Retour à Bellefont-Belcier pour la suite de la dégustation des vins du Grand Cercle.
Après trois heures de circonvolutions d’une appellation à l’autre, les contours du millésime commencent à apparaître. Notre entendement est ainsi fait : nous aimons, pour unifier le sensible, créer des catégories et définir des styles (merci Kant !), alors posons quelques jalons stylistiques et troublons un peu les consciences.
A leur meilleur, l’esthétique de certains Bordeaux 2013 ressemble à celle des Bourgognes ! Ce sont des vins orientés sur la texture davantage que sur la structure. Ils offrent une aromatique pure (sans notes végétales), moyennement intense, avec des expressions de fruits rouges et des notes florales. Dans un tel millésime, de maturité limite, il fallait beaucoup de doigté et des gestes de bayadère pour trouver le point d’équilibre, laisser infuser plutôt qu’extraire, étirer plutôt que compacter.
Des vins de funambules, et non des blockbusters tonitruants. Tant mieux !
Pas étonnant d’ailleurs si, évoquant le chant des grappes, le vibrionnant Bruno Borie de Ducru-Beaucaillou cite un extrait d’une chanson des Pointers Sisters : »I want a man with a slow hand / I want a lover with an easy touch»
Et au milieu, à mi-chemin entre l’idéal et la réalité des faits, que trouve-t-on ? Un certain nombre de vins organoleptiquement corrects, sans grands vices ni autres vertus, des personnages un peu fades, linéaires, bien astiqués dans leur livrée boisée, mais qu’un souffle – on le devine – suffirait à faire basculer sur le versant abrupt.
Et en bas, sur le chemin pavé de bonnes intentions, que trouve-t-on ? que trouve-t-on ? Plus tard. On verra plus tard…
Dégustation ensuite à Pavie-Macquin, suivie d’un lunch philosophique avec Nicolas Thienpont et son équipe.
J’en profite pour faire plus ample connaissance avec Antonio Galloni que j’avais croisé à la Villa d’Este. Celui qui devait être en quelque sorte le successeur de Parker roule désormais pour lui à l’enseigne de www.vinousmedia.com.
Visiblement, Galloni sait prendre le temps d’approfondir son sujet et qu’il ne se laisse pas piéger dans le stakhanovisme du celui qui a goûté le plus de vins dans la journée.
Avec le bœuf grillé sur sarment, nous avons le plaisir de goûter les vins suivants : Larcis-Ducasse 2006, Berliquet 1998, fin et élancé, le Pavie-Macquin 2002, Pavie-Macquin 2004, Pavie-Macquin 1999 et 2000 (une des réussites du millésime).
Il faut reprendre la route après avoir médité un instant sous les chênes de Pavie-Macquin. Au château Le Gay, on a dressé les tables de dégustation à l’entrée du chai. Un ou deux dégustateurs font leurs gammes devant un soleil mitigé.
Puis, c’est la dégustation de La Grappe animée par Stéphane Derenoncourt et son équipe. Elle a lieu comme d’habitude à la Gaffelière. A l’entrée les deux bergers allemands ont cessé de monter la garde depuis longtemps. Ils lèvent à peine un œil goguenard : ils ont tant vu passer de dégustateurs. Cette dégustation est un des autres moments forts pour prendre le pouls du millésime. Par la diversité des propriétés présentées. Et par la fiabilité et la précision des informations techniques dispensées sur le millésime.
Plusieurs réussites sont au rendez-vous. J’aime tout particulièrement Canon-Pécresse, Lucia, Clos Fourtet, Domaine de Chevalier rouge, les Carmes Haut-Brion, Talbot, Petit Village.
Je retrouve à cette occasion Alessandro Masnaghetti d’Enogea. Il est accompagné par Antonio Cavallini, photographe et Sergej Grgur, réalisateur. Ils tournent un film sur les primeurs à Bordeaux. Et c’est ainsi que, pour la première fois durant les Primeurs, je me retrouve avec une équipe de tournage avec laquelle je vais vivre de superbes moments.
La dernière étape de la journée, c’est l’Hostellerie Plaisance où Chantal et Gérard Perse reçoivent journalistes et invités pour la présentation des vins de leurs propriétés, suivie par le traditionnel repas du « ban des Primeurs », juste avant le repas officiel d’ouverture qui aura lieu demain à Pavie.
Ce soir, c’est aussi un peu l’épreuve du feu pour le nouveau chef, Cédric Béchade (l’Auberge basque), qui a la difficile mission de succéder à la star médiatique Etchebest.
Après un Œuf de saison poché, choux-fleur & amande, croustade d’épaule ibérique, le menu monte en puissance avec L’Asperge blanche du Sud-Ouest étuvée au Sauternes, croustillant noisette & thym Citron. Le Monbousquet blanc 2010, boisé, est un peu à la peine sur ce plat. J’ai particulièrement apprécié le plat suivant : le Bar de Ligne contisé aux escargots, jus « Esprit de Pavie », fèves-morilles.
C’est à ce moment-là qu’un dégustateur anglais connu, assis à mes côtés, a annoncé pour la troisième fois qu’il devait « filer à l’anglaise » avant la fin du repas en raison d’un programme très chargé le lendemain.
De qui s’agit-il ? Voici son portrait-robot paru dans le Daily Telegraph : »He is authoritative and witty and pitches it just right. He even rounds off proceedings by bursting into song »
– ¬Permettez-moi de vous poser une question, M. le dégustateur pressé, comment dites-vous en anglais filer à l’anglaise ?
– Je ne sais pas. Nous n’avons pas d’expression en anglais pour dire cela. Nous ne filons jamais à l’anglaise quand nous sommes en Angleterre !
Et c’est ainsi que la british comète s’est éclipsée en douce juste après cette double merveille : Le Canard de Chalans de Gérard Burgaud rôti, carotte à la feuille de citronnier, pois chiche & curry vert escorté par un impérieux Pavie 1998 encore un peu dans sa gangue.
Les Perse n’ont pas de souci à se faire : Cédric Béchade (formé à l’école Ducasse) est un bon, un très bon chef dont on reparlera.
Comment
filer à l’anglaise: »take the frensh leave »
instructif non…..