D’un point de vue ampélographique pur, l’altesse est un cépage vigoureux. Il produit des grappes petites à moyennes, cylindriques, compactes, souvent épaulées. Les baies sont généralement peu serrées, de couleur jaune-vert, rondes ou légèrement ovoïdes. La pellicule est épaisse et tend à devenir rosée à pleine maturité, d’où le nom de « Roussette » de Savoie. Le débourrement est moyennement précoce et la maturité moyennement tardive. Ce cépage est fragile face au gel, de croissance vigoureuse, très sensible au botrytis, au mildiou et à l'excoriose, mais résistant à l'oïdium. Il semble se plaire sur les sols de marnes argileuses et calcaires. En Savoie, il est présent surtout dans les crus Frangy, Monthoux, Marestel, Monterminod et à Seyssel.
Le Refus. Refus de s’avouer vaincu, de céder à la facilité, de renoncer aux projets les plus ambitieux. Durant toute sa carrière, Michel s’est battu pour arracher les vins de Savoie à leur cliché de vins de Raclette et de Sports d’Hiver. Sans relâche il a fédéré les meilleurs viticulteurs locaux afin de prouver qu’ensemble, ils pouvaient être bien plus efficaces que seuls, perdus dans leurs vallées respectives. A Londres, à Paris, en province, dans les grands restaurants, dans les campagnes, partout il est allé, partout il a organisé et organise encore de nombreux évènements. Il pense collectif afin de faire avancer les choses. De même, pour avoir été paysan puis pépiniériste, il a la passion de l’ampélographie et du végétal chevillée au corps. Amis des plus grands spécialistes de la question (José Vouillamoz, Pierre Galet), il a même créé avec des confrères le Centre d’Ampélographie Alpine afin de préserver et promouvoir des cépages devenus rares, mais pourtant d’importance civilisationnelle capitale. Venons en maintenant à la dégustation et surtout, revenons à l’Altesse.
Roussette de Savoie 2007 : Premier nez légèrement anisé, sur la badiane, la laine mouillée, un peu avancé. Bouche expressive, salinité, expression de fraîcheur sans maigreur, allonge limitée par la petite évolution, mais le vin fait saliver, il s'exprime de façon assez unique et singulière. On peut déjà le boire avec plaisir.
Vin de table « Son Altesse Le refus » (2005-2006) : L’agrément n’a pas été accordé au 2005 pour cause de retard de présentation et le volume du 2006 était très réduit. Michel les a donc assemblés, n'écoutant que ses convictions. Nez infusé, grandement truffé, qui évolue sur les herbes de montagne, complexe, étrange, intriguant, flirtant avec l’abime oxydative sans y tomber. Bouche large, longue, suave, très saline, avec une grosse acidité pour le millésime. Vin à la saveur assez fascinante, hors des sentiers battus. Pour moi le blanc sec de la soirée !
Roussette de Savoie 2003 : Notes de coing, de fumé, de poivre blanc, encore une fois anisé comme sur nombre de millésimes, pas mal d'alcool aussi, c’est riche. Bouche de même acabit, très dense, avec une onctuosité notoire, beaucoup d'ampleur, de gras. Bonne allonge dans la plénitude, pas d'amer désagréable, la fraîcheur revient en finale. Evolution appuyée sur les écorces d'agrumes à l’air, belle personnalité, bravo.
Roussette de Savoie 2002 : Nez un peu « pétard mouillé » peut-être dû à une réduction soufrée du passé. Tonalité acide du millésime dès l'attaque, même si le vin ne manque pas de gras et d'enrobage, mais peut-être que l’élevage ici aide. Allonge tendue, sur la coquille d'huitre. Moins intéressant que d'autres années selon moi, mais beaucoup l’ont apprécié ce soir là.
Roussette de Savoie 2000 : Première note de coing mûr, bouquet légèrement mat, moins précis que les années récentes. Assez évolué dans la saveur, il est douillet mais a perdu de la tenue. Il est temps de le boire. Le botrytis le rendait charnu jeune, mais l’a alourdit dans le temps. Un vin de poularde aux morilles plus que de poisson.
Roussette de Savoie 1999 : D'abord épicé, sur le tabac blond avec une légère empreinte de soufre du passé, il a tendance à "pétroler" à l’air. Equilibré dès l'attaque, avec une richesse alliée à une certaine tension, l'harmonie est agréable, vin sapide, à l’allonge rappelant certaines chartreuses et la quinine. Il est à point.
Roussette de Savoie 1998 : Plus diffus, plus riche aussi, mais avec une touche « mousseron » qui indique peut-être un été avec des épisodes pluvieux notables ? Bouche à l’acidité plutôt vive, moins intégrée dans le corps que le précédent. Vin plus simple, bonne allonge, petit rappel de bois en finale.
Roussette de Savoie 1997 : Gras et beurré, il ressemble au 2000, c'est très riche. Bouche large et grasse mais mieux tenue que le 2000. Il fait penser à un Bergeron. Allonge puissante, chaleureuse, vin de haute maturité.
Roussette de Savoie 1996 : Nez pétrôlé, fumé, avec un grillé qui rappelle les bourgognes "anciens style". Evolution sur l'amande amère, l'eau de vie de framboise, le pamplemousse, bouquet changeant, dansant. Bouche de haute acidité (malo non faite), fraîche, très salée, citronnée, tendue. Il plaira aux amateurs de riesling.
Roussette de Savoie 1993 (100% fut neuf) : On dirait un vieux cognac, avec ses notes de bois prégnantes et son évolution. Très avancé, il délivre aussi des arômes de Comté, bouquet moins précis que 1996. La saveur rejoint le nez, acidité un peu en dehors du vin, le fut l'a marqué au fer. A boire sur un vieux Beaufort.
Altesse, élevage oxydatif (« solera » effectuée sur les presses de millésimes successifs) : Bouquet puissant sur la noix verte, la morille, l’encaustique, quelques notes d'élevage (rhum-raisin). En bouche on retrouve un véritable goût de jaune, moins puissant et abouti que chez les collègues jurassiens, mais nombre de témoins gustatifs communs sont présents. Bouche légère, salée, vive. Il évoque finalement plus un fino qu’un vin jaune.
Altesse, sélection de grains nobles 1995 (180 litres produits, 22° potentiel, 13° transformés) : Superbe nez de confiture d'abricot, d’orange, de raisin confit, de thym. Complexité de la saveur et très belle bouche à la fois très épicée, pointue, vive, riche en goûts, complexe. L’arôme surpasse le sucre. Coup d’essai, coup de maître !
Un grand merci à Michel pour sa passion et son humanité incroyablement transmises lors de cette très belle soirée. Mais également à José Vouillamoz, Vincent et Henri Chollet, également présents, et qui ont permis d’enrichir la dégustation par leurs expériences et connaissances respectives sur ce cépage passionnant.
9 Comments
Pour le connaître et avoir la chance de l’aimer régulièrement (je suis parfois quelqu’un de prévoyant) je classe effectivement "Son Altesse le Refus 05/06" dans les magnifiques OVNI de ma cave et tout simplement dans les grand blancs secs de ma cave.
Nicolas décrit avec précision et simplicité ses grands arômes de truffe et de chartreuse, son corps dont on ne sait s’il est opulent ou tranchant et par dessus tout son équilibre de funambule qui rend grâce aux visages multiples de l’Altesse. Un vrai vin d’apprentissage et de méditation.
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Bonjour Michel, à bientôt j’espère (ça fait un sacré bail mais on a de tes nouvelles régulières par Bruno !).
Quelques modifications importantes, concernant le libellé de deux vins dégustés.
Le Refus 20089 sera finalement classé en "Vin de Pays d’Allobrogie".
Et Sur le liquoreux 1995, le vin se nommait à l’époque très exactement "Raisins botrytisés, son Altesse sérénissime".
Ce soir au CAVE, nous continuerons d’explorer les cépages de l’Arc Alpin occidental, mais rouges cette fois-ci, avec notamment une sélection de vins suisses (Valais, Vaud), Français (Savoie, Hautes-Alpes) et Italiens (Val d’Aoste, Valtellina, Piémont, Haut-Piémont, Trentin).
Compte-rendu à suivre…
C’est intéressant aussi le nebbiolo passerillé en Valtellina.
Je ne suis franchement pas un fan des sforzato (ou sfursat) de Valteline, sauf exception. C’est souvent lourd, avec du bois vu qu’ils le font sur les cuvées haut de gamme, et pas d’expression de terroir, plutôt un style. On commence aussi à voir ce style de vins en Val d’Aoste et Haut-Piémont (Travaglini), même en Suisse, tout le monde veut faire son petit Amarone, c’est une "mode" qui ne me branche pas beaucoup, pour tout te dire…
Assez aimé les sfursat de Triacca et Nino Negri.
Et aussi un passerillage de cépages bordelais en Australie :
Primo Estate – Mac Laren valley Coonawara CabernetSauvignon/Merlot "Joseph Moda Amarone" 1998.
L’Amarone de Dal Forno met la barre très haut, sur les cépages du Veneto.
Il faut que tu goûtes Quintarelli, si ce n’est pas déjà fait…
J’aime bien les vins de Quintarelli en Amarone (Monte ca Paletta) et récioto.
Merci Nicolas de ce beau témoignage sur les vins de Michel. Quand je revois cette photo de Michel en montagne je n’ai que des bons souvenirs de cette sortie "à la recherche de cristaux de quartz" dans le Beaufortain. J’en étais, de ceux qui ont trouvé une multitude de pierres plus ou moins "pures", de ces formes merveilleuses taillées par la nature….tout comme les vins de Michel. Vins incarnés : de la vitalité, de l’authenticité….Très attachants les vins comme le vigneron: droit et juste. Bel hommage au Savoyan…Au plaisir de partager un verre de Mondeuse.
Bonjour Françoise,
bien content d’avoir de tes nouvelles, même si j’en ai eu récemment par Michel. Comme dit la pub, "Parce qu’il le vaut bien", et que je lui dois beaucoup. Quand un jour on a connu Michel Grisard, on est un peu moins bête et surtout un peu plus humain, et ça ça n’a pas de prix ! On reboira de la mondeuse ensemble, c’est sûr. Par exemple si tu passes prochainement par la Suisse. Le CAVE n’est pas loin de l’autoroute…
A presto !