Avec son ami Anselme Selosse, Francis Egly est peut-être le seul producteur champenois à pouvoir revendiquer le titre de vigneron culte. Les deux compères sont même sans doute à l’origine de ce que Jacky Rigaux nomme le réveil des terroirs dans la région, car ils furent parmi les premiers à bousculer positivement dans les années 90 les us et coutumes locaux en matière de viticulture et d’approche en cave, afin de produire moins mais mieux, reconnectant la vigne avec son sol et le vin avec son lieu. Avec opiniâtreté et exigence donc, Francis Egly a porté la maison familiale au firmament. En sa présence, nous avons dernièrement eu le privilège de réaliser une mini-verticale de son rare pinot noir tranquille, l’Ambonnay Grand Cotés, puis quatre années de son Brut Grand Cru millésimé, et enfin deux dégorgements du prestigieux Blanc de noirs issu d’une (très) vieille vigne !
Ambonnay rouge Cuvée des Grands Côtés : issu d’une vigne cinquantenaire exposée plein sud. Francis explique que c’est Michel Bettane qui l’a motivé quant à l’idée de produire un grand vin rouge de champagne. Il avoue que c’est une des cuvées par lesquelles il a le plus appris, en vigne et en cave. Elle demeure une petite production : 0.5 ha de pinots fins donnent un rendement moyen de 35 à 40 hl par hectare (des vendanges en vert ont lieu quasi chaque année afin de conserver 5 à 6 grappes par pied, avec près de 200 heures de travail à l’hectare). Les cuvaisons durent deux à trois semaines, après une petite macération à froid, mais il est à noter que la vendange arrive en cave déjà fraîche, climat champenois oblige. Les levures sont bien sûr indigènes. Les fermentations ont souvent lieu sous le chapeau, avec quelques pigeages en fin de macération. Dès que les vins sont secs, ils sont décuvés. Progressivement, Francis Egly revient partiellement sur des raisins entiers pour ses cuvaisons ; sur les derniers millésimes, on est +/- à 50% de grappe entière. L’élevage de 22 mois a lieu sur lies : il faut passer d’après lui deux étés en cave afin que le vin se mette bien en place. La mise a donc lieu sans filtration. Bon an mal an, il est produit entre 6 et 8 pièces. Pour lui, le premier grand millésime est 2002 et l’optimum de dégustation de son vin apparaît après 4-5 années de garde, pour se prolonger bien sûr.
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1989 (réalisé par le père de Francis) : nez tertiaire sur la chanterelle, les agrumes, la terre humide. Bouche suave, alanguie, souple mais pas maigre, plus intéressante que le nez. Le vin est assez long et plutôt flatteur, bonne bouteille et beau témoignage du passé, du temps où la viticulture et l’approche était autre.
1995 (arrivée de Francis et premiers essais) : kirsché, sur les fruits rouges, un peu réducteur et lactique. Il gagne en pureté et fruit à l’air, on va vers l’orange sanguine. Attaque sensiblement carbonique (à l’époque, il avait calqué sa démarche sur la Bourgogne, avec une mise deux printemps après la récolte qui ne permettait pas d’élever et dégazer suffisamment son vin). Il a plus d’acidité et de rusticité que le suivant mais se goûte aussi aussi plus jeune.
1996 : joli nez sur l’encens, la réglisse, les fruits noirs, assez classe même si moins dense et précis que les vins plus récents. On retrouve la fraîcheur et l’acidité en bouche bien à l’image du millésime. Il est évolué mais pas trop, avec une texture à la fois charnue et tendue. Finale un tantinet raide, mais il serait encore plus à l’aise à table.
2009 : vin sensiblement plus expansif et solaire que les plus vieux, mais il est vrai que l’on fait un saut dans le temps et que l’année fut chaude. Il se présente gras, opulent, avec un toucher très agréable. C’est un vrai vin de bouche, avec une finale crayeuse, très terroir, juste un peu moins précis dans l’élevage que 2011 et 2012. Mais c’est très bon, on chipote !
2011 : premier nez de végétal noble (quinine, Suze) : le raisin est moins mûr que sur 2009 ou 2012, c’est un fait, mais le vin évolue sur des senteurs nobles de rose ancienne qui nous font dire qu’il va sans doute évoluer positivement, à la manière de certains (grands) Bourgogne 2004. En bouche il est l’archétype du faux maigre, long, sinueux, parfumé, fragile mais attachant. Il n’est pas parfait mais surprendra sans doute à la garde, comme le 2001 en son temps.
2012 : magnifique déclinaison de rose fraîche, de menthe et de poivre de Madagascar, hyper aristocratique, évoquant les plus grands pinots fins de la Côte de Nuits, avec qui plus est un élevage suprêmement intégré car indétectable. La bouche est du même acabit, souveraine, voluptueuse, toute en dentelle. Vin extra, hyper classe, un sommet du pinot noir français !
Brut Grand Cru Millésimé : vieilles vignes situées sur les terroirs d’Ambonnay classés Grand Cru.
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2006 : 96 mois en cave, dégorgement juillet 2015. Superbe nez précis et complexe de pralin, citron confit et morille, complexe, faussement évolué (il rajeunit à l’air), lumineux. On retrouve la fausse sucrosité et le confit noble en bouche avec un vin baroque, gastronomique, à la bulle extra-fine, très gouteux, épicé, long. Superbe bouteille. Coup de coeur.
2005 : 108 mois en cave, dégorgement juillet 2015. Un peu plus moins dégagé au même stade et légèrement métallique (autolyse), il évolue sur des notes de gentiane et de fenugrec. Attaque énergique, pour ce vin épicé, à l’acidité vive, encore « carré ». Moins avancé à ce stade et légèrement plus rustique que 2006, il semble avoir surtout besoin d’un peu plus de temps. Patience et confiance.
2004 : 105 mois en cave, dégorgement avril 2014. Début d’évolution sur le beurre frais et le mousseron qui rappelle des vins chablisiens du même âge, pour ce vin positivement nerveux, frais et harmonieux, à l’acidité idéalement fondue dans le corps. Un champagne très vivant au palais, fait pour la table et davantage destiné aux grands produits de la mer qu’aux poulardes crémées !
2002 (en magnum) : 132 mois en cave, dégorgement juillet 2014. Nez complexe et très précis, à la fois jeune (agrumes) et évolué, avec le rendu idéal que permet le magnum ; notes de morille sous-jacentes qui ne demandent qu’à jaillir du verre ! Bouche tendue, claire, nette et précise, longue, sapide, interminable. Grand vin de vieillissement et grand vin tout court.
Brut Blanc de Noirs Grand Cru : vieille vigne de pinot noir fin plantée en 1946 au lieu-dit Les Crayères, à Ambonnay. 1h15, planté en 1946. Cuvée « inventée » selon les dires de Francis Egly par Michel Bettane – à l’époque, elle était isolée en élevage, mais pas à la mise en bouteilles, et ce dernier a insisté pour qu’elle le soit. Terroir très calcaire, avec quasiment pas de sol en surface, que de la craie affleurante, ce qui fait son charme et se traduit dans le vin par un surcroit de finesse. Premier millésime produit : 1989, commercialisé en 1993-1994.
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Base 2007 et 2006 : dégorgement juillet 2014, 60 mois en cave. Nez « soyeux », élégant, fin, avec des notes d’épices (curcuma, anis). Bouche fondue, hyper élégante, sapide, salivante, grande définition et sensation de terroir lisible en bouche avec un côté très salivant et des épicées marquées. Vin évident et incrachable, extra.
Base 2002 : dégorgement en 2007. Robe logiquement plus évoluée, un peu d’autolyse aussi, puis on retrouve le côté anisé et très épicé de la cuvée dans un bouquet puissant, qui est celui de certains grands champagnes au vieillissement. Bouche complètement épanouie, vineuse et savoureuse, incrachable également, avec un début d’évolution aromatique en finale qui évoque autant les grands Bourgogne blancs qui prennent de l’âge que les meilleurs Château-Chalon. Un grand vin sur son plateau de maturité.
Un grand merci et bravo à Francis Egly et à toute l’équipe du domaine pour ce parcours, cette exigence de tous les instants et cette humilité face au travail de vigneron idéaliste. Plus que jamais, ce domaine est un modèle.
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