La journée commence très tôt. Avec la dégustation des vins de la Mission et de Haut-Brion. Et aussi de Quintus (ex Tertre Daugay) dans lequel, depuis 2013, sont intégrés les 8 ha du château l’Arrosée, acquis en octobre 2013. Ainsi après la Tour Haut-Brion absorbé par la Mission en 2006, c’est au tour de l’Arrosée de « disparaître » ainsi dans une supernova proche. Dommage, l’Arrosée était non seulement un grand vin, mais un nom propitiatoire.
Les vins se goûtent un peu en demi-teintes ce matin dans le dégustoir-bibliothèque de Haut-Brion. « Est-ce que vous avez constaté des différences entre la rive droite et la rive gauche ? »
– « Ce fut difficile des deux côtés ! » répond Jean-Philippe Masclef. « Les merlots qui ont été vendangés le plus tôt ont été assez jolis et ce ne sont pas nécessairement eux qui ont donné les meilleurs résultats, ils n’ont pas accumulé ce qu’il fallait pour acquérir un milieu de bouche avec de la profondeur. »
On l’aura compris, la profondeur, l’énergie, la vinosité seront les signatures des rares grands vins du millésime.
Cap ensuite sur le château Olivier où a lieu la dégustation des Pessac-Léognan blancs et rouges. Chaque fois que je viens ici, j’éprouve une frustration. J’ai à peine le temps d’admirer cet ensemble rare avec son parc aux frondaisons mystérieuses, ses vignes, ses prairies, ses allées qui semblent se perdre au bout du monde, ses plans d’eau sur lesquels on s’élancerait chaussés de skis nautiques ; enfin, son château du XIIe siècle où le sanguinaire Edouard Plantagenêt, dit le Prince Noir, aimait à y venir chasser, pour faire diversion sans doute aux chevauchées punitives en direction du Languedoc dont, de 1355 à 1371, il aimait à émailler son séjour en Aquitaine.
La dégustation des vins de l’appellation révèle de très jolis vins, frais et stylés, certains parfois un peu austères, mais qui se révéleront mieux sans doute dans quelques semaines. Compte tenu du caractère tardif du millésime, on se demande une fois de plus pourquoi s’arcbouter sur un calendrier aussi rigide et ne pas avoir, comme l’ont souhaité de nombreux intervenants, retardé ces dégustations d’un mois au moins.
Retour sur la rive droite. Chez Jean-Luc Thunevin, à côté de son « garage » historique, la foule se presse. Il faut calmer les appétits. Une sémillante Chinoise présente des thés, des « 100 points Parker » ! Ah bon ? Il s’est mis au thé, maintenant ? Pas le temps de les goûter hélas et je me méfie des interférences avec le vin. Ce qui me permet en tout cas d’apprécier au passage la beauté fuselée du Valandraud 2013. En revanche, j’ai oublié de déguster le blanc. Murielle Andraud me le rappelle sur le seuil de la porte. Trop tard. Je ne dois pas perdre de vue mon équipe de tournage qui est précisément en train d’interviewer la jeune Chinoise.
Dans la salle de l’Eglise-Clinet, c’est également la foule des grands jours. Impossible de trouver une place assise. Qui a dit qu’il y avait moins de monde cette année ? Denis Durantou se démène comme un beau diable pour servir ces vins « à savourer sans modération ». Accrochés au mur, les tableaux de sa femme, Marie Reilhac. « Thank you to add the name of the artist if you take pictures. » Pour le copyright, c’est fait !
Visite ensuite à Lafleur où Baptiste et Julie Guinaudeau nous accueillent avec simplicité et chaleur. Il évoque ce travail sur le végétal durant tout l’été qui leur a permis de s’approprier le millésime, de se connecter avec lui.
«Rien de mieux que de passer 6-7 semaines dans les vignes pour créer un lien, se mettre en confiance».
Le vin de Lafleur est pour moi un des sommets du millésime. Y compris les Pensées qui deviennent de plus en plus un cru à part entière : il représente l’isolation parcellaire de trois des onze terroirs différents de Lafleur.
A Angélus, c’est étonnamment calme. Beaucoup de voitures, mais on ne voit personne dans la salle de dégustation. Où sont passés les visiteurs ? Au chai ? Dans les vignes ? Envolés ?
J’ai compris plus tard. Ils étaient tous, à quelques pas de là, au château Beauséjour-Bécot. Les Philippe Porcheron, les Michel Rolland, les Hubert de Boüard, la presse, les curieux, et les producteurs fiers de leurs vins. Ils sont tous là à accueillir une déesse de 1.85 cm. Une liane blonde en tenue de page médiéval qui aurait passé une soirée à regarder du Malevitch, collant noir et robe mini-mimi blanche, qui aime le vin paraît-il et sait tenir son verre.
Oui, ils étaient tous là. Enfin presque. Ceux qui font les gros titres / Ceux qui disent Elle sauve les apparences du millésime / Ceux qui mitraillent aveuglés / Ceux qui rêvent d’être un instant proche de la star et jouent du coude pour y parvenir / Ceux qui ne sont pas arrivés à l’heure / Ceux qui s’autorisent à lui faire la bise / Ceux qui rêvent d’être immortalisés à côté de l’icône / Ceux qui demandent si c’est Claudia Schiffer / Ceux qui rentrés chez eux, le soir, trouveront que la vie est devenue terne / Celles qui se disent : j’aurais dû mettre mes Louboutin / Ceux qui se demandent combien l’ange a touché pour descendre du ciel / Ceux qui disent : je suis content, c’est Porcheron qui a signé le chèque / Ceux qui aimeraient se fondre dans son sillage / Celles qui voudraient se forcer à lui ressembler / Celles que disent que la vraie beauté vient de l’intérieur / Celui qui dit : dieu existe, je l’ai rencontré…
Elle s’appelle Adriana Karembeu.
Sans transition, je reprends la route. Le ciel est devenu subitement gris. Le mauvais temps menace. J’ai rendez-vous avec un vigneron idéaliste du côté de Saint-Etienne-de-Lisse et je veux voir ses vignes.. Physique de kareteka, regard d’azur. Un passionné, un fondu, qui travaille tout seul ses deux hectares de vignes (mais pas à la dynamite...), ne prend jamais de vacances, joue son va-tout presque à chaque millésime.
Il s’appelle Pierre Lafon. A l’écart des arènes médiatiques, il produit un vin qui – je le dis depuis plusieurs années – devrait être considéré avec attention par la presse spécialisée. Comment est son 2013 ? Etonnant, dense et aromatique, avec un charnu plutôt rare dans le millésime. « J’ai travaillé durant tout le mois d’août pour aérer, ventiler le raisin, faire tomber tout ce qui n’est pas mûr, suite à la floraison hétérogène. Parfois, je n’ai laissé qu’une grappe par pied. On est arrivé aux vendanges sans botrytis. C’est simple, je suis condamné à faire bien. Je ne fais pas partie de ces gens qui, s’ils ratent un millésime, se refont en revendant un des appartements qu’ils possèdent à Arcachon ou en Corse ! »
3 Comments
Clos de Bigos à Margaux (acheté hier un magnum de 2009 pour voir), Lafon la Tuilerie à St-Emilion … (jamais croisé).
Merci pour ces pistes buissonnières, Jacques (et j’aurais bien aimé faire ce parcours avec toi).
ça, c’est de la réactivité pure, Laurent ! Un magnum de 2009, en plus ! Tu me diras ce que tu en penses…
Trouvé « par hasard » dans la vitrine d’un caviste toulousain … (un pur et dur en vins « nature »).
Synchronicité 🙂
Bon, 2009 est un millésime un peu particulier (et je n’ai pas encore goûté Bel Air Marquis d’Aligre sur ce millésime).
J’en profite pour dire qu’à 44 euros le magnum, on peut ne pas trop hésiter ! (Ausone 2009 – magnifique en primeur au demeurant – en magnum … imagine)