D’elle, on ne connaît finalement que peu de choses. Une destination de vacances, de belles routes, quelques blancs avalés à la hâte, sur un plat de spaghetti aux fruits de mer. Et basta. Pourtant, la Ligurie du vin c’est bien plus que cela. Pour ne parler que des Cinque Terre, qui sont la partie la plus connue du vignoble ligure, le premier témoignage historique vient de Pline l’Ancien, qui le considérait comme le meilleur vin de l’Étrurie. Depuis l’an 1100, la culture de la vigne est développée sur des terrasses édifiées par l’homme et soutenues par des murs en pierres sèches dont on dit que la longueur totale est plus importante que celle de la muraille de Chine ! Dante Alighieri cite le vin local dans le chant XXIV du sixième cercle du Purgatoire ; Pétrarque, dans son poème latin Africa et Boccace, lui donne le nom de Vernaccia di Corniglia. Plus tard, les vins des Cinque Terre sont remarqués par des auteurs tels Miguel de Cervantes et Gabriele d’Annunzio. Mais ça, c’était la grandeur d’antan. Aujourd’hui, le commerce – et l’engouement – ne sont plus les mêmes…
Contrairement à certaines spécialités locales appréciées de par le monde, les vins de la Ligurie restent en effet assez méconnus en dehors de leur territoire. Leur consommation demeure fortement liée au tourisme, elle est donc fatalement saisonnière. On ne compte aucune DOCG et les mythiques vins produits par les voisins piémontais et toscans font de l’ombre à cette région à 70% forestière. La production reste donc encore modeste, mais il faut dire que ce vignoble de taille réduite, en forme de croissant de lune, au relief très montagneux (donc difficile à cultiver), est livré aux aléas météorologiques, avec parfois de très fortes précipitations ou bien des étés caniculaires. La grande majorité des crus sont produit à l’ouest de la région, près de la rivière du Ponant, à partir des cépages vermentino et pigato (une autre forme de vermentino, propre à sa zone de culture et réputé encore « meilleur »).
Aujourd’hui, les DOC recensées sont les suivantes, d’ouest en est :
- Rossese di Dolceacqua ou Dolceaqua, contre la côte d’Azur : sans doute le vignoble au plus haut potentiel pour les rouges, rendant grâce à de vieilles vigne de rossese (plus connu en France sous le nom de Tibouren), avec quelques domaines familiaux importants qui ont fait beaucoup pour la renommée du vin local.
- Pornassio et Ormeasco di Pornassio, une petite appellation de vins rouges produits à partir du dolcetto piémontais.
- Riviera Ligure di Ponente, une grande et vaste appellation de blancs et de rouges, mais les meilleurs vins demeurent les blancs de cépage pigato.
- Val Polcevera et Golfo del Tigullio – Portofino, dans la province de Gênes, DOC de blancs et de rouges, avec de nombreux cépages autorisés.
- Colline di Levanto, sur la province de La Spezia.
- Cinque Terre (pour les vins secs) et Sciacchetrà, un liquoreux mythique : deux vins et vignobles menacés de disparaître, tant la viticulture est ici héroïque et très difficile. Les cépages blancs se nomment bosco, albarola et vermentino et en dehors de la cave coopérative, les domaines familiaux professionnels vivant à 100% de leur activité se comptent sur les doigts d’une main. Les vins rouges sont très minoritaires et moins intéressants.
- Et enfin Colli di Luni, une DOC revendiquée en Ligurie et en Toscane, dans les provinces de La Spezia et Massa-Carrara. Ici on trouve à la fois des blancs et des rouges, ces derniers étant sous forte influence toscane, pour des producteurs qui ont bien souvent un pied dans les deux régions.
Le décor planté, il ne reste plus qu’à passer à la dégustation, et ce fut chose faite jeudi dernier, avec notre ami Gianni Fabrizio, pour un voyage fantastique qui a mis des étoiles dans les yeux des participants d’un soir :
Colli di Luni Vermentino, Giardino dei Vescovi 2021 Giacomelli : Nez fumé, grillé, à peine réducteur, un peu couvert par le soufre. En bouche, présence de gaz carbonique pour un vin très tendu par sa vinification et sans doute sans malo. Rétro-olfaction néanmoins assez solaire, chaude, avec une forme de tannicité qui pourrait indiquer une petite macération.
Colli di Luni Vermentino, Numero Chiuso 2020 Lunae Bosoni : Premier nez très muscaté, sur l’eau de rose, le litchi, le melon, la fleur d’oranger. Bouche fraîche et fluide, sapide, sur le fil de la maturité. Allonge séveuse, c’est bon et le vin gagne à s’aérer.
Colli di Luni Vermentino, Fosso di Corsano 2016 Terenzuola : Premier nez pétrolé, grillé, fumé, qui rappelle des évolutions de riesling. Attaque grasse et dense pour un vin plutôt riche et puissant, fumé aussi, texturé, garni, c’est très bon et il serait même plus à l’aise à table.
Riviera Ligure di Ponente Pigato Ma René 2022 Bio Vio : Nez exquis de mandarine, subtil, évoluant sur la meringue à la rose. Attaque tendre et fondante pour un vin exquis, raffiné, avec de la salinité, un coté poudré, poivré et salé sur la finale : un terroir s’exprime. Très beau vin.
Riviera Ligure di Ponente Pigato di Albenga, Saleasco 2022 Cantina Calleri : On retrouve des arômes exotiques et tropicaux, un côté pétrôlé, fumé, puis une tension sensible mais agréable en bouche. Le vin est salin, long, avec une acidité « mûre » exacerbée. L’origine parle. C’est très bon et ça monte à l’aération.
Riviera Ligure di Ponente Pigato, U Baccan 2020 Bruna : Nez plutôt rentré et fermé, réducteur, avec un peu de soufre libre, moins diversifié. Bouche plus simple, plus statique, plus terne.
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Cinque Terre, BarCa 2022 Creuza de 5 Terre – Andrea Barrani : Très beau nez qui sent très bon les Cinque Terre à leur meilleur : c’est complexe, sur les agrumes, l’encaustique, le maquis et d’autres choses plus difficiles à décrire. Attaque ferme pour un vin séveux et juteux, salin, qui exsude son terroir de schiste. Finale tannique, ce vin appelle le large, c’est magnifique. Mais hélas, seulement 600 bts pour le monde…
Cinque Terre 2021 Cantina Capellini : Premier nez moins précis, plus diffus, mais à l’air, il s’ouvre bien. Attaque fraîche et sapide avec littéralement un vent de fraîcheur en bouche, le vin possède une ligne, du souffle, c’est long, intrigant. Un vin et domaine à nul autre pareil, que nous avions déjà croisé, d’ailleurs.
IGT Liguria di Levante, Telémaco 2013 Campogrande (Altare – Bonanni) : Apparence plus trouble, nez sur l’encens, très fin, rehaussé par un élevage ambitieux. Attaque très dense pour un vin assis, carré, frais, qui se prolonge sur sa vinosité, mais il faut bien le dire, moins touchant à ce stade que les deux autres cuvées goûtées ce soir-là.
Dolceacqua, Luvaira 2021 Maccario Dringenberg : Nez explosif sur la crème de cerise, confit noble, notes poivre, de rose, pour un vin à l’attaque fruitée et souple, qui fait penser à de très bons dolcetto piémontais : c’est fruité, gourmand, riche d’une buvabilité réjouissante. Giovanna Maccario est bien la reine du Rossese et le vin qui va suivre n’a fait que le confirmer…
Dolceacqua, Curli 2021 Maccario Dringenberg : Nez poivré comme une grande syrah, profond, intrigant, invitant ; attaque large et puissante pour un cru de grande race, à la fois suave dans la texture et salin dans la saveur. C’est plein et long. Grand vin pour demain et grande classe, mais il est approchable jeune, néanmoins.
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Dolceacqua 2015 Antonio Perrino – Testalonga : Nez confit, sanguin, riche, avec un peu de surmaturité et de bois, une pointe de bretts aussi. Attaque à l’avenant, pour un vin à la fois solaire et équilibré, très italien dans son style, mais la série d’avant n’a fait que renforcer les contrastes avec ce style.
Dolceacqua, Bricco Arcagna 2011 Terre Bianche : Après une bouteille de la même cuvée en 2015 gâchée par le bouchon, nous ouvrons ce 2011 qui se présente paradoxalement plus jeune, avec encore un peu d’élevage mais du fond et une grande densité de fruit, sur des nuances d’agrumes, de kirsch. Attaque large pour un vin puissant, opulent même, c’est bon et encore très jeune.
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Riviera Ligure di Ponente, Granaccia Cappuccini 2020 Innocenzo Turco : Couleur très légère, presque rosée – ambrée. Très beau nez fauve, pour ce rare grenache délicat, sur les écorce d’agrumes. Bouche gourmande, ample, fondante, il a de la finesse et de la longueur, c’est un délice.
IGT Costa Toscana, Forma Alta 2018 Terenzuola : Issu d’un rare cépage, le vermentino « noir » (sic), il offre un nez de syrah truffée, de forêt noire, intrigant et intense, pour un vin suave dans le meilleur sens du terme, qui possède de la sucrosité et de la sensualité dans ses tanins qui se montrent veloutés. C’est ample, long et franchement très bon.
Passito 2022 Bergamaschi : Cuvée « introuvable » produite par un pianiste venue s’installer en Ligurie, micro production, pas d’étiquette ! Grand nez rappelant les meilleurs muscats de Pantelleria, sans volatile débordante, sur des notes d’abricots confits à la lavande, c’est MA-GNI-FIQUE. La bouche suit, ce vin est une prouesse, il est fin, précis, long, interminable même. C’est littéralement de l’ambroisie.
Cinque Terre Sciacchetrà 2020 Cheo : Moins précis et plus épicé que le précédant, il délivre des notes de date. Attaque vive avec une volatile haute, très balsamique, vin vertical, rock’n’roll, à allonge très italienne, qui nous rappelle que les élevages en petits contenants (souvent des bonbonnes en verre !) sont beaucoup plus difficiles à mener que dans des cuves ou dans des fûts. Mais c’est un vrai Sciacchetrà…
Cinque Terre Sciacchetrà 2012 Campogrande (Altare – Bonanni) : Nez très moka, éthéré, qui indique la présence d’un fût neuf enrobant une matière première pure. L’attaque est vive et plutôt fraîche pour un liquoreux, bouche élancée, savoureuse, assez simple mais pleinement apaisée et en place aujourd’hui. Il y en a eu si peu…
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