Depuis quelques millésimes déjà, une nouvelle génération de vins valaisans « cultes » semble émerger. Ces derniers naissent à la fois de pures créations de caves historiques, ou de jeunes vignerons ; mais ils sont aussi l’apanage de grandes maisons, qui savent l’importance de se positionner sur le segment du vin haut-de-gamme. Avant de s’intéresser à eux, nous souhaitions également nous pencher sur l’histoire des premiers grands vins valaisans médiatiques.
A l’origine, on trouve trace de deux grandes cuvées rouges. La première est un assemblage signé par une maison de longue tradition : il s’agit du Tourmentin de la famille Rouvinez, produit pour la première fois en 1985, élevé sous bois et commercialisé à l’époque à un prix qui avait fait grand bruit. La seconde est un vin mono-cépage, vinifié par une cave familiale historique elle aussi : c’est la célèbre Syrah Vieille Vigne du domaine Simon Maye, issue de vignes plantées en 1983 et récoltées pour la première fois en 1986. Incontestablement, ces deux crus contribuerons à propulser la région sur le devant de la scène viti-vinicole suisse, et seront bien heureusement rejoints au fil du temps par d’autres. De manière générale, cette première génération de grands vins correspond à des cuvées issues de sélections de vieilles vignes ou de qualités de raisins particulières, plus que des découpages parcellaires à la bourguignonne. Elles sont plutôt le reflet de rendements réduits, de hautes maturités et sont élevées en barriques récentes, voire neuves.
Mais à l’aube d’une nouvelle ère pour les grands vins de terroir, on est en droit de se demander aujourd’hui comment aller encore plus loin dans l’excellence ? Quatre leviers majeurs sont envisageables : la sélection du/des terroirs et la viticulture qui en découle ; la gestion précise des vendanges et vinifications ; les choix d’élevage, plus complexes qu’il n’y paraît ; et enfin le plus négligé de tous, la commercialisation. Comme nous le disions en préambule, de nouveaux vins contemporains explorent donc ces pistes et nous souhaitions les mettre en perspective à l’aveugle avec d’autres issus de la génération précédente, afin de faire le point. Les débats furent animés !
Arvine, V.V. sur falaise, Phusis 2012 Couleur pâle. Peu aromatique, premier nez légèrement levurien mais exempt de sensation de soufre ou de réduction. Attaque riche, vivante et salée, netteté de la trame et de la saveur, amers nobles en milieu de bouche, allonge sur les agrumes, vive, fraîche et délicate. Moins variétale que d’autres arvine 2012, plus secrète, elle semble posséder un vrai potentiel (de garde).
Ermitage sec, Grain d’Or, M.-Th. Chappaz 2012 Couleur à peine plus appuyée. Boisé plus marqué, bourguignon. Contraste entre la richesse et luxuriance du nez et la tension et nervosité de la bouche, malgré une texture suave et généreuse. Le vin a de la fermeté, de la structure, une belle « acidité mûre ». Finale évasée, fondante, sans lourdeur ni amertume. Un superbe ermitage !
Et la preuve – avec ces deux vins – qu’il est possible de réaliser des blancs valaisans mûrs et tranchants à partir de raisins « bio » en faisant la sacro-sainte malo !
Clos de Tsampéhro, Edition II, Tsampéhro 2012 Couleur mesurée, paille clair, assez brillante. Boisé ambitieux mais de qualité, relativement fondu dans le vin, encore peu expressif mais rien ne dépasse et l’ensemble possède de la précision. Bouche plus intéressante que le nez : de la fraîcheur, de la structure, juste ce qu’il faut de bois. Pas mal du tout et il semble armé pour continuer de monter en puissance durant les cinq prochaines années au moins.
Assemblage, Défi Blanc Les Titans, Provins 2010 Couleur plus avancée, nez idoine, un peu alsacien dans ses fragrances (influence des cépages) : notes de fruits sucrés, de sucre d’orge ; bouche simple, sirupeuse, accessible mais sans grande structure. Vin facile à boire, plaisant. Acidité malique perceptible en finale.
Humagne rouge, Born to be wild, Vin d’œuvre 2013 Léger moka plutôt intégré malgré la jeunesse du vin, nez kirsché, raisin apparemment bien mûr (pas si fréquent sur le cépage) et trié. Attaque enrobée, saveur un peu lactique, boisé plus appuyé au nez qu’en bouche. Vin riche, à l’esthétique qui rejoint les Humagne Quintessence de Benoît Dorsaz et Antica de Cornulus. Laissons lui le temps de s’affiner…
Assemblage, Tout ce qui flotte, Maurice Zufferey 2012 Premier millésime produit. Construction autour de l’Humagne, tri minutieux, cuvaison majoritaire en grappes entières, élevage en pièce de grande origine. Nez hyper raffiné, complexe, sur les agrumes, la menthe poivrée, l’ardoise, végétal très noble qui évoque les plus grands pinots vinifiés sans égrappage (Leroy, DRC, etc) ; attaque hyper pulpeuse, magnifique texture et vin pour tout dire impossible à cracher car évident. Aucune raideur pour le(s) cépage(s), grand classe de texture, grand vin. Les volumes produits sont minuscules (300 bts) et il pourrait pour le coup devenir culte !
Pinot noir, Enfer du Calcaire, Histoire d’Enfer 2012 Passé une première bouteille défectueuse (bouchon imparfait), la seconde offre des notes de réglisse, de réséda et de cerise légèrement kirschée. Développement progressif et ascendant de la bouche, caractéristique des pinots noirs cuvés entiers. Aucune chaleur alcoolique perceptible, d’autant plus pour un pinot issu du terroir de Salquenen. Une voix nouvelle pour le pinot valaisan semble s’ouvrir…
Assemblage, Astrance, Maurice Zufferey 2012 De création récente puisqu’il s’agit d’un premier millésime, on découvre là aussi le pinot du Valais sous un nouveau jour, qui évoque la Bourgogne mais avec plus de modernité et ambition dans l’élevage que la version Tout ce qui flotte (cf supra). Très belle robe brillante. Brillance du fruit également : sensation de chair, nez de cerise éclatant, boisé sexy mais habile ; suavité et fausse sucrosité de l’attaque, il y a de l’opulence et de la texture mais pas d’excès. Vin très séducteur, qui sera sans doute difficile à attendre !
Cornalin, Denis Mercier 2012 Robe violacée, fruité de cassis, de réglisse et mine de crayon un peu appuyée, caractéristiques de cette cuvée en jeunesse. Bouche déliée, vin nerveux, « faux maigre », raffiné dans la texture, s’allongeant sur la mûre. Dans le style habituel mais moins dense, comme le veut le millésime, finalement.
Clos de Tsampéhro, Edition II, Tsampéhro 2012 Tout sent ici le grand vin : élevage rondement mené, dans un style quasi jamais vu sur un vin d’assemblage de la région. Attaque enrobée, riche, merrain présent mais très classe, esthétique à la fois ambitieuse et élégante. Belle trame, tanins bien posés, richesse alcoolique indéniable mais parfaitement tenue. De la très belle ouvrage, et une cuvée qui s’est considérablement ouverte en l’espace de six mois. Bravo !
Cornalin, Coeur du Clos des Corbassières, Cornulus 2011 Nez mûr, enrobé, fruit « noir » intense ; de la classe, vraie personnalité et élevage encore mieux fondu que sur des millésimes un peu plus vieux. Gourmandise du fruit mûr et juteux en bouche, vin plein, rôti, délivrant un grand plaisir, avec cette saveur de peau de cerise noire mémorable…
Assemblage, Défi Noir Les Titans, Provins 2011 Robe trouble, noire, nez idoine, grillé, fumé, sur le bacon. On retrouve un peu de végétal en bouche et des arômes boisés/grillés, pour ce vin dont la construction semble être plus ambitieuse que la matière première, du moins à ce stade.
Assemblage, Tourmentin, Rouvinez 2012 Robe classique (rubis brillant), nez gourmand, à peine caramélisé, tirant sur le fruit rouge délicatement confit. Elevage assez précis, vin gourmand, sobre mais précis et net, à la buvabilité impeccable et donc préservée. Il finit frais, sapide, délicieux, tout simplement.
Assemblage, 1858, Charles Bonvin 2010 Boisé légèrement caramélisé avec des notes de fruits frais tirant sur la menthe et évoquant la climatologie tardive du millésime. Attaque vive, acidité importante légèrement dissociée du vin, peut-être due à une phase de fermeture et donc de fermeté tannique. Difficile à cerner ce soir là, il semble sage de l’attendre. A suivre.
Assemblage, Electus, Valais Mundi 2010 Premier millésime produit (2008 et 2009 écartés). Issu d’une sélection de vignes réalisée entre 2002 et 2008. Projet longtemps resté secret. But : créer un vin unique, d’exception. Nez vaporeux, enrobé, élevage sexy (le style du bois rappelle certains grands Bordeaux, il est plutôt raffiné et de qualité). Du végétal noble comme sur certains grands Médoc, également. Tanins et texture fine, élégante. Vin adroit dans la construction, ne paraissant (à tort ?) pas hyper profond mais au style élégant et frais. C’est très bon. Mais faut-il parler du prix ? Ce soir là ce fut le cas, et les débat s’enflammèrent…
Bien évidemment, à l’issue de cette dégustation, forcément réductrice et subjective (au moins dans les choix de vins), il n’y a ni victoire ni défaite des nouveaux face aux anciens ; mais plutôt naissance de nouvelles propositions et esthétiques, qui tentent d’élargir le champ d’expression des grands vins valaisans de lieu et de créateur. C’est une chance pour le Valais viticole, qui plus que jamais doit viser l’excellence, afin d’être à la hauteur de ses immenses terroirs, de sa tradition et de sa réputation.
5 Comments
Ce billet est plus qu’intéressant en cette année où la Suisse du Vin sera présentée en exclusivité le vendredi 6 novembre à Villa d’Este avec plus de 12 Vignerons helvètes qui offriront aux participants du monde entier, une vue sélective sur ce qui se fait dans tous les cantons à vignobles.
On y attend Cave SA sous peine de douloureuses représailles 🙂
Salut Nicolas,
Merci pour ce retour de dégustation. Quelques questions se posent à moi à la lecture. Si je déduis bien, les commentaires de dégustation sont nourris de commentaires ajoutés après avoir pris connaissance du vin dégusté?
Qu’entends-tu par « Une voix nouvelle pour le pinot valaisan semble s’ouvrir… »?
Penses-tu qu’il faille forcément des élevages sous bois olfactivement souvent marqués pour que les vins valaisans puissent se faire une place de choix dans l’excellence mondiale? Et je ne parle pas pour qu’ils soient bons, mais pour qu’ils puissent s’imposer dans les codes en vigueur.
Selon toi, les monocépages ont-ils autant de chance que les assemblages dans cette quête? Et la mise en avant des immenses terroirs et de sa tradition ne devrait-elle pas se faire au détriment de l’utilisation de cépages tels que le cabernet ou le merlot. Personnellement je m’étonne du « coupage » du Cornalin avec ces cépages, et la description du Tsampéhro (dont je ne peux pas juger la qualité comme je ne le connais pas) n’est pas à proprement dite celle de l’expression du Cornalin, ce cépage si délicat et fragile……
Et un dernier commentaire : ce qui me réjouit dans ces vins, c’est que leur élevage marqué oblige à être patient pour pouvoir les savourer au mieux, et c’est peut-être un moyen sympa de faire comprendre aux gens qu’il faudrait bien souvent attendre un peu plus avant de déguster un certain nombre de rouges valaisans, qu’ils soient super-valaisans ou pas.
Merci
Salut Nicolas !
Je tente de te répondre point par point :
– d’abord, mes commentaires sont bel et bien le reflet de mes impressions « en live » ponctuées de réflexions a posteriori, afin d’essayer de les enrichir et de sortir du sempiternel oeil/nez/bouche !
– j’entends par « nouvelle voix pour le pinot valaisan » qu’avec les vins évoqués, ie. piste de la grappe entière, les clones fins, les rendements bas, une meilleure gestion du végétal (en vigne) et des élevages dignes de ce non, on sort enfin des exemples fumés/lardés/épicés, cuits mais végétaux, élevés dans les mêmes fûts que ceux choisis pour la syrah ou les cépages bordelais, bref ! On donne enfin toute sa chance à ce cépage. Pour s’en convaincre, goûter les derniers millésimes de pinots produits par MT Chappaz (en gros progrès sur le cépage, nombreuses nouvelles cuvées), Cl. Clavien (idem), Ch. Abbet (qui s’y met), Cornulus, et j’en passe. Les années récentes, plus tempérées, semblent avoir aidé les vignerons aller vers des vins plus dépouillés, parfumés, frais, bref : buvables !
– concernant les élevages sous bois, je te répondrai que pour moi, « grand élevage » signifie que lorsqu’on goûte le vin, s’il est réussi, on ne doit quasiment pas se poser la question de sa nature ou existence (donc ne pas être dérangé aromatiquement ni en bouche – texture et rendu du fruit), ou a contrario trouver le vin anobli (cf Tsampéhro rouge). De ce point de vue là, il me semble indispensable que les grands vins du Valais fassent des progrès, car depuis 2009, j’ai souvent regretté de belles matières mais mal élevées. Cela change progressivement. Mais si les vignerons de la région veulent régater au niveau mondial, oui, je crois bien qu’ils n’auront pas le choix ! Ceci dit bois ne veut pas dire uniquement barrique ou pièce. Ne pas oublier les demi-muid ou les foudres, très intéressants dans les vignobles chauds (cf les évolutions récentes en Vallée du Rhône française, Provence, Languedoc, Roussillon, Piémont, Toscane, Sicile, etc).
– mono-cépages VS assemblages, qui va gagner ? Les deux, si j’en crois les vins goûtés, car il y avait des vins réussis dans chaque type. Après, que veut dire assemblage ? S’il on prend le cas des nouvelles cuvées de Maurice Zufferey, où l’on ne mélange pas à part égale 5 ou 6 variétés – ça c’est ce que j’appelle l’assemblage « restant de la colère de Dieu », qui ne veut souvent pas dire grand chose en terme de rendu gustatif car les vins qui en résultent sont ennuyeux et flous – les pistes testées semblent intéressantes et logiques : humagne rouge avec un peu de cornalin ; pinot dominant (90%) avec autres cépages. S’il on considère que le Valais est, de par sa climatologie, un vignoble de type méridional, chaud, on peut regarder pour réfléchir à son endroit ce qui se passe du côté du midi français ou les AOC concernent UNIQUEMENT des assemblages, construits autour d’un cépage dominant (mourvèdre à Bandol, grenache à Chateauneuf), ou basés sur deux-trois variétés fortes (en Languedoc, Roussillon, etc).
– enfin je suis bien d’accord avec toi, vive les vins valaisans – et suisses plus largement – de garde, construits et bus comme tels ! Car la tradition des mises en bouteilles au printemps qui suit la vendanges, bus et pissés avant la nouvelle vendange, n’aide pas à tirer vers les haut, cela me semble une évidence et j’ai toujours été frappé par ça !
J’espère avoir répondu à tes interrogations.
Bon été à tous les lectures du blog de Jacques Perrin, et rdv en septembre pour une nouvelle saison de cours et autres dégustations au CAVE, que j’espère passionnante et riche en découvertes ! Une pensée pour les vignerons qui vont devoir faire des choix compliqués pour vendanger mûr un millésime exceptionnellement chaud et sec.
Une syrah qui va devenir culte (pour moi elle l’était déjà) : celle du Clos des Montzuettes 2013, car à mon immense regret Charles-André Lamon a dû vendre ses vignes à cause d’une 3ème hernie discale et c’est sauf erreur sa dernière syrah.
Dernièrement j’ai fait déguster à l’aveugle à mon ami métral au domaine du Mont d’Or une vieilles vignes de Simon Maye, une Encre de la Terre de Claudy Clavien et une Clos des Montzuettes toutes issues du millésime 2010.
Il a préféré celle des Montzuettes. Evidemment j’ai adoré toutes les 3 qui sont somptueuses, des vins cultes au remarquable rapport qualité/prix comparativement à certaines Côtes Rôties aux prix délirants.
Cela me rappelle ce que m’avait confié mon ami Loris Lathion passionné et grand connaisseur de vins : « Jai un très riche client qui a commandé des vins pour sa cave, mais il a dédaigné prendre des Syrahs vieilles vignes de Simon Maye, car elles n’étaient pas assez chères ». Je lui ai dit que c’était très bien qu’il y ait des snobs imbéciles qui dédaignent ce genre de vin et préfèrent débourser des centaines ou des milliers de francs pour une bouteille de grand ou soit-disant grand vin. Pour rester chez nous, je pense à la cuvée Electus de Provins qui a revu son prix à la baisse. Pour rappel le 2010 était proposé à 190 CHF.
PS N’oublions pas les autres vins du domaine des Montzuettes, par exemple l’humagne blanche qui peut vieillir remarquablement et les cornalins au fruité majestueux.
Bonne reconversion à Charles-André Lamon et merci de nous avoir fait vibré avec ses grands vins
fait vibrer
mea culpa