«L’année 2011 a été l’une des plus chaudes, des plus ensoleillées et, surtout, l’une des plus sèches de ces quatre dernières décennies» : ainsi commençait la présentation du millésime faite par le Château Mouton-Rothschild durant les Primeurs 2011.
C’est un paradoxe : on attendait des vins solaires, généreux, des vins hors normes, un millésime exceptionnel de plus et, à l’arrivée, chacun fait l’éloge de la fraîcheur, chante les vertus du classicisme et, pourquoi pas, de la soif!
Tout semble s’être inversé à Bordeaux en 2011. Un départ en trombe : dès le mois d’avril, le mercure s’affole et les températures offrent une douceur inhabituelle.
L’été, cette année-là, est arrivé avant le printemps. La floraison a eu lieu entre le 10 et le 20 mai. Sans doute la plus précoce de l’histoire.
Si la première semaine de juillet est restée chaude et ensoleillée, le temps a changé par la suite, apportant des pluies bénéfiques dans un premier temps. Forte de l’avance prise les mois précédents et encore marquée par le stress hydrique énorme du mois de juin, la véraison s’est enclenchée à peu près normalement, sauf sur les vignes touchées par les phénomènes d’échaudage de fin juin. On a même vu des baies vertes flétrir, qui ne gonflaient pas. Comme la sortie de fruit était importante, avec beaucoup de rafle, la synthèse a demandé beaucoup d’énergie à la vigne.
Le mois d’août, dans la norme saisonnière au niveau de l’ensoleillement, fut plutôt humide avec une douzaine de jours de pluie. C’est là le maillon faible du millésime. Il explique ces milieux de bouche un peu flous, ce manque que l’on trouve sur un certain nombre de vins.
Le mois de septembre a mal commencé. Des trombes d’eau s’abattent. 80 mm d’eau. Tout le secteur de Cos est touché par la grêle (qui avait déjà commis des dégâts sur une partie du Sauternais le 25 avril).
Selon certains observateurs, la vigne est à ce moment-là comme en état de latence : «Durant une bonne semaine, on avait l’impression qu’il ne se passait rien…». Et puis, ce miracle, vers le 17 septembre.
On comprend que dix jours magnifiques vont arriver. Ils vont notamment profiter aux cabernets. L’été n’a pas dit son dernier mot et s’installe au début de la troisième semaine de septembre. La menace du botrytis est neutralisée. Tout le monde respire. Sur Saint-Emilion, un vent chaud et sec concentre les raisins sans modifier l’aromatique du millésime.
Que faire ? Attendre ? Vendanger ? On goûte le raisin. Choisir la bonne date n’est pas toujours aussi évident qu’on le croit, même si l’on peut s’offrir le luxe d’attendre: «Il était difficile en 2011, note le propriétaire d’un cru fameux de Pomerol, de prendre des décisions, tant les baies manquaient parfois d’éclat aromatique». Les phénomènes d’échaudage et une véraison parfois irrégulière ont engendré une maturité hétérogène, y compris sur une même grappe. D’où l’importance du tri dans un millésime comme celui-ci.
2011 restera à Bordeaux dans les mémoires comme un millésime compliqué. « Il fallait avoir un peu d’argile pour passer le printemps mais pas trop pour passer l’automne. Un millésime qui récompense ceux qui ont depuis longtemps une bonne gestion de leur sol et des enracinements de qualité, profonds ». (Stéphane Derenoncourt)
Les clés du millésime
• Millésime très sec et très chaud durant la première partie de son cycle végétatif, 2011 est au final une année très contrastée, voire bouleversée, sur le plan climatique.
• En rouge, la production est moins homogène. Il existe toutefois d’excellents vins rouges qui, sans atteindre la grandeur ou la complexité des plus grandes expressions des deux millésimes précédents, tirent parfaitement leur épingle du jeu.
• Les terroirs à texture argileuse et les argilo-calcaire ont été a priori privilégiés, compte tenu de l’extraordinaire sécheresse printanière qu’a connue le vignoble.
• Si la Rive droite compte de très belles réussites, surtout lorsque le cabernet franc est de la partie, le Médoc n’est pas en reste. Les conditions idéales qui ont régné à partir de la mi-septembre ont fait le bonheur des cabernets qui se distinguent ainsi par leur classe !
• Millésime précoce, 2011 a donné naissance à des rouges dont le profil ressemble à celui des vins des millésimes à maturation lente. La vivacité de leurs arômes et le dynamisme de leurs structures seront certaines des vertus essentielles de ces vins dont le potentiel de garde est sans doute plus important qu’il n’y paraît.
La dégustation : elle s’est faite à l’aveugle, par série de trois vins. Les bouteilles ont été ouvertes et goûtées une première fois quatre heures avant la dégustation.
Château Rouget, Pomerol
Violette, mûre, épices, très joli nez, avec un certain raffinement et un naturel d’expression. Touche boisée à l’entrée de bouche. Il est charnu, avec un joli volume et finit sur un tanin croquant et épicé que certains participants ont trouvé un peu « rustique».
Château Canon-La-Gaffelière, Saint-Emilion 60 % m – 32 % cf – 8 % cs
Le nez est un peu sur la retenue. Notes d’épices, cuir, cèdre, mine de crayon, fruits noirs,bois brûlé. Forme en bouche dense, fuselée. Très belle trame, un modèle de classicisme, long, précis, avec une finale expansive.
Vieux Château Certan, Pomerol 70 % m – 29 % cf – 1 % cs
Couleur sombre. Baies des bois, violette, épices, grande finesse dans l’expression aromatique. Superbe bouche élancée, dynamique : il s’étire comme un long fil tendu et soyeux aux tanins ciselés, d’une grande fraîcheur. La finale est traçante.
2ème série
Château Haut-Bailly, Pessac-Léognan
Le nez manque un tout petit peu d’éclat et paraît un peu brouillé à ce stade, avec une touche de réduction (trois bouteilles ouvertes). Fruits noirs, touche de chocolat. Il est plus évident en bouche et présente une vraie dimension séveuse, avec une dimension tactile très pulpeuse. Belle finale. Il faut lui laisser un peu de temps.
Château Giscours Margaux
Nez boisé. Très joli fruit à l’ouverture, avec une touche florale. Entrée en bouche souple et charnue, beau fruit, expressif. Corps sphérique, belle texture et finale aux accents légèrement chocolatés. Beaucoup de charme sur ce vin. Longueur moyenne.
Château Monbrison, Margaux
Très joli profil aromatique, fruits rouges, touche balsamique. Il est assez vif, fruité, un peu linéaire, avec une certaine énergie. Moins charnu que Giscours mais avec une finale bien découpée, aux tanins juteux, sur la framboise, il a été élu meilleur vin de cette série par les participants à la soirée. Quoi qu’il en soit, au tableau des meilleurs rapports prix/plaisir, il mérite la palme !
3ème série
Château Léoville-Poyferré, Saint-Julien
Présentation sophistiquée, chatoyante, sur un fruité mûr. Il offre un très beau velouté de texture, c’est suave, caressant avec une trame magnifique, des tanins très fins, et une vraie dimension de sève sur la finale.
Château Calon Ségur, Saint-Estèphe 78 % cs – 20 % m – 2 % pv
Le nez est sur la retenue. Bouche dense, serrée, avec une très belle fraîcheur d’expression. Corps d’une grande finesse, d’une tenue et d’un style exemplaires avec finale dynamique et traçante. Par rapport à mes dégustations des Primeurs, il tient toutes ses promesses et l’avenir lui appartient.
Château Pichon-Baron, Pauillac
Merveilleux nez, fin, précis et complexe. Belle bouche stylée. C’est un vin aristocratique, aux tanins déliés, fruités, qui dessine une très belle courbe en bouche et finit très long. Une autre grande réussite !
4ème série
Château Ducru-Beaucaillou, Saint-Julien 85 % ca – 15 % m / 93-95
Bouquet très fin, floral et fruité. Nez d’une intensité et d’une pureté magnifiques. L’entrée en bouche est millimétrique. Corps svelte, élancé, parfaitement tramé et continu et finale de grande race. Un parangon de finesse.
Château Pontet-Canet, Pauillac
Les deux bouteilles ouvertes ce soir présentaient le même caractère et ont suscité le débat. Certes la bouche offre l’une des plus belles textures de la dégustation et le corps se révèle immédiatement savoureux et ouvert, mais l’aromatique est surprenante, manquant d’éclat, avec une note d’évolution. Est-ce un problème de bouchage ou une évolution transitoire ? L’avenir le dira.
Château Margaux 86 % cs – 10 % m – 2 % pv – 2 % cf / 94-96
Grande noblesse d’expression au nez. Boisé de combat, un peu entêtant mais la matière est là pour l’intégrer. Notes d’épices, de cèdre, fruité, touche florale. A l’ouverture, son aromatique est superbe et affirme sa grande classe. Très belle bouche, finement articulée, long développement, crescendo et finale qui signe le grand vin. Dans cette série, le « match » s’est joué entre Ducru et Margaux, avec un léger avantage pour ce dernier.
Comment
Bonjour,
c’est un plaisir de lire vos mots. Je me permets de réagir car j’ai eu la chance de goûter de nombreux 2011 à une dégustation UGC récemment. Et j’ai vraiment eu un coup de coeur, sur la rive gauche, pour Pichon Lalande et Beychevelle. Les avez-vous goûtés? Je partage votre avis sur Monbrison qui est un très beau vin avec un excellent rapport (je le suis depuis le 2005). Et c’est étonnant, car votre description du 2011 de Pontet Canet correspond à ce que j’ai ressenti de mémoire avec le 2013 lors des dégustations primeurs. Et il ne m’a pas complètement convaincu. Mais c’est un avis d’amateur.
Cordialement
Frédéric