Sans doute Olivier Roellinger a-t-il dû attendre trop longtemps cette troisième étoile qui a fini par se poser, telle une fleur fragile, sur l’infini de l’océan. La substance de nos rêves est plus importante que leur réalisation et la vraie lucidité n’est ni dans la consécration ni dans les honneurs mais dans la capacité à préserver notre liberté.
Cela aurait pu commencer par trois amuse-bouches :
une bouchée melon-concombre-pomme
un croustillant de moule aux câpres
un dé de maquereau « sur le feu »
Le vent du large, les embruns, les voyages, les rencontres, la cuisine de Roellinger y trouvait ses principaux motifs d’inspiration et se recentrait à Cancale, son port d’attache.
A partir de là, elle continuera d’exister. Olivier Roellinger aime trop la cuisine et les rencontres qu’elle suscite pour y renoncer. Le cuisinier corsaire suivra sa route, différent, à l’écart des grandes orgues fastueuses et des lumières qui n’annoncent que des disparitions. Il répondra à l’appel des lointains et du plus proche aussi.
« Plus on rencontre de gens différents, plus on a la chance d’avoir l’impression de faire partie des êtres humains. »
Un plat très japonisant, émouvant dans sa simplicité, le Saint Pierre à cru, en deux versions : en filet, souligné d’un trait d’émulsion de sésame et d’une lamelle translucide de gingembre ; en dés avec un éclair de moutarde celtique
Je suis triste même si je comprends cette décision. Comme des milliers d’aficionados de l’établissement de la rue Duguesclin. Chaque fois que j’y allais, une parenthèse de bonheur pur s’ouvrait.
Un des grands classiques de la maison ! Le vin de Xérès – un Amontillado. Quant au homard, c’est évidemment un breton de grande origine, qui baguenaude entre la pointe de Groin et le cap Fréhel, juste poché au court-bouillon et puis tendrement ramené à température avec une touche de beurre salé.
Nous prenions place dans une des deux grandes salles à manger vitrées pour un voyage des contrastes : intimité très recueillie de la Maison de Bricourt et ouverture vers le grand large ; dépouillement zen et touches de folie baroque ; instantanéité jaillissante et caractère très médité de cette cuisine hauturière ; sérénité et inquiétude créatrice.
A voir absolument pour comprendre ce qu'est l'inquiétude créatrice au fil du quotidien !
Vous allez nous manquer, Olivier !
7 Comments
J’ai eu la chance d’y passer de beaux moments également … (sérénité de la baie de la Fresnaye, que je connais bien, et les homards du Fort la Latte).
Olivier Roellinger raconte comment la violence (cet incroyable "tabassage maloin") a orienté sa vie.
Qui d’autre mieux que lui peut se donner le pouvoir de résister aux sirènes ?
Je crois que Michel Bras lève le pied aussi, avec son fils aux manettes. Qu’il en profite pour voyage, pour allier le lointain et le proche.
"Travailler moins pour vivre plus" …
Travailer "autrement" pour vivre "mieux" surtout, Laurent… je pense…
Les explications de Roellinger sont sur le blog du critique gastronomique François Simon qui l’a rencontré juste après sa décision.
francoissimon.typepad.fr/…
J’ose à peine vous dire quelle est notre chance hier de déjeuner encore une fois à la table de Jane & Olivier Rœllinger dans leur malouinière de Cancale, au caractère si privé.
Un repas sublime, comme à l’habitude, avec ce quelque chose en plus vu les circonstances.
Dans la presse et sur l’Internet, tout venait d’être annoncé d’une manière intelligente et bien compréhensible.
Entouré de la même brigade, rien de changé, le même plaisir indicible… magnifique.
Ces grands artistes de la table ne manqueront pas de nous surprendre :
Le Château Richeux (Relais & Château) et le restaurant "Le Coquillage", ces lieux de passage charmants que sont les Rimains et les Gites Marins, l’entrepôt "Epices-Rœllinger", cette pâtisserie – salon de thé "Le Grain de Vanille", cette Ecole de cuisine…, de quoi nous satisfaire longtemps encore.
Ce surprenant désistement à la course aux étoiles, l’apothéose acquise, est cependant bien un avertissement à cette institution du Guide Michelin.
On ne doit pas sans cesse élever les exigences entourant ce qui pour nous reste l’essentiel en gastronomie : un mariage parfait des mets et des vins avec un accueil et une ambiance qui nous comble.
Les Rœllinger en sont l’exemple parfait, avec nos félicitations et nos vœux pour que ce changement de cap leur apporte plein de satisfactions, un peu plus de loisirs, peut-être le temps pour l’écriture…, ce à quoi ils aspirent ?
Philippe, je ne vous envie pas, mais alors pas du tout : je suis très simplement heureux pour vous ! Je n’oublie pas que c’est vous, le premier, qui par vos récits m’avez incité à aller chez Roellinger. J’attends avec impatience la description de votre dernier repas tristellaire à Cancale…
Oui, Jacques, nous en reparlerons. Pour conclure, cette citation de Brillat-Savarin ne vient-elle pas à point nommé ?
«La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le genre humain que la découverte d’une étoile.»