Passionnante dégustation avec André Ostertag dans le cadre de l’Ecole du Vin. J’avais déjà eu le bonheur de participer à une verticale de ce cru en Alsace en 2011.
Cette fois-ci, la verticale a pris un tour encore plus intimiste, plus personnel. André Ostertag a parlé de son travail, de sa quête, de ses interrogations, de ses choix. Trente-quatre ans d’une vie de vigneron inspiré et la beauté d’une trajectoire cohérente, ascendante, guidée par un idéal de perfection et le mystère du goût.
Voici la synthèse des propos d’André Ostertag durant cette soirée. Et visionnez jusqu’au bout la petite video ci-dessous : la bio-dynamie est expliquée d’une façon simple et lumineuse par André Ostertag, même s’ »il faut accepter de ne pas tout comprendre ce que nous faisons. »
« C’est ça le sens d’une verticale, comprendre le travail de l’homme. On parle toujours du terroir mais, sans l’homme, le terroir n’existe pas. dans les années 1998, 1999 et 2000, je pensais qu’il fallait laisser faire, Je ne fais pas souvent ce genre de verticale mais retrouver ces millésimes côte à côte, c’est revoir les choix qu’on a faits, ceux qu’on n’a pas faits, c’est comme une sorte de psychanalyse. Le domaine a été créé par mon père avec 66. Il avait l’esprit pionnier et donc la liberté du pionnier. Il m’a donné les clés de la cave du jour au lendemain. Le Muenchberg et moi on s’est révélé réciproquement.
Un grand cru se reconnaît à sa vibration et sa beauté. On la trouve sur le Muenchberg. Quand je suis un peu déprimé, je vais travailler dans cet endroit et ça me retape. Ce métier de vigneron est un métier de sensibilité. Il faut la technique bien sûr mais il faut aussi se laisser travailler par les énergies.
C’est une terre qui date du début du secondaire, du permien. C’est un endroit fondé par les moines cisterciens au XIIe siècle. Ils sont essentiels dans la viticulture française. Ils ont inventé l’agronomie moderne et ils ont découvert de nombreux crus. Ce sont des moines qui avaient un sens absolu des énergies et de la circulation des flux énergétiques.
Le terroir le Muenchberg de Nothalten couvre 17.7 ha pour près d’une cinquantaine de propriétaires. Cet amphithéâtre sablo-sciliceuxau sol et sous-sol de sédiments vieux de 250 millions d’années, est orienté plein sud. Il est constiuté des grès roses des Vosges avec une dimension volcanique. Ce sont des sols assez légers, parfaitement adaptés au riesling qui y acquiert sa dimension aristocratique. C’est un terroir assez unique en Alsace. Il combine deux pôles. Le grès qui est une pierre tendre, « féminine » qui va faire l’entrée de bouche du vin ; elle est parfaitement contrebalancée par le volcan, qui est le feu de la terre. Un peu comme le ying et le yang. Il y a toujours une approche assez sensuelle, donc, mais qui ne s’effondre pas dans la bouche, car le volcan va tirer le vin vers sur le fond et va lui donner cette vibration que le grès seul n’aurait pas. C’est l’architecture qui résulte de ces deux pôles. »
Muenchberg Grand Cru Riesling 2012
« C’est peut-être un de mes grands coups de cœur depuis très longtemps. C’est mon trente et unième et c’est un de mes préférés. Le cycle a été terriblement compliqué. Le millésime est miraculé. Fleur difficile (comme en 2013), il y a des maladies explosives comme le mildiou et l’oïdium. Aux vendanges on était exténués et miracle le vin est d’un équilibre exceptionnel, avec un toucher de bouche superbe. Je vinifie de plus en plus avec la bouche, pas avec le nez. Il y a quelque chose dans la texture qui est exceptionnel. Qui était de l’ordre d’une quête, de l’ordre d’un point que vous avez très haut dans votre tête et qui est atteint pour la première fois.
Il a l’immédiateté et la profondeur. Il me fait penser aux 2010, sans l’austérité des 2010. Embouteillé le 25 septembre. Récolté les 18 et 19 octobre. Pour moi, le sucre n’est pas un problème quand l’équilibre est sec. Je parle de sec gustatif et non pas de sec analytique ».
13.7 % et 7 g sr. 6 at
C’est un vin stylé, très fin dans son expression. Qui a trouvé son équilibre d’une façon magistrale. Il a de la grâce, de l’élégance.
Sur la malo-lactique : Les malos sont plutôt tout le temps faites, sauf sur 2007 dans cette série. C’est un sujet tabou en Alsace. Pour beaucoup de gens, la malo est une maladie en Alsace. La plupart des vignerons ont un blocage là-dessus. « les malos, c’est une cave qui n’est pas propre » J’ai l’impression que la malo temine le vin, c’est un processus qui est achevé, moins de soufre, plus de digestibilité.
Au début des années 2000, j’ai lâché prise concernant la malo, car si je ne fais pas partie de ceux qui ne veulent pas faire de vin sans soufre, j’essaie de faire des vins avec le minimum de soufre ».
Muenchberg Grand Cru Riesling 2010
Vendangé 4 jours plus tôt que le 2012
8 g – 13. 9 alcool – 6.8 at
Ce vin offre un supplément de complexité par rapport au précédent, avec plus d’extrait sec, mais son approche plus austère pour l’heure.
Muenchberg Grand Cru Riesling 2007
« Millésime généreux. Rendement supérieur à la normale 55 hl/ha Année très chaude. Météo de rêve.
Vendanges 8 octobre : 7 g at – 13 % et 10 g sr
C’est une cuvée que je qualifierais de grande expression classique, tout ce qu’on connaît du riesling. Minéral. Très belle bouche, sensuelle, le vin est en phase d’évolution.
A propos du « goût de pétrole » sur les rieslings : fuyez-le ! Ce sont des arômes de manque de maturité et aussi le résultat d’un pressurage trop fort. Et la troisième origine, c’est qu’il y a des terroirs qui prédisposent à ce genre d’arômes, les schistes, les argilo-calcaires. C’est dommage de réduire le riesling à cela, au pétrole. C’est une caricature du riesling.
Muenchberg Grand Cru Riesling 2006
« 2006 est mon pire cauchemar de vigneron. Phénomène climatique rare : trois jours avant la vendanges, 150 mm d’eau et températures tropicales. On a vendangé en dix jours. Pressurages plus rapides. C’est un millésime sans peaux. Il y a une forme d’oxydation sur pied et il ne fallait pas les fatiguer ».
Robe dorée. Le nez est intéressant, pas très complexe. Les arômes sont sur les fruits jaunes. » Et, ajoute André, « la révélation du vin se fait en bouche. Je n’aime pas trop décrire le nez. Le nez c’est comme quand on est devant un plan d’eau, il faut avoir l’envie de se jeter dedans. »
C’est, compte tenu des circonstances du millésimes, un véritable tour de force. Le fruit est joli. Ce n’est pas une immense longueur et on perçoit une sorte de sècheresse sur la finale qui bloque sa finale. « il est plus en largeur, plus happé par la gravité, il a moins de grâce.
Vendangé le 30 septembre. 7 ac. 14.5 alcool et 3 g sr.
Muenchberg Grand Cru Riesling 2005
Millésime zen. Aucun doute. Aucun questionnement. Vendangé le 17 et 18 octobre. 13.5 % – 9 g sr – ph 3.23
Superbe nez. Profond. Complexe. Très belle bouche. C’est ample, sphérique, très belle texture, ample. André pense qu’il est entre deux phases. « Il est dans une contraction avant de revenir en expansion ».
Muenchberg Grand Cru Riesling 2003
« En 2003, les vendanges ont duré deux mois. Le Muenchberg a été vendangé le 18 octobre. Pour atteindre sa maturité phénolique, le riesling doit passer par le chaud et le froid. Il est tendre, jolie texture. A. pense qu’il y a une pré-oxydation dans le 2006 et pas dans le 2003 ».
12.7 % – 5 acide tartrique – 5 g sr.
Beau fruité, souple, suave, c’est un vin sphérique avec une touche de salinité qui prolonge sa finale. « C’est elle qui tire le vin vers le fond et c’est elle qui va permettre au vin d’avoir plusieurs vies. »
Muenchberg Grand Cru Riesling 2000
Robe dorée. Notes de mirabelle, fruits jaune. Très belle bouche, ample, tellurique, notes d’agrumes confits, notes de botrytis. La finale n’est peut-être pas tout à fait au diapason. Mais ce vin a une très belle présence.
Vendanges 18-20 octobre.
12.7 % – 13 sr – 3.3 ph
Nouveau projet 1 from Jacques Perrin on Vimeo.
Muenchberg Grand Cru Riesling 1999
« 2000 et 1999 ont été vendangés avec un peu de pourriture noble. Aujourd’hui, je vendangerais une semaine plus tôt.
Vendangé le 20 et 21 octobre.
13.5 % – 11.7 g sr – 6.2 at – 3.25 ph$
C’est un vin plus précis, davantage de race ici que sur le 2000. Très belle bouche, tendue, parfaitement articulée. Il intègre parfaitement son sucre (11.7 g). Bel extrait sec. Expression aromatique très claire, très lumineuse en bouche.
Muenchberg Grand Cru Riesling 1998
Très belle bouche, ample, texture caressante. Belle énergie sur ce vin. C’est la première année en biodynamie.
Vendangé du 15 au 17 octobre
13 % – 13.6 sr – ph 3.10
Muenchberg Grand Cru Riesling 1996
« C’est le dernier millésime des années froides, parce que pour moi je situe le changement climatique en 1997. C’est le premier millésime où les choses commencent à basculer. C’est un millésime martien. Il est sec et lumineux. C’est un vin qui ne s’est jamais décrispé ».
Vendangé le 4 novembre – 12-4 % – 3.3 ph –
C’est un vin fuselé, tendu, sur un versant d’austérité froide qui restera sans toute toujours présent, mais qui lui permettra de traverser les années.
Muenchberg Grand Cru Riesling 1991
« C’est un millésime peut-être le plus petit mais j’ai beaucoup d’affection pour lui. Il a eu le malheur d’arriver après la grande trilogie. C’est le dernier vin chaptalisé. C’est un vin qui a une histoire particulière : c’est le seul, de tous mes riesling Muenchberg, qui ait été fait en barriques et bâtonné. Une barrique neuve sur quinze. C’est un pur vin de cave ; là, c’est le vigneron qui a fait le vin.
22-23 octobre – 12.5 % – 3.18 ph
L’aromatique est sur les fruits secs et le miel. Jolie bouche, pas sénescente mais la finale est abrupte
Muenchberg Grand Cru Riesling 1988 Vieilles vignes
« J’ai eu cette chance inouïe de pouvoir vinifier à 20 ans. J’ai pu aller trop loin. Il faut aller trop loin. 88, c’est ma neuvième vendange et je commence à trouver le début de mon style. Pour la première fois, j’ai eu la sensation de toucher quelque chose de grand. C’est le toucher de bouche qui est exceptionnel, mais ce n’est pas le plus abouti au niveau du raisin. C’est un exemple de riesling d’avant. Clos Ste-Hune pourrait être comme ça, c’est dans ce monde-là. Aujourd’hui ce que je fais a changé de monde. Pour moi ce n’est pas le plus abouti, mais c’est un vin qui a été essentiel dans la compréhension de mon terroir ».
Vendangé le 24 octobre – 7.2 g d’acidité
Superbe couleur, dorée. Grande bouche. C’est un des meilleurs jusqu’ici. Touche de miel, de grain de café, de fleurs sèches. Grande complexité. Superbe volume de bouche, ascendant avec une texture magistrale et un équilibre tout à fait réussi, malgré ses 14 g de sr
Muenchberg Grand Cru Riesling 1985
« J’ai compris qu’il ne fallait pas vendanger trop tôt. J’ai vendangé pour la première fois quinze jours après les vignerons de la région qui m’ont raillé.
12.5 % – 6.3 ac – 3.8 gr
« C’est un vin qui est toujours là, un peu plus simple que les autres. »
Notes d’écorce, d’agrumes. C’est un très joli vin. Longiligne. Qui manque un peu de chair et de texture mais qui a bien évolué.
L’atmosphère qui régnait dans le public ce soir-là en témoignait : il y a dans la vie de tout dégustateur des moments privilégiés où tout semble coïncider parfaitement : les vins, la perception de ces derniers, la clarté du chemin parcouru et la réceptivité de chacun. Ce fut le cas ce soir-là. Merci à André Ostertag pour ce moment de vérité et de beauté. Un des participants est venu dire son bonheur d’avoir traversé la Suisse en train pour cette dégustation.
3 Comments
Infos domaine :
Clos Sainte-Hune 1988
Very good vintage despite a week of rain during harvest.
Alcohol: 12,6%
Residual Sugar: 4,0 g/l
Acidity: 4,0 g/l
Un millésime un peu taiseux mais doté d’une belle allonge minérale.
N’a pas la munificence du 1990, complet, abouti avec un immense plaisir en bouche (grand vin).
Bonsoir
Merci Jacques pour ce compte-rendu. J’aimerais toutefois apporter quelques précisions / rectifications qui faciliteront sans doute la compréhension, notamment des commentaires du Muenchberg Riesling vieilles vignes 1988 et sa comparaison avec Clos Ste-Hune, autre grand Riesling classique du millésime.
Je vous livre ici l’équilibre de ce 88, avec la virgule au bon endroit : 1,4 g/L de sucres résiduels (et non 14g) / 12,5 %Vol / 7,2 g/L d’acidité.
L’acidité est ici exprimée en acide tartrique, ce qui équivaut à 4,8 g/L en acide sulphurique, l’acidité du Clos Ste-Hune détaillé ci-dessus étant exprimée dans cette dernière unité de mesure.
Voilà, avec ces données, de meilleures bases pour comparer leurs équilibres !
Autre petit détail, à propos des arômes de « pétrole » dans les Riesling alsaciens, il convient de rajouter à l’exclamation « fuyez-le ! » : « – dans les vins jeunes ! » naturellement. Il est évident que quelques légères touches dans un vieux Riesling, qui le rendent parfois si singulier, sont tout à fait délectables. Distinguons donc le pétrole « primaire » dans un vin jeune, et le pétrole « noble » d’un Riesling évolué.
Bonnes dégustations
Thomas Larmoyer – Domaine Ostertag
Thomas,
Merci pour cette utile précision sur les mesures et le goût de pétrole, variable dans le temps (il est beau dans Frédéric Emile 76, par ex).
Mes 2 dernières lignes concernaient le 1988 goûté au domaine, lors d’une formidable verticale de Clos Sainte-Hune, en mai 2013 (les informations qualitatives complétant les informations quantitatives).