Longtemps que nous l’attendions à l’Ecole du Vin, Vincent Dauvissat ! Il a quitté son domaine, sa cave, ses vignes pour venir, en compagnie de l’ami Rigaux, commenter cette verticale de l’un des fleurons du domaine, Le Chablis Premier Cru La Forest. Pendant plus de deux heures et les vins et le vigneron ont fasciné le public venu assister à cet événement rare. Discret, doté de l’humilité des gens proches de la terre et des éléments, sincère, Vincent Dauvissat a su trouver les mots pour nous raconter sa vision du Chablis dont on ne dira jamais assez que ses plus belles (et rares) expressions font partie des plus grands vins blancs de Bourgogne avec – les vrais amateurs le savent – à la fois une sapidité étonnante et une aptitude à vieillir jamais prise en défaut.
« Ca me touche d’être ici, parmi vous, a-t-il dit en préambule. Puis Vincent a poursuivi avec l’historique du Domaine. « Le domaine, c’est une histoire de famille. J’ai travaillé avec mon père. Mon père a été avec son père, et ainsi de suite… Ça a commencé avec mon grand-père en 1931 quand, petit vigneron avec 2 ha, a décidé de mettre son vin en bouteille. Le nom Dauvissat, c’est 16e, 17e siècle et ces gens-là, ils ont toujours cultivé la vigne.
Aujourd’hui on a 14.5 ha. L’important, c’était de faire le travail et de ne pas se faire par la productivité. Ces gens-là ont compris qu’il y avait des grands terroirs à Chablis. Ce climat un peu continental qu’on a avec des étés relativement chauds et avec ses hivers assez rudes avec des gelées fréquentes. C’est la protection contre le gel qui a permis de développer le vignoble de Chablis dans les années soixante et nous a permis de faire des récoltes à peu près régulières. Avant, c’était une année sur trois, il ne faut pas l’oublier… Il y a eu une poignée de vignerons qui ont cru en ce vignoble et qui se sont battus corps et âme pour tenir et après, ça s’est développé.
Moi je suis arrivé en 1977, c’était ma première vinif’. Je suis une fratrie de cinq enfants, je suis le quatrième. C’était mon frère aîné qui devait reprendre le domaine et il a eu d’autres envies. Quand on est jeune, on a cette faculté d’être connecté avec les éléments, le naturel, il y a cette symbiose qui pour moi s’est effectuée et voilà… c’est une histoire de continuité.
La biodynamie m’a toujours interpellé. Je jardine beaucoup. Dès que j’ai pu avoir les rênes, j’ai amené mes idées. On a commencé en 1998 et on a passé tout le vignoble en 2002.
Les Forest : on a 4.5 ha. Il est sur la rive gauche du Serein. Exposition sud-est. C’est du classique à Chablis. Soit c’est sur la rive droite avec des expositions sud, soit sur la rive gauche. Forest est une vallée fermée, protégée des vents dominants, d’ouest et de sud-ouest. A la fois un peu protégé du vent du nord par la croupe des Montmains. C’est un terroir qui n’est pas précoce. Il met du temps à se réchauffer. En contrepartie, il a la faculté d’emmagasiner de la chaleur et de la restituer. Il faut être patient avec lui. Je le vois un peu comme un marathonien avec un superbe finish. On est sur des argilo-calcaires, comme partout à Chablis avec ses marnes kimméridigiennes. Ce qui fait la force des Forest, c’est la qualité de ses argiles, très différentes. Au niveau des couleurs déjà, il y a un peu de tout. Il y a de l’ocre, du blanc, du rouge, du bleu, du vert. C’est agencé de manière très différente. Au niveau de la topographie, on est sur une côte convexe. La partie où il y a une rupture de pente, on est un peu érodé par les vents et dans le haut et dans le bas, on a des sols relativement profonds. »
La verticale
Chablis Premier Cru 2013 La Forest
Nez très fin, cristallin, d’une belle pureté d’expression, même si un peu retenu à ce stade. Compte tenu de la réputation et de la difficulté du millésime à Chablis, on ne peut qu’être surpris très positivement par la tenue et la précision de ce vin.
Vincent Dauvissat : « 2013 est une année relativement tardive. Très petits rendements. La floraison ne s’est pas bien faite. Printemps humide et la fin de parcours n’a pas été facile. C’était relativement froid, pas mûr et ça s’est mis à basculer sur un temps très orageux, humide et il a fallu vendanger les raisins au vol. tout avait basculé au stade de pourri plein et on a récolté pratiquement tous les 2013 dans cet état. Jacky Rigaux évoque, lui, un millésime de combat.
Le caractère Forest vu par Vincent Dauvissat : ça monte en puissance au fur et à mesure qu’on le grume en bouche, et il y a cette fraîcheur, cette énergie sur la finale.
En 2001, au niveau aspect du raisin, ça ressemblait au 2013, avec des notes de mousseron, champignon, mais en moins mûr. Après en remontant, ça ressemble vraiment à 64… »
Chablis Premier Cru 2009 La Forest
Nez d’intensité moyenne, sur des notes fruitées légèrement confites. Ensemble assez charnu, avec une belle trame minérale. Cette pointe d’austérité qui vient au développement, – même s’il n’a pas la même tension que le 2010 – la signature Forest est là, il développe sur la finale un très fin miellé.
Vincent Dauvissat : «2009 est un millésime avec beaucoup de soleil. Vendange saine. Très peu d’acidité. On a récolté des raisins avec une maturité qui n’était pas excessive, on a rentré des jus à 12.5. ça permet de ne pas avoir des vins envahissants. »
Jacky Rigaux : « il faut déguster ces vins en nous concentrant sur la façon dont les vins nous font saliver et entrent en nous. Il y a là comme une forme de communion. »
Chablis Premier Cru 2010 La Forest
Nez à nouveau peu disert. Il en dit davantage à l’ouverture. Fleurs blanches au palais, avec une forme très différente de celle du 2009, texture moins évasée, la finale est tranchante, c’est un fin stylet persistant. On sent très bien ici la montée en puissance caractéristique du Forest. Grande finale toute en puissance continue. Beaucoup d’extrait sec sur ce vin.
Vincent Dauvissat : « Ce vin avait énormément de fraîcheur dès la jeunesse, on sentait en cuverie ces arômes un peu chlorophylle, anisés. On aimerait resigner chaque année pour ce millésime ! »
Chablis Premier Cru 2008 La Forest
Pour la première fois (et l’unique) de la dégustation, on perçoit ici une empreinte boisée. Un peu moins de transparence dans le goût ici. Un peu plus effilé que les précédents avec une très jolie salinité sur la finale, ce 2008 est toutefois un peu moins continu et vibrant que les 2009 ou 2010.
Vincent Dauvissat : « 2008 est un millésime classique, maturité toute simple, on ne chaptalise pas non plus. Belles acidités. Les notes fleuries basculent vers le miel. »
Chablis Premier Cru 2004 La Forest
On perçoit une touche de troène. Il va ensuite vers le miellé, mais sans la finesse dans l’expression miellée des plus grands millésimes. La fraîcheur est là, intacte, mais le corps est moins uni, moins fuselé que d’habitude. Belle finale en dépit du rendement annoncé. Avec de l’énergie ainsi qu’une pointe de sècheresse qui va vers le balsamique
Vincent Dauvissat : « 2004 est une année pléthorique (plus de 85 hl/ha). On a connu des problèmes d’oïdium. Malgré tout, on a eu des maturités qui sont arrivées à bon terme. On a chaptalisé un petit peu, deux-trois dixièmes. »
Chablis Premier Cru 2003 La Forest
Ce vin fait partie des plus grandes réussites dans ce millésime. Certes la texture se déploie dans une certaine opulence mais l’ensemble demeure supérieurement équilibré, d’un charme tactile fou avec, sur la finale, le retour en grâce de la trame énergie du Forest. Un tour de force et l’illustration de ce que peut un grand terroir en année extrême !
Vincent Dauvissat : »c’est l’année de la canicule. Vendange de raisins figués, passerillés, pas d’acidité. Les jus qui coulent sous le pressoir ne sont pas des jus mais de l’hydromel. La plante n’a pourtant pas souffert du sec. On avait des 45 degrés à l’ombre alors qu’il faisait 38 dans le sud. En dépit de cela, on n’a pas eu des degrés phénoménaux, on avait des 12.5-13. On a commencé les vendanges quand beaucoup d’autres avaient fini.Aujourd’hui, ça commence à ressembler à des Forest. Quand je goûte ça, ça me touche. Je voudrais encore préciser ceci à propos de ce vin : au niveau de la vinification, on est resté dans la même dynamique. Au fur et à mesure de l’élevage on a vu que ces vins s’estompaient et on a fait des élevages très longs et ces vins au cours de l’élevage n’ont pas du tout consommé de soufre.
Chablis Premier Cru 2005 La Forest
On se trouve une nouvelle fois en présence d’un texture impressionnante, presque extravagante, encore plus sensuelle et baroque que sur le 2003. On a perdu un peu en tranchant et en cristallin, mais le vin offre un toucher de bouche magique.
Vincent Dauvissat : « C’est un millésime particulier. On vendange des raisins avec 75 % de pourriture noble, ça fait un peu bizarre, on n’avait pas l’habitude… Des vins qui flirtent avec les 13.5 – 14 mais qui ont néanmoins conservé de belles acidités. »
Chablis Premier Cru 2001 La Forest
Robe à reflets légèrement dorés. Nez complexe, avec des notes fumées très fines. On retrouve l’expression de la minéralité du terroir en filigrane avec un côté agrume confit. A l’ouverture, il demeure un peu linéaire, très pierre à fusil. On perçoit une légère dissociation en bouche, acidité vive, C’est vif, taillé au cordeau avec une finale sur l’acacia et le miel.
Vincent Dauvissat : « Un peu le même style de raisin qu’en 2013, mais pas avec le même rendu. Au cours des vinifications, c’était déjà très particulier au niveau de l’aromatique. »
Chablis Premier Cru 2000, La Forest 2000
Nez très fin, d’une belle intensité, sur la noisette, l’amande, les notes empyreumatique, avec encore du fruit. Ensemble très pur dans son expression, d’un équilibre remarquable malgré le rendement confortable. Délicieux à goûter dès aujourd’hui !
Vincent Dauvissat : «Les vendanges étaient saines, avec du volume… »
Chablis Premier Cru 2002 La Forest
Belle structure, mais au niveau aromatique, il est très éloigné du style habituel du cru avec un côté un peu évolué, caramel, lactique. Une deuxième bouteille s’avère bien meilleure.
Vincent Dauvissat : « Normalement , c’est un superbe classique, ce qu’on a l’habitude de faire à Chablis. Les 2002, je les vois un peu comme les 2014. Il faut leur ficher la paix ! »
Chablis Premier Cru 1996, La Forest
Très belle expression aromatique, intense, complexe, malgré au premier passage quelques notes fugaces qui pourraient faire penser à un début d’évolution. Mais le vin se reprend très vite, affiche son côté balsamique, puis truffé. Beaucoup d’énergie, avec une trame minérale. Le vin est austère, tendu, cistercien. Beaucoup plus lyrique sur la finale.
Vincent Dauvissat : » 1996 est millésime hyper particulier : ça mûrit énormément, par vent du nord, ça ne mûrit que par le coté solaire mais sans chaleur. Ce sont des vins hyper concentrés. Celui-ci fait 14.5. C’est hors norme, on croit que c’est oxydé avant l’heure, on n’a jamais cru en ces vins et au jour d’aujourd’hui, il me semble qu’il en est encore au stade du balbutiement. On a la truffe blanche et ça c’est la liqueur de framboise qui bascule. »
Chablis Premier Cru 1990, La Forest (en magnum)
Un peu laine mouillée, il se révèle davantage à l’ouverture. Très belle richesse de constitution dans un style moins tendu et moins fuselé que 1996.
Vincent Dauvissat : « C’est un millésime de très belle maturité, avec du rendement. Je me baladais en vélo et on sentait ces notes de belle poire et de bergamote, c’était magique… »
Chablis Premier Cru 1988, La Forest 1988 (en magnum)
Extraordinaire expression aromatique, complètement à part. Il offre un côté racinaire, grillé, réglisse, badiane, fougère séchée, et finit sur le coffre à cigare, la poudre à canon, les épices. Grande finale pleine d’énergie.
Vincent Dauvissat : « 1988 est un millésime de grosses acidités avec des maturités toutes simples. A la mise en bouteilles, les vins se sont refermés et ce n’est qu’au bout de 10 ans que ça commençait à se goûter. »
Avec encore tous nos remerciements à Vincent Dauvissat et à Jacky Rigaux pour cette passionnante et inoubliable verticale !
6 Comments
Bonjour
J’ai note pour 2004 un rendement de plus de 85 hl/ha ! Une coquille sans doute car je crois que le décret d’AOC autorise au maximum 68 hl/ha ?
Bruno
Belle série …
Pourquoi ce choix de descendre alors que vous goûtez généralement les rouges en remontant les années ?
Laurent, pas de règle préétablie. Si on pense que les vieux millésimes sont grands, on finit par les « vieux ». Si on pense que les millésimes récents sont proportionnellement plus aboutis, on finit par ceux-ci. On s’adapte, dans le but de servir au mieux la dégustation et le domaine. Le but est d’avoir le plus de plaisir possible et que chaque vin ne soit pas desservi par le précédent !
J’aimerai recueillir votre avis sur votre dégustation du millésime 2002. Pouvez-vous décrire plus en détail ce qui vous a poussé à ouvrir une seconde bouteille ?
Je vous pose cette question car j’ai récemment bu les millésimes 2000, 2002 et 2004 de cette cuvée, et alors que je me suis régalé sur le 2000 et 2004, le 2002 présentait des arômes que j’ai du mal à cerner, un côté « carton mouillé » à peine perceptible, qui à priori ne m’a pas orienté vers un défaut de bouchon (mais qui sait ?)
A vous lire.
La première bouteille était trop évoluée, avec un caractère oxydatif sans doute du à une obturation imparfaite et donc un bouchon récalcitrant. Mais pas de trace de TCA.
Goûté Forêt 2004 il y a 3 jours.
Le vin est sans surprise surtout marqué par des notes racinaires très prononcées (idem en 2011) … qui ont déplu à une partie des dégustateurs.