Le Château Laroque, avec sa tour du XIIe siècle, en impose. Situé au sud du village de Saint-Christophe-des-Bardes, il fait figure de forteresse coiffant la côte sud de Saint-Émilion. Érigé sur son plateau calcaire, d’où le château tire son nom, ce site exceptionnel a été incarné par plusieurs familles. La refonte des chais sera l’œuvre au XIXe de Maurice Dufaure de Rochefort, ardent défenseur des vins de Saint-Émilion. Il recentre par la même occasion l’activité économique du Château autour de la viticulture. Les vins de Bordeaux assoient alors leur réputation et parmi eux, les vins de cet immense domaine, qui va atteindre sous le règne de la famille de Lavie près de 270 hectares. Sous le Second Empire, le Château comprend encore près de 130 hectares. Il demeure encore aujourd’hui le plus grand domaine viticole de Saint-Emilion avec 61 hectares plantés.
Après l’épreuve du phylloxéra, la résurrection du château et de ses vins s’opérera à partir de l’année 1935 par les efforts continus d’une nouvelle famille : les Beaumartin. De décennie en décennie, avec la venue du régisseur Bruno Sainson, Laroque retrouve sa signature. L’oeuvre se poursuit avec Xavier Beaumartin, à la tête de la propriété dès 2004, auquel succède son neveu Stanislas Droin, en 2018. La famille Beaumartin fait appel en 2015 à David Suire pour succéder à Bruno Sainson à la direction du domaine.
Il y a, autour du château, une importante partie de plateau calcaire affleurant, que l’on retrouve à Clos Fourtet ou au Château Canon, donnant naissance à des argiles châtains. Plus à l’est, demeure un nappage d’argiles rouges, des molasses de l’Agenais semblables à celles de Pavie-Macquin ou de Troplong-Mondot. Les terrasses d’argiles du levant comme les coteaux exposés au couchant sont composés des molasses du Fronsadais, qui font la réputation d’Ausone ou de Tertre-Roteboeuf. Une mince partie du vignoble de plaine, dont les vins n’intègrent pas le grand vin de Laroque, est aussi constituée de sols bruns issus de l’érosion des sommets de croupes calcaires.
Dans l’idée d’obtenir le meilleur raisin possible, les sols sont naturellement enherbés ou semés de céréales. Quelques labours aussi, décavaillonnages et griffages, sont réalisés au rythme des saisons. Ce travail des sols, le respect des zones boisées et des haies qui participent à l’équilibre du lieu, comme l’encépagement, aident à constituer l’identité du vin. La vinification se fait dans l’intention de respecter l’empreinte calcaire, de sublimer les saveurs, la fraîcheur et l’éclat des vins. On retrouve cette précision lors de l’élevage dans les chais à barriques et foudres durant deux hivers. Cette période, de 15 à 18 mois en fonction des millésimes et du comportement du vin, sert à réaliser les assemblages qui se font durant les soutirages successifs.
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Le château produit deux cuvées : le Grand Vin, issu de la sélection qui exprime avec le plus d’intensité l’origine et la signature calcaire du lieu ; et les Tours de Laroque, tendre et fruité, fidèle à l’identité du premier vin mais avec plus d’accessibilité en vin jeune. Mais le mieux, c’était encore de les goûter en compagnie du maître des lieux, David Suire. Ce fût fait lors d’une très belle soirée, dans l’ordre qui suit :
Les Tours de Laroque 2017 : nez ligérien mais mûr, poivron rouge, caractère floral, épices délicates comme sur un Chinon. Attaque douce mais dense, pour un vin salin et charnu, notamment mûr pour le millésime, à la texture très épanouie, fondant sur le finale. Un délice prêt à boire aujourd’hui.
Les Tours de Laroque 2019 : nez plus lardé, plus grillé, plus fumé, cacaoté, solaire. L’attaque est notamment structurée, avec une saveur de jus de viande, développement sur des tanins moins fondus, plus granuleux, structurants. Finale « aspirante », calcaire, corsée, le vin est plein de promesses, à attendre.
Château Laroque 2005 : réglisse et menthol, presque un côté médocain. Très belles notes d’encens, touche lardée, aromatique finalement peu évoluée pour son âge. Attaque large mais tenue, pour un vin à la saveur épicée, de haute maturité phénolique, plus horizontal que vertical, qui se prolonge sur un côté juteux et fondu qui le destine à la table. Etonnement, le nez est plus jeune que la bouche.
Château Laroque 2008 : très beaux arômes et gain de finesse, avec une nuance animale plutôt racée ; on est à la fois épicé et frais, avec une touche balsamique. Attaque fine et juteuse, maturité classique mais aboutie du tanin : moins de soleil aidant, on sent plus et mieux le calcaire en finale, ça terroite.
Château Laroque 2010 : premier nez spectaculaire, sur la crème de fruits rouges et noirs, liqueur de cerise, on a un volume de fruit important, des nuances d’agrumes, beaucoup de séduction ! Attaque à l’avenant, suave, avec une forme de sucrosité liée à la maturité et au bois, mais équilibrée par la nervosité du calcaire dès le milieu de bouche et qui l’emporte loin. C’est très bon.
Château Laroque 2016 : grand gain de jeunesse avec une touche mentholée, anisée, myrtille, évolution cèdre, agrumes (orange sanguine) – belle complexité aromatique pour un vin plus jeune. Attaque saline et immédiatement calcaire, la richesse de fruit est dynamisée par le sel, l’acide et les amers du calcaire. On finit long, sec, scintillant, l’alcool est enrobé par le terroir, c’est très bon.
Château Laroque 2017 : très beau nez floral, iris, oeillet, de grand charme, séduction totale. Attaque suave et fine, à la chair idéalement enrobée, le vin est tactile, sexy, surcroit de densité et tension calcaire par rapport au Tours de Laroque du même millésime. La structure ne lâche pas, il finit long, juteux, réglissé, jeune ! Très belle bouteille à boire aujourd’hui et ce sans carafer.
Château Laroque 2018 : très grande précision avec des notes tubéreuses racées, on est sur une maturité racinaire du raisin, on est dans le sol de Laroque, nuances de chocolat noir, cacao. Bouche suave et virevoltante dès l’attaque, avec une glisse unique jusqu’à présent dans la verticale, l’intégration des tanins est fantastique, le plaisir total, grande bouteille et grand 2018. Finale nerveuse mais pas dure ni sèche. Il faudrait le goûter au milieu des 1er GCC du millésime, il ne fera pas pitié !
Château Laroque 2019 : premier nez spectaculaire et généreux, théâtral, grande densité et large spectre de fruits distincts mais pas cuits, des agrumes sont là, du cacao, des nuances Havane (Bolivar, Partagas) : c’est ouvert, généreux et racé. Dès l’attaque, haute maturité du raisin et du tanin, mais sans basculer vers le statisme ou la mollesse, le calcaire est en soutien d’un raisin très mûr. Le vin est jeune, généreux, il va avoir besoin de temps pour s’harmoniser mais il est sérieusement doté !
Château Laroque 2020 : oh le changement ! Bien que l’on soit sur un millésime chaud comme 2019, en tout cas sur le papier, on a un effet de rafraîchissement fort, avec des notes de citrons propres aux vins blancs en général. Evolution sur les huiles essentielles d’agrumes, le quinquina, le poivre – c’est très racé et très jeune. Attaque nerveuse et très dynamique, pour un vin qui va vite en bouche, électrique, le calcaire clignote, on a une grande salivation et une finale aspirante. Très grande bouteille (de garde), c’est magnifique. COUP DE COEUR !
Château Laroque 2021 (en bt depuis juillet) : premier nez presque fragile, comme suspendu, pas encore formé, petite touche réductive de la mise récente, on sent que le vin fait sa maladie de bouteille. En bouche, on est sur l’os et la tension du vin, le moelleux et le charnu ne sont pas encore là, il a besoin de faire de la bouteille pour polymériser ses tanins, il est rentré, en devenir.
Enfin, pour ce millésime encore en élevage, David nous offre le privilège de goûter les trois grands types de terroirs du cru avant assemblage, pour comprendre la construction de Laroque :
Château Laroque 2022 – calcaire : ça sent fort le calcaire au nez, très fort même, mais avec une grande déclinaison de fruits noirs derrière, des notes de cerise burlat. Attaque douce avec un tanin très fin et très enrobé, on est sur quelque chose de fondant, de délicat, de raffiné, très agréable.
Château Laroque 2022 – mollasse de l’agenais : nez stricte, notes d’ardoise, de végétal noble avec comme une présence de vendange entière, ça citronne comme un vin blanc. Attaque nerveuse, saveur acidulée, c’est tendu, arcbouté, électrique et nerveux.
Château Laroque 2022 – mollasse du fronsadais : c’est sexy, ouvert, très séducteur, ça respire le bon raisin mûr et soyeux, beaucoup de fruits noirs, d’encens, c’est crémeux. Attaque fine et enrobée, grande masse tannique mais avec une vraie finesse, texture argileuse, beaucoup de tanins précis, stratifiés et enrobés. Finale tannique mais juteuse.
Et enfin l’assemblage des trois : Château Laroque 2022 (40% calcaire, 35% agenais, 25% fronsadais) : c’est le même nez que durant les primeurs ! Vin explosif, scintillant, qui évolue très vite dans le verre, très profond et évident, comme la bouche, d’une grande gourmandise et finesse, en place. Il a tout, avec un caractère salivant et salin, vin assez difficile à décrire et qui à vrai dire donne envie de le boire. Un des plus grands millésimes de l’histoire du Château !
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