La première particularité de ce domaine, c’est ce que Christian Zündel et sa fille Myra nomment eux-mêmes « la vie à la frontière », à Beride, à quelques mètres seulement de l’Italie. D’ailleurs, père et fille en parlent beaucoup, de l’Italie ! Ils y sont même tout le temps « fourrés ». Christian ne jure d’ailleurs que par le nebbiolo, le plus grand cépage du monde, dixit. Avec Daniel Huber et quelques autres, il appartient à ce groupe de vignerons suisses-allemands arrivés dans les années 1980, « les pionniers », ceux qui ont eu le mérite de défricher littéralement leurs terroirs puis montrer la voie de la qualité. En Tessin, Christian a aimé tout de suite le fait qu’il n’y ait pas de monoculture, le côté encore sauvage de cette terre. Pédologue de formation, il est un homme cultivé, opiniâtre, charismatique, sensible et très respectueux de son territoire d’accueil. La recherche et l’expérimentation permanentes l’ont amené à adopter une philosophie d’expression du terroir au travers ses vins. Ainsi, depuis 2004, les 4 hectares de vignes sont travaillés selon les méthodes de la biodynamie. Il cultive chardonnay, erbaluce, merlot et un peu de nebbiolo. Depuis désormais quelques temps, il est secondé par son fils Manuel et sa fille Myra, qui reprennent le Domaine avec leur sensibilité, beaucoup de passion… et une patience bienveillante pour canaliser leur bouillonnant paternel, éternel insatisfait, mais surtout personnage très honnête et exigeant vis à vis de lui-même !
Myra & Christian Zündel (crédit photo)
Les Zündel se distinguent également des autres producteurs tessinois par leurs pratiques de vinification : la fermentation est déclenchée par des levures indigènes et les macérations sont longues, avec le moins de travail possible des moûts. On extrait ce qui doit être extrait, on ne « tape » pas dedans. L’élevage se fait en barriques de plus de 3-4 ans pour ne pas apporter d’arômes de bois neuf. Ici, on n’achète que 5-6 barriques sur les 60 disponibles annuellement. Sur les 4 hectares cultivés, 1.3 sont consacrés au chardonnay, ce qui peut paraître curieux de prime abord mais finalement, le cépage trouve ici très bien sa place. La passion de Christian pour ce dernier vient de son émerveillement après une dégustation d’un Meursault les Perrières 1982 de JF Coche-Dury, c’était en 1990. Les terres dont il dispose sont très bien adaptées, les vignes sont situées à Bedigliora (600 m d’altitude) et dans le bassin de Beride.Les sols de Castelrotto et Ronco, vignobles surplombant la vallée de la Tresa et exposés à l’ouest, sont quant à eux eux dédiés au sacrosaint merlot, qui demeure le cépage le plus important du domaine… et de la région ! A ce sujet, relire le Vinifera opus 59.
Enfin pour en venir à la cuvée goûtée lors de notre récente verticale, Orizzonte, rappelons que le premier de ce vin millésime fut 1990. À l’époque il y avait une seule vigne, vieille et louée proche d’une villa qui s’appelait Orizzonte. L’autre vigne, entrée plus tard en production, a été plantée en 1987, sur une terre de gneiss et de schistes (Sass). Ensuite, l’assemblage des terroirs est resté, le vin aussi. Et nous avons eu, dernièrement, le plaisir d’en goûter plusieurs millésimes, en compagnie de Myra et Christian, au cours d’une soirée magnifique, qui transpirait l’humanité et la passion. En voici le récit.
Vino rosso del Macantone, Orizzonte 1993 (troisième millésime) : Malgré son âge et la difficulté du millésime, le vin possède une belle tenue, il est à la fois ferme et détendu, assez juteux, construit sur un maturité fraîche mais pas aboutie du tanin. Le vin n’a pas de cheveux gris, il s’allonge sereinement, c’est un très beau vestige du passé, pas usé.
Vino da tavola della Svizzera italiana, Orizzonte 1997 : Etonnement, ce millésime parait plus patiné et évolué. Attaque relativement fluide pour un vin de demi-corps, effilé, plus en longueur qu’en largeur, il est temps de le boire. La seconde bouteille est plus dense et unie, mais la maturité reste limitée.
Vino da tavola della Svizzera italiana, Orizzonte 1998 : On est sur un tout autre profil de nez ici avec un ensemble mûr, épicé et tabacé : on devine une maturité et une densité. Le vin attaque avec un corps vineux, profond, une trame dense et serrée. Il possède un équilibre presque italien, loin d’être fatigué – c’est profond, long, sur le poivre. Très belle bouteille, qu’il faudrait idéalement apprécier à table !
Vino da tavola della Svizzera italiana, Orizzonte 1999 : Beau nez assez uni et expressif, sur des nuances de jus de viande, de tabac. Attaque avec une forme de suavité et de sucrosité dans les tanins, le vin possède une texture élastique, continue, il s’allonge élégant, harmonieux : ce n’est pas un monstre mais c’est bon, posé et sans doute délicieux à table.
Vino da tavola della Svizzera italiana, Orizzonte 2001 : Sur cette bouteille, nez un peu moins expressif mais par contre en bouche, la texture est remarquable, pulpeuse, avec une chair unique à ce stade de la verticale, il est gourmand, langoureux, très sexy dans son tanin, c’est un délice.
Vino da tavola della Svizzera italiana, Orizzonte 2006 : Nez plus insaisissable, mais avec une forme d’élégance, il a en fait besoin de temps pour se mettre en place. En bouche l’acidité crisse dès l’attaque, le vin est très tendu, électrique, nerveux, comme limité par les maturités de l’année, on est presque sur un équilibre de blanc – il faudrait manger pour l’apprécier davantage.
Vino da tavola della Svizzera italiana, Orizzonte 2007 : Sur ce millésime, gros gain de jeunesse, de densité, de maturité et fruit, avec un vin grandement soyeux et sanguin, aux tanins mûrs et enveloppés, raffinés, pour un cru qui se prolonge en élégance et en harmonie – c’est une très belle bouteille et l’un des meilleurs millésimes de la verticale. Mais Christian ne l’aime pas, car trop différent de la démarche terroir qu’il a ensuite voulu adopter ! Nous allons comprendre pourquoi…
En effet, à partir de là, la vinification change, le vigneron intervient beaucoup moins. L’expérience de la Valtellina (I Vinautori) a aussi été riche de sens. Il abandonne les extractions actives, travaille en grain rond, pas de foulage, macérations lentes, Raoul Cruchon l’a beaucoup aidé sur ce point avec son approche du pinot. Il effectue un léger foulage quand même pour libérer du jus et favoriser une cinétique fermentaire régulière.
DOC Ticino, Orizzonte 2008 : Le style du millésime est tout autre, avec un vin de maturité froide, au tanin moins enrobé, plus à nu, sur l’arrête, mais qui demeure juteux et frais, comme si c’était une signature du terroir ou plutôt des terroirs qui constituent la cuvée. En le regoûtant, on retrouve le coté électrique des rouges du domaine, qui réclament un vis à vis, en l’occurrence un plat, pour briller.
DOC Ticino Merlot, Orizzonte 2009 : Ensemble, mûr, épicé, harmonieux, solaire au nez. En bouche le vin est dans le même registre mais avec une structure appuyée, un peu comme le 98 plus tôt. Il est encore assez ferme et peu avancé dans son évolution tannique. Finalement il fait le lien entre 2007 et 2008, c’est sans doute un coureur de fond qui donc méritera de la garde et du temps.
DOC Ticino Merlot, Orizzonte 2011 : Attaque sur un tanin mûr et frais, très dynamique, avec pour la première fois apparition de salinité, le grain est fin, c’est sapide, salivant, il se prolonge sans à coup. Pour un millésime ni chaud ni froid, malgré le format magnum, il est déjà très accessible et appréciable, on peut le boire !
DOC Ticino Merlot, Orizzonte 2013 : On est sur une maturité fraîche mais complètement aboutie, pour un vin raffiné, très salin là aussi, ce cru est comme une étape car il montre les progrès du domaine dans l’interprétation des millésimes : c’est long et frais, très juteux, sans sécheresse, vraiment bon.
DOC Ticino Merlot, Orizzonte 2014 : La première bouteille n’est pas nette, la seconde est meilleure pour un vin de fluidité et buvabilié, réalisé dans le cadre d’un millésime très difficile (Suzukii), mais les tanins sont mûrs et le vin tient debout. Christian l’aime beaucoup et l’assume !
DOC Ticino Merlot, Orizzonte 2018 : Premier millésime de Myra. Grêle le 7 mai. 3 semaines « d’hiver », puis la vigne s’est relancée. Premier nez très intense, profond, pour un vin qui entre en bouche avec un côté virevoltant et crayeux, puissant mais frais, à la grande texture soyeuse : la définition du grain est augmentée, on a une expression du terroir qui explose en bouche, c’est juteux, kaléidoscopique, coup de coeur !
DOC Ticino Merlot, Orizzonte 2020 : Grande intensité de fruit pour un vin de fortes proportions, qui est comme le point d’orgue de la dégustation. En bouche, la trame est encore jeune et moins juteuse que 2018 à ce stade, par contre la force et la tension sont grandes. On a littéralement l’impression qu’il s’ancre dans le sol, c’est très intense en saveur, presque piémontais.
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