Certains millésimes sont célébrés avant même leur naissance. D’autres, enterrés trop vite. Quelques millésime passent au loin dans une relative indifférence, tel un ami de la famille à qui l’on aurait oublié de demander des nouvelles. Et 2013 ? Chaque année, les « frères » Jacques (Rigaux, Tasciore et Perrin) prennent leur bâton de pèlerin, enfourchent leur tapis volant et se retrouvent en Bourgogne. C’est presque devenu de l’ordre du rituel.
Premier arrêt : Vosne-Romanée. Le temps est maussade, sous un ciel d’une consistance laiteuse. Seules les taches de couleurs des vendangeurs disséminés dans les vignes viennent mettre un peu de relief. Au domaine Leroy à Vosne-Romanée, ça sent la fin des vendanges. D’autres ont à peine commencé. Après les épisodes pluvieux de la semaine précédente, ils savent qu’il faudra passer enclencher le turbo. Le botrytis cynerea est tapi en embuscade. Premier arrêt sous la croix la Romanée-Conti. Les premiers rangs de la Romanée-Conti (plantés à plus haute densité) ont déjà été cueillis. Le reste sera coupé prochainement. Les sols sont lourds, humides. Les terres ont l’air de vouloir vous retenir. Amoureuses. Il faudra vendanger vite.
Arrêt au cuvier de la DRC. La vendange des Grands Echezeaux arrive sur la table de tri. Ceux qui prétendent que rien ne vaut le tri à la vigne ont peut-être raison mais le tri de finition à la table de tri sera nécessaire cette année. Il faut être attentif, concentré, ne rien laisser passer. Pas le moindre grain de verjus ou attaqué par le botrytis. Pas la moindre feuille. A la DRC, une quinzaine de personnes sont concentrées devant le tapis roulant sous l’œil sagace de M. Noblet.
Juste à côté, au domaine du Comte Liger-Belair, l’atmosphère est plus débonnaire, mais on ne lâche rien non plus. La Romanée est déjà rentrée. Le Nuits Lavières défile sur la table de tri au son d’une musique d’ambiance. Peu ou pas de vendange entière ici. A la sortie de l’égrappoir on élimine les résidus de rafle et on procède à un dernier tri. Légèrement tendu à notre premier passage, Louis-Michel se rassérène peu à peu. Ça fera bon ! On repasse à la DRC pour serrer la main d’Aubert de Villaine qui nous convie à venir cet après-midi « à la Tâche ». Le Montrachet et le Corton ont déjà été coupés la semaine dernière.
C’est l’heure de déjeuner. Le lundi, tout est fermé en Bourgogne. Jacky Rigaux fouille dans sa mémoire : « et si on appelait François Simon ? » Le chef, pas le critique masqué. Direction Flagey-Echezeaux. Une maison rassurante. Le chef est parti. Mais ça s’appelle toujours Simon. Un adresse angélique. Pour sa carte des vins, d’abord, emplies de bonnes surprises et d’aubaines. Il paraît que Laurent Vialette a déjà sévi dans le secteur. Et pour sa cuisine, sérieuse, appliquée avec un menu du jour à 18 euros. Un bémol tout de même : ne venez pas ici pour un diner d’amoureux.
On se met en mode ataraxie avec un Nuits Saint-Georges 2009 d’Emmanuel Rouget. Et les récits commencent, s’enchaînent, se complètent : la corporation des gourmets, Henri Jayer, les climats, les différence entre Bordeaux et Bourgogne, l’essor du vin de Beaune, les sélections massales.
Chambolle-Musigny : difficile de garer aujourd’hui dans ce village aux frondaisons calmes. Ne nous fions pas aux apparences. Dans les cuviers règne une effervescence particulière. Christophe Roumier déboule dans la cour au volant d’un tracteur. Il revient des Bonnes-Mares avec une partie de la récolte. A peine le temps de nous saluer. C’est le moment choisi par un camionneur pour livrer une porte de garage. « Il aurait pu au moins téléphoner avant… »
Ainsi va la vie des vendanges.
Nous n’avons guère le temps dans ces conditions de parler du millésime. A quelques dizaine de mètres, chez Jacques-Frédéric Mugnier. Tout est calme. On attend la suite du Musigny. Jacques-Frédéric n’a pas l’air plus stressé que d’habitude. Malgré son caractère énergique, la responsable du chai, en revanche, accuse la fatigue des longues journées et nuits passées au pressoir. Le Musigny arrive enfin. On goûte le raisin. C’est savoureux. Jacky évoque le Musigny de Leroy vendangé il y a plus d’une semaines. « Ah oui ? répond M. Mugnier en regardant au loin, juste au-dessus du rocher de Chambolle. Moi, je pense qu’il y a un moment précis pour la juste maturité. Après, ce sont des choix personnels. »
Assez vu de grands crus ! Et si on regardait ce qui se passe au niveau des « Villages ». Un coup de fil à David Duband qui se trouve dans les Pourroux, à Morey Saint-Denis, juste sous le Clos de la Bussière. L’équipe des vendangeurs est de bonne humeur, même après une longue journée. C’est bon signe. La table de tri est ici directement montée sur une remorque et le tri se fait ainsi directement à la vigne. Arrive David qui distribue ses instructions. « Conduire ses équipes de vendangeurs quand, comme moi, on travaille sur 16 ha ce n’est pas une sinécure ! Il faut que ça groove, dit David qui est saxophoniste à ses heures. Cette année, il faudra aller très vite ! » Les raisins sont beaux, des petites grappes aux grains millerandés, avec quasiment pas de pourriture. « Les sélections massales feront la différence dans un millésime comme celui-ci » précise David.
Nous reprenons la route. Je demande à Jacques Tatasciore : « Et toi tu commences quand tes vendanges ? « Je pense commencer le 13 octobre, s’il fait beau ! De toute façon, ce sera vite fait : cette année, j’ai été grêlé à plus de 80 % » Il y a des millésimes où tout coule de source, où les fées se sont penchées sur tous les berceaux, où les dieux dansent parmi nous, où la lumière, le vent, le soleil et la pluie arrivent au bon moment, où la lune s’est décrochée, où le monde semble parfait. Des années qu’on voudrait retenir.
Mais nous ne retenons rien. Pas même la succession des instants. Nous ne gardons que l’intervalle qui les sépare, le ma dont parlent les Japonais. Tout passe. Tout s’écoule. Et c’est très bien comme ça.
Sinon nous ne goûterions pas le vin. Pas de la même façon.
Comment
Je me suis permis de mettre un lien sur ce billet sur le site de Parker. Vraiment bravo pour ce travail et ces photos !
Billet à archiver !
Merci Grand Jacques 🙂