La passion est une, indivisible, et ignore l’usure du temps. Dans la constellation du vin, il est pourtant des moments plus intenses que d’autres. Plus rares sans doute. Surtout, ils sont empreints d’une émotion particulière.
Dans un monde mobile et inconstant, fêter les gens qui vous sont fidèles et qui partagent le même idéal est déjà une belle chose. Fêter 120 ans de « maison » et honorer ses invités en leur offrant à déguster les vins du premier millésime, celui où l’histoire a commencé est un événement rare.Nous éprouvions tous ce sentiment au moment d’entrer dans la belle maison du domaine d’Auvenay, celui de vivre un événement exceptionnel.
Pour moi, la fois précédente, c’était en 1989 pour une dégustation des huit grands crus du domaine Leroy, chacun sur onze millésimes !
Lalou Bize-Leroy organise depuis 1966 des dégustations de prestige à Auvenay pour faire connaître les trésors de sa cave à quelques privilégiés, journalistes, critiques et restaurateurs.
Le lien intime, très fort, entre la famille Leroy et le vignoble commence avec François Leroy, vigneron, propriétaire de vignes à Auxey-Duresses, à Meursault, à Pommard et de grands crus sur la côte de Nuits (Chambertin, Musigny, Clos Vougeot, Richebourg). C’est lui qui fonde en 1868 la maison de négoce Leroy.
Son fils Joseph, également distillateur, poursuit l’œuvre de son père. Puis ce sera le tour d’Henri Leroy qui entre dans le négoce familial en 1919. C’est lui qui va développer la maison en créant une branche eaux-de-vie ainsi qu’une distillerie modèle au cœur de la grande Champagne dans le Cognaçais. Ami d’Edmond Gaudin de Villaine, Henri Leroy le dissuade de vendre le domaine de la Romanée-Conti. Son beau-frère, Jacques Chambon, décide de vendre ses parts et Henri Leroy devient copropriétaire de la Romanée-Conti en 1942.
En 1955, c’est au tour de Lalou d’entrer dans l’affaire familiale et qui réactive la belle endormie, la maison Leroy « gardien des grands millésimes ». Ce sont ses premiers achats que nous avons goûtés soixante ans plus tard…
Co-gérante de la Romanée-Conti en compagnie d’Aubert de Villaine de 1974 à 1992, Lalou Bize-Leroy constitue en 1988 le domaine Leroy à travers l’acquisition du domaine Noëllat à Vosne-Romanée et du domaine Philippe Rémy à Gevrey-Chambertin. Dès 1989, l’intégralité du domaine est cultivée en biodynamie. Parallèlement, Lalou Bize-Leroy gère dans le même esprit le domaine d’Auvenay hérité de son père auquel elle a, au fil des années et des acquisitions, ajouté quelques arpents de vignes bien placés. Mais ceci est une autre histoire.
Les vins ont été présentés dans l’ordre géographique
Monthélie 1955
Robe claire. il est sur une aromatique très fine, un peu « décadente », aux nuances florales, pâte d’amande, fraise. Bouche ourlée d’une fine vivacité, qui finit délicate, en dentelle. Une très jolie entrée en matière.
Savigny-les-Beaune 1er Cru Les Vergelesses 1955
Belle profondeur aromatique, avec un caractère épicé. Corps agréable, à la texture consistante et à la finale très fraîche.
Il a très bien traversé les années !
Savigny-les-Beaune 1er Cru Les Cent Vignes 1955
Nez sur les épices orientales, le soja, avec un rappel d’orange sanguine. En bouche, il est noblement terrien, assez solaire, avec un toucher de bouche très caressant et une finale soutenue et très douce.
Volnay 1er Cru Santenots 1955
Incroyable vitalité du nez, malgré une réduction qui pénalise un peu sa bouche.
Corton 1955
Grande race. On a le côté frais de la vendange entière. Remarquable richesse de constitution avec encore beaucoup d’énergie et une structure présente.
Nuits-Saint-Georges 1er Cru Les Porets 1955
Nez sur la truffe et les épices orientales. Il est assez terrien, bien dans son terroir, avec en rétro-olfaction un rappel de fruit chaud.
Vosne-Romanée 1er Cru les Suchots 1955
Nez merveilleux de rose, de réglisse, de fleurs séchées : on a toute la noblesse du terroir, avec une grande texture, expressive, et une grande complexité aromatique. Grande finale sur un tanin délié et réglissé. Somptueux.
Echezeaux 1955
Encore un nez magnifique, d’une grande noblesse. La bouche est au diapason, d’une densité et d’une tenue remarquable avec un parfum d’une grande délicatesse. Il finit sur le floral et sa finale conserve une très belle fraîcheur et finit punchy.
Grands-Echezeaux 1955
« C’est un vin qui a grésillé toute sa vie… », dit Lalou. A ce stade, il capte l’attention et enchante par sa magnifique texture, suave, chaleureuse, interminable dans sa caresse.
Romanée-Saint-Vivant 1955
Les notes florales sont là, éthérées, presque aériennes. Cette Romanée St-Vivant semble s’être suspendue dans le temps, à mi-chemin entre le ciel et la terre. on la retrouve mieux en bouche, avec une dimension tactile merveilleuse et une finale traçante. Silence.
Richebourg 1955
Nez d’une noblesse terrienne, truffé, généreux, avec de la densité. C’est un vin équilibré, charnu, immédiat, d’une vinosité du plus bel effet.
Clos Vougeot 1955
Nez légèrement rancio. Le corps est solaire, suave, presque alangui. Bon, mais n’atteint pas à la dimension d’émotion des précédents.
Bonnes-Mares 1955
Notes de thé, c’est noblement terrien avec un côté très dentelle, très fin, et un éventail aromatique qui se déplie longuement. Il finit très Bonnes-mares, encens et truffe, en apothéose.
Musigny 1955
Au nez il est un peu énigmatique. Belle bouche, à la très belle texture, d’un grand raffinement.
Gevrey-Chambertin 1er Cru Clos St-Jacques 1955
Très belle couleur, peu d’évolution. Nez profond, complexe d’une grande rectitude d’expression. Le corps présente un tanin ferme, un peu moins accompli que sur les grands crus qui le précèdent, mais le vin plaît par son énergie.
Gevrey-Chambertin 1er Cru Les Combottes 1955
Nez peu plus solaire que sur le Clos Saint-Jacques, avec un léger rancio. Corps ample, doté d’un tanin très fin. Finale suave.
Gevrey-Chambertin 1er Cru Les Cazetiers 1955
C’est un vin avec une grande énergie, avec une très belle trame, qui finit sur un magnifique tanin réglissé. J’avais déjà eu le plaisir de goûter ce vin en juin 1999. Je le retrouve aujourd’hui dans la fleur de son âge, parfaitement accompli.
Ruchottes-Chambertin 1955
Le nez n’est pas très expressif, mais on a beaucoup de finesse, avec un filigrane minéral. Corps racé, très réglissé, avec une finale magnifique où l’on retrouve presque un côté iodé.
Mazys-Chambertin 1955
C’est un des préférés de Lalou. Corps ample, suave, presque médulleux dans sa texture et finale sur un tanin de velours.
Chambertin Clos de Bèze 1955
Légèrement entaché, mais il fait preuve d’une force incroyable. Très dense, très racé, avec une grande finale.
Chambertin 1955
un peu grillé, réduit, corps un peu moins sculpté que le Clos de Bèze, il lui faut un peu de temps pour révéler toute sa stature. Il présente à l’ouverture une grande texture et une finale très longue.
Bienvenue-Bâtard-Montrachet 1955
L’unique blanc de la dégustation. Il est sur les notes de crème brûlée, de fruits confits, de cannelle. Magnifique volume de bouche avec une sensation presque onctueuse dans la texture et une finale d’une très belle tenue.
Merci à Lalou Bize-Leroy dont la passion, la ténacité, la rigueur et l’éthique font honneur à la grande Bourgogne et félicitations à Gilles A.C. et à Frédéric Roemer pour leurs 30 ans de maison.
Comment
Superbe … et chanceux ceux qui ont pu assitser à cette dégustation exceptionnelle …