A 8.42, avec 40 minutes de retard, le Boeing 757-200 s’arrache à la piste de Newark Liberty dans le New Jersey. C’est le vol 93 d’United Airlines. 38 passages, 5 membres d’équipage et 2 pilotes pensent arriver dans quelques heures à San Francisco. Vers 10.06 (heure approximative car les versions divergent), l’avion s’écrasera au sol à Shankswille du côté de Pittsburgh. Que s’est-il passé à bord du vol 93 ? Les derniers mots de Todd Beamer, l'un des passagers, Are you guys ready? Let's roll, captés par son portable, suggèrent une attaque contre les quatre pirates et une tentative de reprendre le contrôle de l’avion…
9h22 : en visite dans une école de Sarasota, le président Bush est enfin joint. On l' informe de la situation. Cette image de lui qui reste. L'a-t-on rêvée : il se plonge dans le livre pour enfants qu’il tenait entre ses mains et, durant de longues minutes, feint (?) de le lire comme s'il y cherchait un sens à ce qui vient de se produire. Interloqué.
10h00 : effondrement de la tour sud du World Trade Center.
10h10 : effondrement d’une aile du Pentagone.
10h29 : effondrement de la tour nord du World Trade Center.
Reprenons…
Voix off : Don DeLillo.
"Le roman est si lent à se développer, à naître. Je me demande combien de temps il faudra pour que le roman américain prenne conscience et se modifie après le 11 septembre."
L’image. Duelle. Tout est double ici. Les TwinTowers d’abord, figures gémellaires. Le réel et l’imaginaire. L’axe du mal contre les forces du bien. L’islam contre la chrétienté. La perfidie contre l’intelligence. La lâcheté contre le courage. Tellement américaine, cette histoire : mise en scène comme une film catastrophe. L’Amérique prise au jeu de sa propre fiction. On éprouve le réel d’abord, dans sa chair, dans son âme et le film, pour une fois, vient après… J’ai revu aujourd’hui ces fameuses images en boucle, prises en direct, des films d’amateurs aussi. Désolation. Ces commentaires affligeants. Les musiques affligeantes qui les souligent. On ne sort pas du spectacle.
Voix off : Rimbaud.
"Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs.
Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours.
Assez connu. Les arrêts de la vie. — Ô Rumeurs et Visions!
Départ dans l'affection et le bruit neufs!"
Il ne faudrait pas montrer d’images, juste imaginer, reconstituer le pire, s’enfoncer dans le temps mort, faire corps avec lui, expérimenter une durée radicalement différente. Comment en revenir indemne ?
Dans Requiem pour les Twin Towers, Jean Baudrillard évoque la sculpture qui avait été commandée à un artiste africain. Prémonition incroyable : celui-ci s’était représenté transpercé par des avions !
Voix off : Jean Baudrillard.
«Saint Sébastien moderne venu lui-même le 11 septembre poury travailler dans son atelier au World Trade Center ; il est mort enseveli sous les décombres des tours. Il est stupéfiant d’avoir commandé la figuration et la préfiguration de ce qui allait se passer au lieu même de l’événement."
Qu’avait-il vu cet artiste dont l’histoire n’a semble-t-il pas retenu le nom ? Sa propre disparition. L’œuvre d’art comme une théorie du chaos. D’autres savaient sans doute, avaient eu cette prémonition, dans les services de renseignements, qui ne l’ont pas payé de leur vie, qui aujourd'hui ne traînent derrière eux qu’un regret aussi vague que le regard qu'ils portent sur le monde.
Tant de choses à dire encore, à tenter de penser, à décrypter. Si différents soient sur le plan des valeurs ces mondes qui s’opposent, si troublants parfois leurs lignes de faille et leurs points de rencontre (hégémonie, puissance financière).
Etrange, six ans plus tard, que le réseau Al-Quaïda (« la base ») soit toujours opérationnel, en dépit des moyens déployés pour l'abattre. Etrange de savoir que Ben Laden, apparemment toujours en vie, coule des jours tranquilles, uniquement interrompus par les nécessités médiatiques (pour l’occasion, il se serait même fait raccourcir et teindre la barbe). Il nous endort avec sa légende d'anachorète terré dans les montagnes afghanes. Il vit ici, ou ailleurs, peut-être même à New-York, là où personne ne songera à le débusquer, entouré d'écrans, comme enlisé dans sa propre fiction… Son dernier discours en date – dont pour l’heure ne nous est parvenue que la transcription donnée par le SITE (centre de surveillance américain des sites internet) – reprend toujours les mêmes fadaises délirantes. Auxquelles Bush ne s’empêcher de répondre, y trouvant au passage la justification de ses propres positions. Figure duelle. Tout ceci ne préfigure-t-il pas autre chose ? N'avons-nous pas assistés, sans le savoir, à la naissance d'autre chose ? Sommes-nous arrêtés face à ces gravats, muets devant cette ombre que nous n'avons pas commencé à penser ?
».
Comment
BEN LADEN et sa clique: quel sera le souvenir laissé dans la mémoire collective et son influence sur la marche du monde dans 50 ans: RIEN ou à peu près la même chose que les anarchistes du début du siècle dernier!