On annonce sa venue dans ce petit hôtel-restaurant de province comme seule la France sait encore en fabriquer. Il y est attendu comme le messie… Avec des trémolos dans la voix. Car si l’homme est redoutable, il faut savoir l’amadouer. Pas avec des sucreries, ni avec toutes ces falbalas, ces chipotages, ces amuse-gogos qui encombrent régulièrement l’horizon de ce que l’on persiste encore à appeler gastronomie. Pas davantage avec ces trompe-couillons destructurés, ces molécules en goguettes, ces gelées tremblotantes, ces brises pour cachexiques attardés. Non ! François Simon aime la vraie cuisine, l’authentique, les saveurs franches, justes, millimétriques, les accords tranchants et, pourquoi pas, irradiants ! Et il le dit. Dans ses chroniques au Figaro notamment et dans un bouquin dont je vous recommande la lecture, N’est pas gourmand qui veut. Autrement dit, nul n’entre ici s’il n’est géomètre… Et c'est bien là le grand malentendu sur lequel repose la question du goût. Si la gourmandise et la critique gastronomique dépendaient uniquement de nos fonctions digestives, il y a longtemps que la pièce aurait cessé de nous amuser !
J'évoque ici François Simon parce que l’homme a du panache, un style unique, une vision de la gastronomie. On ne peut s'empêcher de penser en passant à Henri Gault à son meilleur. Ce qui nous change un peu de la critique convenue et pontifiante, ou quasi mutique, qui a amené une partie de la grande gastronomie française là où elle est, dans une impasse…
Il y a quelques années, je me suis sérieusement pris de bec avec lui par écrit interposé. François Simon avait osé démolir un grand chef de mes amis qui en faisait trop, comme une sorte de surenchère culinaire permanente. On finit par ne plus rien capter et on attend que la tornade se termine.
C’est François Simon qui avait raison… Le grand chef en question est revenu à davantage de simplicité, et de vérité. C’est à se demander pourquoi certains cuisiniers se prennent pour des horloges et finissent toujours par fuir dans la complication…
Le hasard me fera peut-être croiser un jour le chemin de ce critique masqué. En attendant, « pour patienter » comme on continue à le dire bêtement ça et là, voici quelques morceaux choisis du répertoire du « croque-notes » (c’est ainsi que s’intitule sa rubrique). A savourer sans modération !
Sur Alain Ducasse dans sa tour (qui a repris les restaurants de la Tour Eiffel
"Alain Ducasse sait qu’on ne lui fera aucun cadeau, alors il s’est enfermé dans l’excellence et la réussite comme on le ferait dans un cockpit d’avion de chasse. Les roquettes partent, les objectifs sont pulvérisés. Il surnage dans cet océan de chiffres, cette mer onctueuse de lauriers. Pas dupe, il fuse, s’impatiente d’un siècle trop lent. On le croit auto-instrumentalisé dans sa quête de perfection (Alain Ducasse joue Alain Ducasse). Faux, il est ailleurs. Toujours dans la suite."
Sur Jean-Marie Amat à Lormont près de Bordeaux
"En prenant le train, on a presque l’impression d’entrer en clandestinité, de grimper dans la machine à remonter le temps. On vérifie que personne ne nous suit… La nouvelle adresse est inquiétante à souhait. On croit au canular, à la caméra cachée. Cela s’appelle Le château du Prince Noir. Des amis sont prévenus : si, à 23 heures, il n’y a pas de nouvelles, appeler les gendarmes. Même le taxi (il s’appelle Momo) peste. On tourne dans les quartiers de Lormont. On appelle. Sur la ligne, aucune réponse, juste de la friture. Et elle n’est pas de pibales. Mais où allons-nous donc ? Chez Jean-Marie Amat."
Sur Jean-François Issautier à St-Martin du Var
"Ici, le décor était extra avec ses lenteurs, sa pompe et ses circonstances. Le Michelin y plaça même deux étoiles. Aujourd’hui, madame est à l’accueil avec sa sollicitude inquiète et souriante. Lorsque vous entrez, elle sait à qui elle a à faire : le pressé déjà reparti, les amoureux emmêlés dans leurs tiraillements postpubères, la famille en décomposition, les dépressifs tourmentant leur neurasthénie, les asservis gastronomiques…
En deux secondes, elle vous conduit à la table d’opération. La cuisine est de celles qui vous font des clins d’oeil appuyés. Prenez par exemple le menu du marché, intitulé précisément « Clin d’oeil au marché niçois ». On se croirait dans un de Funès avec un Galabru vous donnant un coup de coude complice."
Sur Alain Dutournier, le Carré des Feuillants à Paris
"La célébrité est un drôle de phénomène. Vous savez trop combien elle est volage, capricieuse, s’arrête sur les têtes les plus improbables, s’attarde sur les saugrenus, désigne un insigne, consacre un crétin, glorifie une mauviette. Elle charge les plateaux de télévision comme on le ferait de ceux d’une mauvaise cafétéria. À la longue, on ne s’y fie plus. Et ce n’est pas plus mal.
La gastronomie, elle aussi, est encombrée de ces gloires laborieuses, empoussiérées, surchargées de diplômes, épuisées à force d’avoir joué des coudes. Et puis, il y a les autres. Les éclipsés, les natures. Les guides ont peut-être voulu un jour les propulser, mais eux ont résisté. Inconsciemment, ils ne voulaient pas de cet ordre agenouillé, préférant une insolence indolente à une obéissance labellisée. Ils voulaient garder cette étrange liberté, risquée, faire bon et bien pour les amis, moins bien peut-être pour les clients de passage et les inspecteurs. Ce sont les restaurants que paradoxalement, nous aimons aussi. Parce qu’il y a quelqu’un dans l’assiette – pardi ! -, debout, heureux, vivant, gourmand.
Prenez, par exemple, Alain Dutournier, rue de Castiglione, à Paris, au Carré des Feuillants (01 42 86 82 82). Pourquoi l’histoire, un beau jour, consacra-t-elle d’autres gloires aussi valables que lui (un Guy Savoy par exemple, un Le Squer, un Anton, un Guy Martin…) et ne lui déposa-t-elle jamais les trois étoiles qu’il aurait pu décrocher ?
(…)
La clientèle, elle aussi, manque un peu de lumières mais, au moins, il y a des bons vivants qui viennent becqueter. Des tables d’affaires, certes, mais c’est toujours drôle de voir ces hommes en gris se dissoudre lentement dans les grands bordeaux comme un cachet d’aspirine. Ils étaient hiératiques, admirablement « rasoirs », et puis lentement, le sang quitte leur cerveau pour rejoindre le bout de leur nez, les joues, les mains, les couverts. Ils rajeunissent, retrouvent des airs adolescents, quand ce n’est pas poupins."
3 Comments
Certes, la plume de françois simon est plaisante. certes il sait faire saliver de temps en temps. Mais il y a là aussi des portes ouvertes. En ce moment, il y a plus d’intérêt à suivre les recherches de perico legasse sur les derniers bastions de maisons authentiques où on n’a pas peur de faire des vols-au-vent et de respecter le client sans cette ostentation si fréquente dans les maisons à la mode.
Personne ne porte atteinte à Ducasse sur sa capacité à créer, à lancer de jeunes chefs, à rester en haut de la vague. Mais , un jour, quelqu’un osera parler aussi des aspects financiers de tous ces montages et on parlera de ces riches qui investissent sur son nom, espérant quelques retombés médiatiques alors que pour tout autre investissement ils délégueraient les analyses à une floppée d’avocats, comptables et autres sérieux derrière leurs lunettes.
Dutournier : vous verrez qu’un jour Michelin lui accordera le troisième macaron, largement octroyé depuis des lustres par sa clientèle fidèle (qui est capable de faire une terrine de chasse comme lui ?). Alain devra se méfier : ce sera un peu l’oscar "d’une vie" qui annonce l’au-delà ! En fait, je soupçonne ce chef de coeur de développer une certaine fierté à être de loin le "deux macarons" le plus injustement coté sur cette planète.
François Simon a maintenant son blog : Simon~Says ! (francoissimon.typepad.fr/…
François Simon a maintenant son blog francoissimon.typepad.fr/