« Né au Locle dans le Jura Neuchâtelois de parents immigrés italiens, Mauro Capelli aura 100 ans en 2057. » Voilà une façon originale de se présenter. Que se passera-t-il en 2057 ?
Quelle sera la cuisine du milieu du XXIème siècle, lorsque le chef Capelli soufflera avec allégresse ses cent bougies d’un coup, d’un seul ? Tout va si vite.
La Nouvelle Cuisine des années soixante-dix ? Le vinaigre de framboise, les petits légumes tournés, le saumon à l’oseille, le homard à la vanille ? Un frisson de nostalgie.
La cuisine des épices, celle des herbettes, la cuisine techno-sensuelle ? Des vagues qui viennent lécher le rivage.
Le moléculaire ? Du vent dans les voiles et des mirages.
La cuisine hyperboréenne, celle des écorces, des embruns, des racines et des silences entre les notes ? Voyez le Noma et les bobos qui vont à Copenhague comme d’autres vont visiter un sanctuaire.
La cuisine entomophage ? En devenir.
La cuisine prise en otage par l’agro-alimentaire ? Voir « techno-émotionnelle ». Pour cette dernière expression, voir également sous oxymore.
La cuisine moléculaire toujours : «une des erreurs de ma vie » (si vous trouvez le nom de l’auteur de cet acte de contrition, il vous lèguera son chapeau !).
La cuisine britannique ? Avant d’y aller, se renseigner très exactement auprès de Tripadvisor sur les jours d’ouverture du restaurant Oscar’s à Brixham (futur grand de demain !).
La cuisine fusion ? Consulter la rubriquemillisievert.
La cuisine selon Dögen : »nous cuisinons notre vie. »
La cuisine des 5o meilleurs restaurants du monde ? Adoptez le régime San Pellegrino et Nespresso !
La cuisine rock’n’roll ? Lisez Life, la bio de Keith Richards et découvrez les arcanes du Sheperd’s Pie.
La cuisine minérale et environnementale ? La dernière trouvaille de l’homme au chapeau.
La cuisine des planètes ? Sautez un tour. C’est déjà demain !
En attendant, faisons connaissance avec un chef de grand talent, Mauro Capelli. Installé depuis 2005 dans un bel espace contemporain, dans l’enceinte même du Théâtre du Crochetan à Monthey, le joyau Capelli pète la forme et cisèle les goûts dans son Café du Théâtre. J’y ai découvert une cuisine en liberté, limpide, originale, intransigeante sur le produit. Une vraie cuisine du marché élaborée par un surdoué qui sait tout faire, sauf, peut-être, « se vendre ». D’où le peu d’empressement de la presse spécialisée à parler d’un chef qui brouille un peu les codes. Ni bistrot canaille, ni gastro chic, le Café du Théâtre est un lieu à découvrir. Un lieu de bonheur et de décontraction. Les plats qu’on y rencontre ont ce supplément d’âme qui appartient aux meilleurs. Avec une justesse de ton, un équilibre et une précision très proche de l’esprit japonais. C’est simple : la tempura d’éperlans et de légumes dégustée le soir de mon passage restera dans ma mémoire comme un plat signature de cet art de la friture que les Portugais ont légué aux Japonais et qui, sorti de la main d’un artiste, sombre très vite dans la vulgarité. Le temps est encore propice pour les soirées en terrasses. Nous attendons tous l’été indien comme Rick Bass guettant pour son dîner la grouse de bonne taille dans la vallée de Yaak. La terrasse du Café du Théâtre, relookée récemment, ressemble à un joli jardin fleuri, sous la houlette des créatures mythologiques sculptées par Edouard Faro. Le service est efficace et stylé.
Laissons carte blanche à Mauro Capelli. Le menu « Instinct contemporain » démarre en légèreté par un Soupe de carottes, russules et carpaccio de colrave. Une entrée fraîche, aux ressources quasi infinies. Une Roulade de maquereau, au goût affirmé, iodé, vous emmène de l’autre côté de la frontière, là où le lac s’ouvre vers le grand large.
Histoire de ne pas mourir idiot, je goûte un vin « naturel », le Contadino no 9, de Frank Cornelissen que j’ai rencontré sur place durant les vendanges, à Solicchiata en Sicile. Le vin (sans soufre ajouté) est conservé et servi très frais. Laissons-le s’épanouir, monter doucement en température et se dégazer tel un chalutier dans le pot au noir. Le temps de déguster ce petit chef-d’œuvre déjà évoqué, les Eperlans bretons en friture légère avec la petite touche de citron confit. Le plat suivant est également remarquable : un Confit de bolets, pâtisson et écume d’amandes. Que nous dit ce Contadino no 9 ? Il se laisse sirote comme une limonade qui, se réchauffant un peu, ne prendrait guère de l’altitude mais révèlerait des notes d’oxydation violente. Bref, c’est une caricature de vin « naturel » qui me permet cet effet d’annonce : la prochaine livraison de Vinifera va paraître. Elle s’intitule « Le rêve des vins naturels. » Peut-être eût-il fallu choisir la cuvée Magma du même producteur ou explorer de toutes autres voies, se lancer sur des chemins moins hasardeux que les vins « natures ».
Les vins sont l’autre passion du chef Capelli et la carte des vins est magistrale. Je me suis arrêté à la Lotte de Roscoff et Moules de Bouchot avec un risotto de broccolis et oignon confit. Cuisson parfaite de la lotte. Petit bémol sur les moules que l’on a connues plus pulpeuses.
Le dessert, par contre, restera dans les annales : Un Biscuit à la vapeur à l’huile d’olive, crème diplomate et légumes confits, tuile croustillante et sorbet Campari. Le gars capable d’inventer un dessert pareil ne court pas les rues, il est derrière son piano, vibrant, passionné et réfléchi à la fois. Une adresse à retenir. C’est bientôt la saison de la chasse, le gibier du Val d’Illiez tout proche est excellent, Mauro Capelli excelle à le préparer et la carte des Barolos est collector !
Pratique : menu du jour à frs 23.– Formule du soir à frs 62.–, 78.– ou 92.– par personne
L’adresse :
Café du Théâtre
Rue du Théâtre 6
1870 Monthey 2
Suisse
info@cuisinart.ch
tél. + 41 24 471 79 70
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Bon vent sur ce nouveau support !