Cette dégustation exceptionnelle a eu lieu au CAVE le 7 novembre 2017 en compagnie de Guillaume Pouthier, directeur de la propriété, qui nous a fait l’amitié de venir la présenter.
Après avoir souligné que la précédente propriétaire, Madame Chantecaille (« Bijou ») – qui vit toujours dans le château – allait fêter ses 100 ans le 4 décembre, Guillaume a décrit les caractéristiques de cette propriété intra muros de 6.83 ha, située sur trois communes (Bordeaux, Mérignac et Pessac) et sans doute la seule à avoir une adresse dans la ville-même de Bordeaux, au 20 rue des Carmes. Celle-ci est traversée par le Peugue, une rivière qui fait office de drainage naturel et sur laquelle a été construit le chai dessiné par Philippe Starck et Luc Arsène-Henry. Un bâtiment futuriste en forme de lame. Vaisseau improbable posé sur l’eau, parfaitement adapté pourtant à la vinification et à l’élevage des vins avec sa ventilation naturelle, l’étrave est recouverte d’Alucobond bronze métallisé qui réfléchit le paysage et traduit les changements de la lumière.
Si la surface viticole couvre à peine 6.83 ha, on y trouve pas moins de 17 UPB (unité pédologique de base), qui témoignent d’une grande diversité au niveau des sols. Guillaume Pouthier a rappelé que sur le lieu-dit « Haut-Brion », on trouve trois châteaux et trois terroirs assez différents : des graves sèches, profondes, datant du Günz sur la partie centrale correspondant au château Haut-Brion, des argiles bleues et des argiles calcaires sur le pourtour qui correspondent au terroir de la Mission et, sur le côté des Carmes, des graves plus petites que celles du Günz et de Mindel, avec beaucoup de crasse de fer. Du coup, l’encépagement est orienté sur la rive droite avec une forte proportion de cabernet franc (40 %) et de merlot (42 %), le solde étant en cabernet sauvignon (18 %).
Ce lieu est suspendu. Il est clos, avec une enceinte. L’histoire des Carmes est particulière. Ce vignoble appartenait à Haut-Brion et en 1584, le propriétaire de Haut-Brion, Jean de Pontac, a donné ce vignoble aux Carmes blancs. Jusqu’à la révolution, les Carmes ont fait le vin qui s’appelait alors le petit Haut-Brion. C’est Léon Colin, marchand de vin, ancêtre des Chantecaille, qui a repris la propriété en 1840 et l’a baptisé Les Carmes Haut-Brion. En 2010, la famille Chantecaille-Furt l’a cédé à Patrice Pichet.
« Je suis arrivé en 2012 et j’ai commencé à vinifier pour partie en grappes entières. Je trouvais que les moyens étaient très limités en terme de sélection. Jusque dans les années 2010, il n’y avait que trois cuves aux Carmes, une pour chaque cépage.
Ce qui est unique aux Carmes, ce sont ses cabernet franc. Pour moi, il y a un vin unique à Bordeaux, c’est Lafleur, l’archétype du bouchet avec son côté floral, sur l’iris, le pivoine, ainsi que la violette qui est davantage lié au côté réducteur. Il ne faut pas oublier qu’aux Carmes, on a des graves différentes, plus petites, des graves du Günz et du Mindel avec des taux de crasse de fer importants, comme on les retrouve à Pape Clément. »
Pourquoi la grappe entière ? « Je suis très soucieux de ma rentrée de vendange. Nous intervenons très peu au niveau du chai. Je travaille très rarement en mono-cépage. Nous cherchons à obtenir des tanins qui soient plus onctueux, plus crémeux, plus aériens. Ces tanins-là sont davantage des tanins de pellicules que des tanins de pépins. Lorsque la rafle aoûte, elle devient rouge et amène une notion très importante pour moi, elle est très riche en sels. Toutes les rafles qui sont rouges, on les garde, et toutes les rafles qui sont vertes, on égrappe. Le taux de grappes entières dépend donc de l’aoûtement des rafles. Dans la cuve, on procède en faisant des couches, des mille-feuilles. Le but, c’est de faire fermenter les jus avec un ou deux volumes de remontages, un ou deux pigeages, pas plus. Ensuite, on met en quelque sorte les marcs sous clé. (…)
Dès la fermentation alcoolique, j’élève mes vins en réduction. Plus vous abaissez le potentiel redox d’un vin, plus il va durer dans le temps. Il faut encore préciser que la grappe entière libère de l’eau. (…)
En ce qui concerne la viticulture, les vignes ont été conduites en bio depuis 2005 et, à partir de 2012, nous sommes passés en biodynamie.
Je précise encore que, aux Carmes, il n’y a qu’un seul vin. Nous travaillons sur le côté identitaire du lieu. Ce qui m’intéresse, c’est l’équilibre entre le ratio acidité/alcool. N’ayant qu’un vin, ce que nous essayons de faire, c’est une photo, avec la définition la plus précise du lieu. Pour cela, nous devons travailler avec le plus grand nombre possible de pixels ».
La dégustation
Château Les Carmes Haut-Brion 1983
Un vin de préambule qui n’était pas prévu dans la dégustation. Souple, généreuse et assez simple, la bouche est précédée par un nez sur le cuir, les épices, avec un boisé marqué par un côté rancio. A boire.
A1 Château Les Carmes Haut-Brion 1996
Aromatique expressive et linéaire. Le corps est élancé, fin, doté d’une agréable vivacité. Finale un peu ténue. Assez classique dans son construction.
A2 Château Les Carmes Haut-Brion 1999
Profil plus crémeux, plus mûr. Note de cuir, de truffe, de fumé, très typé des Carmes dans l’aromatique. Le corps dénote une certaine opulence. Bon.
B1 Château Les Carmes Haut-Brion 2004
Il est frais, floral et épicé dans sa présentation aromatique. Corps élancé, trame épicée, au développement un peu limité et qui finit sur un tanin poudré, un peu strict.
B2 Château Les Carmes Haut-Brion 2007
Au nez, il s’ouvre peu à peu sur des notes fruitées et légèrement empyreumatiques. Il vaut par sa texture consistante, son charnu sensuel et son tanin bien intégré.
C1 Château Les Carmes Haut-Brion 2005
L’élevage a manqué de précision et marque le premier nez avec des notes de futaille et de laine mouillée. Il faut dépasser cette première impression et goûter le corps du vin. La matière, l’énergie, la sève de ce vin, laissent augurer d’un bel avenir.
C2 Château Les Carmes Haut-Brion 2009
Avec ce millésime, les Carmes commencent à briller davantage. Nez fastueux, un peu baroque, sur les fruits très mûrs, le cachou, la réglisse. Corps sphérique, chatoyant, caractérisé par une texture suave et un tanin au grain très savoureux. On peut toutefois lui reprocher un léger manque de tension, accentué encore par un boisé imposant.
C3 Château Les Carmes Haut-Brion 2010
Il offre également un style mûr et épanoui avec des notes de cèdre et d’épices en filigrane. Corps élancé, doté d’une bonne dynamique et finale d’une belle intensité. C’est le deuxième millésime où Stéphane Derenoncourt intervient et l’on perçoit ici que Carmes commence à trouver ses marques.
D1 Château Les Carmes Haut-Brion 2011
Très joli nez, fin, précis, sur des nuances balsamiques et fumées. L’entrée en bouche est précise. Développement dynamique, ascendant et finale marquée par un tanin au grain savoureux, finissant sur une pointe de rigidité.
D2 Château Les Carmes Haut-Brion 2013
Compte tenu des conditions difficiles du millésime, ce vin est un véritable tour de force. Nez très fin, intense, sur les épices, la pivoine, le cassis. Corps souple, parfaitement équilibré, avec une texture rare pour le millésime, qui lui confère un caractère presque exotique. Très cabernet franc (62 %), avec 40 % de grappes entières, il a bénéficié d’un élevage long (28 mois) en fûts neufs (dont une partie de Stockinger) et pour 10 % en jarres de différentes « cuissons », avec un ouillage tous les 15 jours et 95 % d’hygrométrie. Choix payant, à en juger par ce vin qui étonne même Guillaume Pouthier : « Plus il vieillit, plus je trouve qu’il fait jeune. Il est passé par des phases où il fallait avoir les reins solides. »
D3 Château Les Carmes Haut-Brion 2014
Si on peut considérer 2013 comme le premier véritable millésime de Guillaume Pouthier aux Carmes (arrivé ici en 2012), 2014 est le millésime-charnière de la propriété, celui où, pour la première fois depuis la reprise de la propriété, le génie du lieu apparaît dans toute sa singularité. C’est un vin magique, étincelant et sombre à la fois, qui délivre des sensations tactiles et gustatives à l’unisson d’une aromatique d’une grande originalité et se caractérise par une longueur de bouche impressionnante.
E1 Château Les Carmes Haut-Brion 2015
Il s’agit d’un vin qui vient de terminer son élevage et qui allait être mis en bouteilles deux jours après. Grande pureté d’expression et définition ultra précise avec un boisé parfaitement intégré. Entrée en bouche très précise, évolution continue, avec une trame tannique affirmée, mais sans rigidité, le tanin est porté par la dynamique du fruit et la finale offre une envolée magistrale. Grand vin !
E2 Château Les Carmes Haut-Brion 2016
Il y a une beauté particulière sur ce vin. Dans sa trame, dans son intensité et sa dimension d’énergie et de sève. Volume ascendant, précis, un peu austère à ce stade pour un palais non initié, mais il offre une race folle. Selon Guillaume Pouthier, on perçoit actuellement sur ce 2016 un marqueur de la grappe entière qui fait qu’il est sur son versant « syrah ». Collector !
Comment
Superbe.
J’au eu la chance ce faire une belle verticale au domaine, se terminant par un bluffant 1915 en magnum, encore plein de vie …