Pendant longtemps notre monde a été soumis à l’incertitude, au caprice de l’événement, au hasard. Nous naissions, nous aimions, nous vivions et nous mourions d’une manière imprévisible.
Puis celui-ci a changé de forme, d’échelle, de dimension. Une ère nouvelle s’est offerte à nous. Celle du tout numérique, dominée par la logique du code. Nous avons délocalisé nos vies sur la toile où séjournent quelques milliards de nomades. Le hasard a disparu. Nous sommes trackés, identifiés, analysés à travers les informations que nous créons.
Celles-ci donnent le vertige : chaque jour plus de 2.5 trillions d’octets de données sont mises en circulation. Ainsi, 90 % des données produites depuis le début de l’humanité l’ont été ces deux dernières années ! Plus prosaïquement, chaque heure, dix millions de photos sont échangées sur Facebook. Cette immense mémoire a élu domicile dans les « nuages » informatiques. Variable parmi les variables, nous sommes désormais reliés à un ensemble tentaculaire constitué par les Big Data.
L’exploitation de cette mine à ciel ouvert aux capacités prédictives et préventives quasi illimitées constitue une vraie révolution qui est en train de modifier profondément notre façon de vivre, de travailler et de penser : c’est la thèse développée par Viktor Mayer-Schönberger et Kenneth Cukier dans l’ouvrage qu’ils ont consacré aux Big Data. Ces derniers fonctionnent en effet à une échelle qui dépasse nos capacités d’analyse. Leur complexité est telle que avons renoncé à comprendre la cause profonde des choses pour entrer dans l’ère de la corrélation. Fini Aristote et ses quatre causes. Nous sommes passés du pourquoi au comment : la pratique du jogging et les accidents cardio-vasculaires ; la diète méditerranéenne et l’espérance de vie ; la pleine lune et la recrudescence des accouchements ; la domiciliation en Valais et les chances de gagner un jour à l’euromillion ; la taille des salles de bains et l’indicateur conjoncturel de divortialité (sic !) ; le nombre de suicides en Chine et le boom économique du pays. Par l’intermédiaire de la masse colossale de données accumulées, recoupées, modélisées, nous confions désormais aux algorithmes le soin d’identifier nos goûts, nos désirs et nos peurs. Grâce à eux, nous pouvons même agir sur notre futur.
Dans quel hôtel passerez-vous vos vacances, l’été prochain ? Le site internet à travers lequel vous effectuez d’ordinaire vos réservations vous le dira. Une suggestion de lecture ? Si vous avez aimé Esprit d’hiver, nous vous recommandons aussi Désolations. Où irez-vous dîner le week-end prochain ? Fiez-vous au goût de vos amis tel qu’il a été synthétisé sur tel réseau gourmand. Souhaitez-vous rencontrer l’âme sœur ? Entrez votre profil et choisissez celui qui vous correspond. Quand mourrez-vous ? Chut ! Consultez votre oniromancienne.
Cet article est paru dans le quotidien 24 Heures, édition du samedi-dimanche 14-15 septembre.
2 Comments
Sachons rester imprévisibles.
Cela ne donne pas envie …
Et en cas de panne électrique …