– L’Eigerwand n’est pas une paroi comme les autres. Vous connaissez mieux que moi tous les drames qui s’y sont déroulés. L’un d’eux me touche particulièrement parce que j’y ai perdu un ami…
Bardill me regarda avec étonnement.
– Vous savez, Peter Anton, que j’ai accompli une partie de mes études à l’Ecole Internationale de Leysin. C’est là que j’ai connu John Harlin. Il fut l’un de mes professeurs et c’est lui qui me donna le goût de l’alpinisme. Lorsque nous apprîmes sa mort accidentelle dans la face nord de l’Eiger alors qu’il en tentait la première direttissime hivernale, nous fûmes tous envahis d’un indicible chagrin. Harlin était pour nous un modèle et sa mort absurde, due à une rupture de corde alors que les principales difficultés avaient été vaincues, constitua un choc terrible pour notre petite communauté d’étudiants.
Bardill me regarda avec étonnement.
– Vous savez, Peter Anton, que j’ai accompli une partie de mes études à l’Ecole Internationale de Leysin. C’est là que j’ai connu John Harlin. Il fut l’un de mes professeurs et c’est lui qui me donna le goût de l’alpinisme. Lorsque nous apprîmes sa mort accidentelle dans la face nord de l’Eiger alors qu’il en tentait la première direttissime hivernale, nous fûmes tous envahis d’un indicible chagrin. Harlin était pour nous un modèle et sa mort absurde, due à une rupture de corde alors que les principales difficultés avaient été vaincues, constitua un choc terrible pour notre petite communauté d’étudiants.
La traversée des dalles lisses juste au-dessous du premier névé, dite traversée Hinterstoisser, ne posa guère de difficultés à Bardill. En revanche, au retour, nous savions que ce serait plus difficile et qu’il faudrait effectuer un rappel pendulaire audacieux qui nous amènerait juste au-dessus de la Fissure Difficile.
Encore quelques longueurs et Bardill me désigna une vire:
– Voici le Nid des Hirondelles. C’est un des meilleurs endroits pour passer la nuit dans la face. Et confortable, vous verrez …
– Voici le Nid des Hirondelles. C’est un des meilleurs endroits pour passer la nuit dans la face. Et confortable, vous verrez …
Pendant qu’il installait le bivouac, non sans nous avoir au préalable arrimés à trois solides pitons dont j’entendis le chant clair et rassurant lorsqu’ils s’enfoncèrent dans la roche, je m’occupai de l’intendance. Ce ne fut pas simple. Le débouchage et la décantation d’un grand vin n’est jamais une opération simple. A 3500 m sur une terrasse exiguë, cela représente quelques astucieuses contorsions.
J’avais choisi pour célébrer ce moment – fort éloigné en ce qui me concerne de toute idée de commémoration – de hisser jusqu’à ces hauteurs une bouteille de Château Margaux 1900…
J’avais choisi pour célébrer ce moment – fort éloigné en ce qui me concerne de toute idée de commémoration – de hisser jusqu’à ces hauteurs une bouteille de Château Margaux 1900…
La lumière déclinante de cette fin de journée d’été me permit d’apercevoir une robe sombre avec des nuances d’évolution positives. Dès l’ouverture de la bouteille, d’incroyables fragrances s’en échappèrent. Ces notes de fruits, d’épices, de santal, de cèdre calciné, au milieu de cette paroi abrupte, froide, inhumaine, dans cette verticale minéralité, prirent un tour quasi magique. Nous entrions dans une forme d’existence jusque-là inconnue, à bien des égards très étrange, car si nous devinions un lien, sa direction nous restait obstinément voilée.
Décrire en détails la complexité aromatique et la suite en bouche de ce vin absolument parfait m’apparaîtrait, dans le cas présent, presque comme une trahison car l’atmosphère qui fut celle de cette soirée particulière, liée en partie au souvenir de John, mais aussi à l’éternité d’un instant magique, résisterait à une telle description. Le souvenir de ce vin, peut-être le plus grand que j’aie dégusté à ce jour, m’apparaît comme inscrit dans un moment de mon existence où pour la première fois j’ai compris que personne n’est maître de son destin et que l’ensemble des forces qui nous régissent, parfois en s’opposant, n’ont pas pour mission de concourir à notre perte mais de nous aider à vivre.
Décrire en détails la complexité aromatique et la suite en bouche de ce vin absolument parfait m’apparaîtrait, dans le cas présent, presque comme une trahison car l’atmosphère qui fut celle de cette soirée particulière, liée en partie au souvenir de John, mais aussi à l’éternité d’un instant magique, résisterait à une telle description. Le souvenir de ce vin, peut-être le plus grand que j’aie dégusté à ce jour, m’apparaît comme inscrit dans un moment de mon existence où pour la première fois j’ai compris que personne n’est maître de son destin et que l’ensemble des forces qui nous régissent, parfois en s’opposant, n’ont pas pour mission de concourir à notre perte mais de nous aider à vivre.
(Conversations dans l'Eigerwand, extraits)
6 Comments
Ce serait sympa que quelqu’un l’enregistre et la grave sur DVD ?
Vos souhaits sont des ukases, ce sera fait Mister Mauss !
Phil : rappelez moi la date de votre anniversaire !
Dans cet esprit allez voir, au cinéma Imax (ecran géant) du musée des transports à Lucerne le film "Les Alpes". Magnifiques images des alpes et récit émouvant d’un homme (père de famille), partant tuer ses démons, en escaladant la face nord de l’Eiger, dans laquelle son propre père s’était tué, 40 ans auparavant, juste avant le sommet.
Les images des 3 alpinistes dans la face sont impressionnantes !
Selon Benoît Aymon, ce film représente tout simplement "les alpes comme on ne les a jamais vues…" On ira jusqu’à Lucerne. Cela dit, le protagoniste du film n’est autre que John Harlin Jr, le fils de John Harlin tombé à l’Eiger en 1966. Etrange de penser que la nouvelle "Conversations dans l’Eigerwand", parue dix ans avant ce film, met en scène exactement la même thématique…
bien tourné et savament plaisant telle est l’atmosphère qui se dégage de l’eigerwand dont je voudrais enfin!…réaliser (en solo) quand ma santé le permettra l’ascension!…
sportivement,
jean claude