On s’amuse pour commencer d’un Craquant pâte d’amande, pomme verte et pralin. Petit bémol tout de même avec la brioche sertie d’une Chantilly huile de truffe blanche et pistache. On devrait interdire ce genre d'ersatz !
Tout est oublié avec la Galette de Champignons de Paris, foie gras mariné au verjus, pomme verte, muscade et ses deux contrepoints : huile de noisette et citron confit.
Une idée simple ? dites-vous… Il n’y a pas d’idées simples : il suffit simplement d’avoir des idées et celle-ci fuse comme une évidence quasi géniale. Accord sublime avec le Sillery de Jacquesson.
Le plat suivant s’annonce comme une devinette, un brimborion ludique, sous la forme d’une soupe. C’est du rustique chicos, la sublimation d’un souvenir d’enfance. On aurait (presque) pu intituler cela : à la recherche du pain perdu. Un consommé de volaille, pain grillé et infusion de piments fumés.
Les écoutilles sont grandes ouvertes. Voici un prodige sous la forme d’une Noix de St-Jacques aux algues kombu, shiso, velouté d’huîtres, citron confit. Ce dernier sera un des fils rouges du repas, le passeur qui fait le lien d’un archipel de saveurs à l’autre.
Si vous pensiez ne pas aimer, vous aimerez quand même ! L’équipage démarre en douceur et l’exploration des différentes strates se traduit par une lente montée en puissance et une symphonie gustative impressionnante. Notes iodées, réglissées et terreuses (navet mariné dans le shiso) se mêlent avec allégresse. Grande harmonique avec le Jacquesson !
Va-t-on demeurer sur ces hauteurs ? Monter encore ? Pas le temps de répondre à cette question, que nul n’élude pourtant, même dans le bonheur. Le Turbot flanqué de citronnelle / épinards / coques / pomelo vient d’entrer en scène avec son jus de tête de homard et son contrepoint vertical composé de noix de coco, poulpe, piment et gingembre. Romantisme pas mort : on efface discrètement une larme de joie.
Même le généreux Montcalmès blanc 2005 (roussanne, marsanne et chardonnay) blanc revêt des grâces infinie, résonne d’harmoniques nouvelles au contact d’un tel chef-d’œuvre !
On s’enhardit, rêve de davantage encore de féeries, de saveurs contrastées, de terre et de mer. Le Travers de porc confit, piquillos / câpres / puntarelle/ raddichio/ coriandre et huître, nous emmène dans une joyeuse effusion vers de lointains amers. L’imagination est débordante, infinie, limpide. Au passage, on devine que rien ici n’est laissé au hasard. Vient-on dans ce genre d’endroit pour se nourrir de hasard ?
Et la joie en larmes jaillit de sous les frondaisons. Ce sera sous la forme éternelle de cet Artichaut épineux de Sicile /truffe noire /pomelo et son condiment parmesan-noix. Un plat qui relève de la stratosphère, comme le dit un de mes amis, médecin des âmes. Le pomélo fuse à travers la scène. Le public applaudit. Après un plat pareil, il n’y a plus qu’à se taire. Je me tais donc…
Une transition, réussie, avec la Mousseline de céleri aux truffes et un autre archétype culinaire traverse le paysage : la Selle d’agneau de Lozère / aubergine laquée au miso / ail noir avec un condiment de « curry noir » (café, olive, réglisse) ! Associé un Valpolicella Ripasso 2000 de Quintarelli, servi par Alexandre Jean, le sommelier futé, l’accord claque comme une voix de stentor.
"C’est géant !" s'extasient les filles qui n’ont plus les crocs mais se régalent quand même…
Pas de fromages à l’Astrance mais quelques desserts irradiants. Un amusement en forme de transition pour commencer : Glace vanille, purée de pomme de terre, thym et citron. Puis un Sorbet au piment, gingembre et citronnelle.
Et les trois desserts servis en rafales, déclinaison de chocolat, caramel, speculos, noix et café, petites bombes gustatives bien serrées qui laissent le palais net, avant de plonger dans la nuit.
"C'est géant !" s'extasient les filles, qui n'ont plus les crocs…
L’Astrance, Pascal Barbot, Christophe Rohat, je vous adresse mes respects émus !
Amis lecteurs, allez-y si le cœur vous en dit, mais blindez-vous de patience ! Le restaurant est minuscule (22 à 25 couverts au grand maximum). Un conseil : mettez-vous sur liste d’attente et quand on vous appelera, foncez-y dans l’urgence du bonheur retrouvé !
Le restaurant L’Astrance 4 rue Beethoven, Paris (15ème)
t. 01 40 50 84 40.
8 Comments
Veinardes les filles …
Le lieu est magique et la "décontraction" qui y règne réconfortante.
Ambonnay, Avize, Aÿ, Beaumont-sur-Vesle, Bouzy, Chouilly, Cramant, Louvois, Mailly-Champagne, Le Mesnil-sur-Oger, Oger, Oiry, Puisieulx, Sillery, Tours-sur-Marne, Verzenay, Verzy.
Jamais croisé cette cuvée des frères Chiquet (ah, les cachottiers !).
Pas aimé Montcalmès blanc 2006, surboisé, impotent.
Alors comme cela, on enchaîne sur gamays vs pinot ?
Heureusement que l’évanouissement à la "précieuse" n’est plus à la mode, je n’oserais pas y aller sinon. Ca m’a tout bonnement l’air sensationnel …
Cet art du condiment qui parle, du jeu des textures plutôt que du spectral, cette cohérence que l’on devine déjà ! Et de belles portions ! Whaouu …
Une question Jacques. L’apport du shiso sur les plats marins ? C’est un contrepoint anisé c’est bien ça ?
ps : et en plus, il y a de la puntarelle. Magnifique.
Jacques,
Les tables,ou la quête perpétuelle de l’émotion,et quand elle arrive…
Jacques,
Première photo,crème de céleri à la truffe?
J’ai eu ce plat,et quand j’ai eu fini et que Christophe Rohat vint pour débarrasser,je levai les yeux vers lui,les mains jointes,sans un mot,et puis hop rebelotte un 2ème bol gratos pour prolonger l’émotion.Il n’ y a pas que Barbot qui soit doué,un maître d’hôtel comme cela il faudrait le dupliquer.
Oui, Pascal, du céleri (cuit dans du lait) à la truffe, un grand accord classique mais je n’ai pas trouvé que cela atteignait la perfection des meilleurs plats.
Jacques,
On attend la suite avec les notes sur la cuisine de Peter Nilsson
Ah, j’adore votre rapport tout en poésie de ce repas à l’Astrance. J’adore Barbot: 3 étoiles Michelin ou sans étoiles, mon appréciation de son travail reste le meme: il est original
Je suis tellement ravie, de voir, que ces amoureux de la saveur, des accords, de matières , de textures, de goûts divins , qui font voyager vers des sentes insoupçonnées…..,
Je vous remercie de ce post aux délicieux effluves ….
Excellente journée