche. Connaît-on à ce point son bonheur ? Un Vosne-Romanée 1993 d’Henri Jayer sera une transition idéale. Vers quoi ? Rien de prémédité là-dedans, juste une impulsion subite, une folie à plusieurs.
Notre hôte s’en est allé quérir dans les profondeurs une bouteille secrète. On hume. C’est une essence de vin. La scène ressemble à un tableau. Intérieur hollandais et poêle en faïence. Toujours cette lumière, plus légère, vaporeuse. Prélude to a kiss. Nuances florales d’une grande pureté, réglisse et rose ancienne et bouche céleste, comme un bonheur tangible. Rien n’a commencé, rien ne se termine. C’est maintenant. Silence.
Merci l’ami !
Les balises de ce "maintenant"
Champagne Pol Roger, Cuvée Winston Churchill (magnum)
Chevalier-Montrachet « Les Demoiselles » 1992, Jadot
Chevalier-Montrachet « Les Demoiselles » 1993, Jadot
Chablis Les Clos 1990, Dauvissat
Corton-Rognet 1976 (magnum) Chevalier Père et Fils
La Tâche 1976, Domaine de la Romanée-Conti
Chambolle-Musigny 1976 Les Amoureuses (magnum) De Voguë
Romanée-Conti 2007, Domaine de la Romanée-Conti
Château-Chalon 1959, Fruitière Viticole
Domaine des Beaumards 1964, Quart de Chaumes
Pinot Gris 1999, Rangen de Than, Zind-Humbrecht
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Vraiment de belles topettes, pour sûr !
Du coup, je me pose la question : à ce niveau d’excellence, est ce qu’un vin est pénalisé quand il suit un chef d’oeuvre ? En d’autres termes, peut-on envisager une dégustation de ce type où il y aurait aussi un Haut-Brion ou un Margaux ou Ausone sans que cela ne diminue les qualités du précédent ou du suivant ?
Peut-on dire qu’à tout haut niveau, chaque vin est tellement un sommet qu’il arrive toujours à s’exprimer au mieux, quelque soit son environnement d’autres crus ?
Quand on lit par exemple les dégustations prestigieuses qu’organise régulièrement Kevin Shin aux USA, et où on voit des bordeaux, des californiens, des bourgognes et autres, cela semble ± possible.
Ton avis, Grand Jacques ?
Bien évidemment tous nous attendons haletants,votre jugement sur la fille appelée Georges , découverte par Ndr. Pour vous faire une idée, voici un court extrait d’un de ses derniers billets (ce n’est pas le pire):
"Le chemin de fer de mon journal du jour invite à des pensées virginales, des routes que personne encore n’a eu le temps de souiller de ses pas, de ses roues…
Les uns après les autres, des tunnels avalent des passagers vaseux perdus dans la musique secrète qu’ils ont choisis pour réveiller un à un leurs sens engourdis. Mes oreilles claquent, directement reliées à mon regard qui se fronce.
Le squelette des arbres provoque une inquiétude pour la pudeur des oiseaux les plus hardis qui chercheraient une planque sure. C’est mort les mecs.
Un clocher me récite un poème de rimbaud dans le désordre, les mots m’arrivent comme des numéros des lotos mais sans la peur de devenir riche.
[On pourrait là faire une digression sur la richesse matérielle/ immatérielle… Les élucubrations sans fin qui finissent en conneries poetico-merdiques]
Je préfère le ravissement con de partager ce voyage avec Leslie.
………
Je te présente l’ecran de fumée, mon arbre préféré, le calme des chemins blancs, le château sans princesse qui attend qu’on la sorte de son ennui, pendant que les heures passent, éternelles,…….."
j’aurais bien proposé un titre "mémoires d’une locomotive à vapeur"
vous noterez qu’à rimbaud pas de majuscule, c’est inutile, ça va de soi!
Là,vaut mieux prévoir une édition à compte d’auteur, non? Pour le titre je renonce!:
"Les hommes parlent argent, pouvoir, mettre la misère à certains, mettre des carottes à d’autres.
D’autres serrent contre elles une glacière qui contient les restes de la veille accompagnés d’un yaourt.
C’est ce qu’imagine la partie la plus servile de mon imaginaire. Celle qui se plie à une pratique machinale comme elle se prête aussi à la machinerie implacable du pratique, gommant ce qu’il peut y avoir d’inspiré et de gracieux dans la vie, prise comme ça, sans aucune préméditation domestique.
Ces petits gestes qui ne peuvent se soumettre au contrôle.
La milice d’un quotidien bien huilé qui n’a pas le temps de ronronner nous impose cette mascarade de tupperware et les prévisions s’accumulent.
Par la fenêtre, des forets de givre et une lumière fière me font des promesses de printemps. Et je m’y accroche, je suis le givre qui attend une caresse tiède.
Entre mes deux oreilles le passé et le futur tressautent, m’envoient des charges électriques. Faux contact. Mes yeux traduisent la fatigue du larsen qui me traversent comme une lame chaude et précise.
Et les hommes font ce monde dont les femmes, dans le train, fatiguées, sous d’epaisses couches de make up, prennent des nouvelles ……….."
Bien entendu, les fautes diverses et variées sont de l’auteur(e)
François, tout est possible et les grands vins ne sauraient se faire de l’ombre. Après, il y a l’ordre, la gradation, le rythme, et peut-être aussi les vins-passerelles (pour passer d’une thématique de goût et de texture à une autre : par exemple de la Bourgogne à Bordeaux. Tout est possible mais une règle importante dans la "construction des séries" : privilégier toujours la finesse qui doit être l’apogée.
S… Je ne vois pas de quoi vous parlez, allez troller ailleurs. Merci.
S…. Un cheveux dans la soupe!!!
Complètement hors sujet.
S;;; il est grand temps que vous ayez un blog à vous, pour ne pas polluer celui des autres.
Merci Grand Jacques : j’aime beaucoup l’idée de vin de transit : à suivre.
Et finir sur la finesse et non la puissance… si c’est pas donner une préférence pour la Bourgogne;
Mais chut ! Ça reste entre nous 🙂
De ça:
HORS SUJET :
Ce diable de Nicolas m’a envoyé via son dernier billet, toutes affaires cessantes, sur le blog d’une Dame nommée Georges.
Je ne suis pas sûr de l’auteur du texte, est-ce Elle ?
Mais en tout cas, c’est une superbe lecture que même le Grand Jacques va et doit apprécier.
C’est ICI:
agirlcalledgeorges.blogsp…
Ah, mais c’est qu’il est malin et tenace, S…, il persévère, insiste, il veut savoir, connaître le fin mot de l’histoire.
Puisqu’il s’agit d’une lecture qui m’a été expressément recommandée par François Mauss, je suis allé voir : j’ai lu en diagonale.
Ai-je apprécié ? Suis-je à mon tour "énamouré en écriture" ?
Il y a deux façons de répondre. A la manière de Borgès : "les bons lecteurs sont encore plus rares que les bons auteurs…"
Ou, plus prosaïquement : tous, nous espérons, nous rêvons que Madame Georges soit disons aussi rapicolante que son joli brin d’écriture.
Pour le reste, c’est vous qui voyez… Bon, je sais, tout cela est très (trop) sibyllin !
"j’ai lu en diagonale": reçu 5 sur 5!.
Donc, comme disait Woody allen "je maitrise la lecture rapide, je lis "guerre et paix" en une heure, ça parle de la Russie", sauf que là, on ne sait même pas de quoi ça parle.
S……., vous devriez le savoir en le lisant, il ne faut jamais croire ce qu’on vous dit (*)
(*) Phrase célèbre dite à mon ami Maurice Rajfus par Lise London, alors qu’il venait de visiter Arthur London pour évoquer son procès (ceci m’a été rapporté par Maurice Rajfus lui-même).
S……., vous êtes à l’origine d’un flux de visiteurs qui n’a rien de déplaisant pour l’idiote que je suis.
Je vous remercie de mettre tant d’énergie au service de l’écriture bâclée et truffée de fautes que je mets en ligne.
C’était autrement dramatique, Armand, au coeur de tous les drames du XXème siècle, en tout cas, une femme exemplaire.
Pour ce qui est de votre ami Rajfus, il n’aimait pas les sujets faciles, dites donc!.
Pour être plus futile, pourquoi faire croire à cette pauvre fille (Georges) qu’elle a le début du commencement d’un talent, alors qu’on croit lire du Chantal Goya sous mescaline!
Je ne vous ai pas traitée d’idiote Georges, mais d’écrivaine indigeste, exemples à l’appui, ce n’est pas pareil!.
Dussé-je me répéter : S… je vous saurais gré d’aller "troller" ailleurs, l’océan est assez vaste pour cela !
Vous avez raison, votre bienveillance frisait la complaisance!j’avais pourtant mis un petit mot sympathique, il y a peu, concernant le site de Jehan, ce qui m’a valu des sarcasmes immédiats d’un de vos lecteurs préférés! Comme quoi! Le Luxembourg interdit, maintenant la Suisse je vais finir apatride!
http://www.youtube.com/watch?v=b...