J’ai la chance et le plaisir de connaître Fabien Duperray depuis ses débuts de vigneron beaujolois. C’était en 2009, grâce à l’entremise de Michel Bettane, qui m’avait soufflé son nom : « il y a un fou qui s’est installé à La Chapelle de Guinchay, il reprend les protocoles de Jules Chauvet pour aller encore plus loin, il va faire les plus grands vins du Beaujolais ». La première visite aurait pu durer 30 minutes, vu l’apparente froideur ; elle a duré plus de quatre heures. Et ce ne fut pas la dernière…
Mais avant de signer ses propres cuvées, Fabien Duperray a été – et l’est toujours ! – l’un des plus grands marchands de vins français, épris de crus à la dimension historique, poétique et artistique. Aussi, en côtoyant les meilleurs vignerons bourguignons (Domaines Arnaud Ente, Bernard-Bonin, Pierre Damoy, Perrot-Minot, etc) et aussi les plus prometteurs, en les coachant également, il s’est pris au jeu et a lui aussi voulu se lancer ; mais pas n’importe où ni comment. Originaire de Lyon, où il a commencé comme caviste, il a ensuite rejoint le Beaujolais pour s’établir en Saône-et-Loire, plus précisément à Pontaneveaux, puis Romanèche-Thorins, plus récemment. L’homme s’est alors pris de passion pour les grands vins de la région, qui jadis tenaient la dragée haute aux Grands Crus de la Côte d’Or. Il a alors fait le pari de faire revivre cette légende et de produire les nectars qui l’ont fait rêver, ayant eu la chance de goûter quelques très grands vieux millésimes. Il se lance donc au milieu des années 2000 et signe un premier millésime, 2007, loin d’être facile, avant de suivre une trajectoire qui le portera progressivement vers l’excellence – et bien au-delà. Mais l’homme n’est pas du genre à s’arrêter en si bon chemin et en boulimique qu’il est, il a aussi voulu mettre à profit les connaissances en matière de culture et vinification du chardonnay acquises au contact de son ami Arnaud Ente : il s’est donc associé avec un autre artiste du chardonnay en la personne de Christophe Thibert, vigneron du mâconnais, pour décliner une sacrée collection de vins et terroirs.
De tout cela, il fut donc à nouveau question il y a quelques jours, lors de notre visite annuelle avec Clio Perrin, afin de goûter à la fois les nouveaux millésimes signés Jules Desjourneys ; mais également une armada d’autres grands vins distribués par l’ogre de Romanèche. Voici donc un florilège de mes meilleures notes, sur les 40 vins dégustés ce jour-là. Bon voyage !
Premier travail des sols à la vigne récemment reprise de Grille-Midi, sur Fleurie
Domaine Jules Desjourneys. Bien que le premier millésime en rouge fût 2007 et en blanc 2014, le paradoxe veut que les blancs aient été plus rapides à mettre en place et à positionner à leur meilleur niveau ; mais si ce fût plus long pour les rouges, la dégustation des 2020 que nous venons de réaliser est une véritable claque, qui agit comme un révélateur : nous ne nous rappelons pas avoir déjà vu naître de si grands vins en Beaujolais. Et visiblement nous ne sommes pas les seuls, car Michel Bettane lui-même aurait été époustouflé. Il est par ailleurs possible que William Kelley (Wine Advocate) mette prochainement les plus hautes notes jamais attribuées pour des vins de la région. Nous donnons donc rendez-vous aux membres du Club ce printemps, car nous les proposerons en souscription, ce qui sera une première.
Les blancs :
Mâcon Prissé 2020 : nez rappelant certains rieslings, très fin, s’ouvrant sur la peau de citron, la meringue. Attaque tendre pour un vin fondant, crémeux, de très belle texture, reposant, suave et gourmand, de grande finesse. C’est très bon, très en place, on pense à Puligny à son meilleur. Comme un long fil salivant, il finit sur une salinité digne d’une petite arvine.
Mâcon Verzé 2020 : nez très pur, sans interférence de bois, il s’ouvre lentement. Attaque ciselée, fraîche et fine, puis le vin monte en régime, par pallier, scintillant, avec une salinité exacerbée et des nuances de ziste irrésistibles. C’est déjà très en place et difficile à cracher, vin évident.
Saint-Véran 2020 : grand nez de Meursault Narvaux, ouvert, opulent, très murisaltien donc : il prend très bien l’air et gagne en finesse et en ouverture. Vin sexy, opulent et généreux, de très grande séduction : difficile de ne pas l’aimer, difficile de le cracher. Superbe bouteille !
Pouilly-Vinzelles Les Longeays 2020 : nez suspendu, aérien, qui s’ouvre délicatement sur la meringue citronnée. Bouche grandissime, encore un peu serrée par le gaz carbonique mais le vin possède une race et une énergie folles, la trame est de grande complétude, scintillante. Ça goûte comme un vrai Premier Cru, très belle bouteille, on croque littéralement le calcaire. Coup de coeur.
Pouilly-Fuissé Les Cras 2020 (vinifié en partie en WineGlobe, le solde en fûts d’un vin) : nez électrique, qui sent le calcaire à 20 kms à la ronde et qui précède une bouche vive et arachnéenne, très tendue, possédant beaucoup d’attaches. Vin infiniment juteux, carré, à la finale pleine de saveurs et de profondeur. Un grand meursault Perrières en mâconnais !
Pouilly-Fuissé Vigne blanche 2020 : très aromatique, presque rhodanien, grande séduction en bouche avec une finesse, une douceur et une ampleur finalement bourguignonnes, vin de noble saveur, salivant mais exempt de toute dureté, millimétrique, finement articulé, comme un Chevalier Montrachet : de petites touches de pinceau, c’est subtil, très très bon.
Pouilly-Fuissé « Puits de Lumière » 2020 (nouveau nom car le domaine n’est plus autorisé à revendiquer le cru Ménétrières – élevage 100% Wineglobe) : nez anisé, badiane, secret, qui précède une bouche ample et fine, à la texture extrêmement suave et glissante, le vin est insécable, on ne peut pas analyser le toucher de bouche, il est « un », il y a une forme d’évidence. Allonge juteuse et sans usure, gorgée de saveurs, c’est grand.
Les rouges :
Morgon 2020 (Les Micouds) : nez très noblement confit et caramélisé, mentholé, beaucoup de fruit, menthe poivrée, grand fruit généreux qui s’ouvre sur la liqueur de cerise, beaucoup de séduction. La bouche est sublime, de très grande finesse, avec un fruit exquis, des notes de bonbon à la réglisse, une chair et une intensité de saveurs monumentales, c’est incrachable, déjà grand.
Chénas Jugement Dernier 2020 : le nez est une gourmandise, comme une grande liqueur de fruits, grâce infinie. La bouche attaque avec la même séduction, c’est suave, gorgé de saveurs et de fruits, notes de pot-pourri, agrumes, oxyde de fer typique du cru, le vin est ultra savoureux, d’équilibre souverain, on sent de très bonnes fermentations, on tape déjà très haut dans le vin français.
Moulin-à-vent Le Styx 2020 : nez immense, qui se compare aux plus grand Bourgognes et Barolo, on est sur un nuage de liqueur de fruit, de fleurs, d’encens, c’est difficile à décrire tellement c’est complexe, le vin renvoie un milliard de choses, c’est bouleversant. Attaque de très grande intensité, le vin possède un grip immédiat, il est accroché au palais, on goûte autant le granite que le raisin, on pense au Barolo Monvigliero du domaine Burlotto ou à une parfaite alliance du Rhône et de la Bourgogne. C’est magnifique !
Fleurie La Chapelle des Bois 2020 : griotte épicée, décoction de poivre, agrumes, ambre, parfum exotique, vin de grande perspective, évanescent, évoluant sur le laurier et le cade, le genièvre. Bouche infiniment épicée, réglissée, de grande verticalité, à nu mais très touchante dans sa pureté stricte, virile, de grande rectitude, comme un Clos-de-la-Roche sur granite.
Moulin-à-Vent Les Michelons 2020 : nez renversant d’abricot et de mangue, nuances exotiques, fleurs fraîches, grande déclinaison de parfum, c’est génialement décadent, évoluant sur la pastèque, on est très mûr mais pas trop mûr. La bouche se goûte étonnamment plus fraîche que le nez, le vin affiche une sacrée tension, on est en prise directe avec le granite, grand vin de garde. Des amers en final, on est sur des nuances d’oxyde de fer classiques du cru Moulin, c’est crispy de chez crispy.
Moulin-à-vent Chassignol 2020 : sensuel, chocolaté, cerise, sanguin, forme de masculinité, grande dimension épicée derrière, profondeur aromatique abyssale. Sucrosité de l’attaque, mais on retrouve vite la nervosité et la tension du granite, le vin possède une vraie force, c’est la bouche qui fait le plus syrah, la structure est haute et vive, l’arrête nette, c’est puissant, très grande bouteille de garde, comme un Hermitage ou un Chambertin. Une cathédrale.
Les Beaujolais 2020 de Jules Desjourneys : il y aura eu avant, et après…
Domaine Fleurot-Larose. Présent dans le célèbre manga les Gouttes de Dieu, ce domaine est donc connu et révéré jusqu’au Japon, pour ses vins d’un autre temps. Et le temps, ici, joue un rôle capital. Cette propriété familiale a été fondée en 1872 et elle est transmise de père en fils depuis quatre générations à Santenay. La famille Fleurot a acheté le Château du Passetemps, qui l’accueille, en 1912. Cette maison a longtemps appartenu à la Famille Duvault-Blochet et ses caves, parmi les plus belles de Bourgogne, accueillirent jadis le vin de la Romanée-Conti. En plus de détenir deux magnifiques monopoles, le Clos du Passe-Temps à Santenay et le Clos de la Rocquemaure à Chassagne, le domaine est aussi important propriétaire en Bâtard et en Montrachet !
Chassagne-Montrachet 1er Cru Clos de la Rocquemaure 2020 (il se murmure qu’une très célèbre vigneronne-négociante de Bourgogne en achèterait 2 pièces, chaque année) : très beau nez à l’ancienne, fleur de vigne, miel, pollen, très attachant. Attaque opulente et savoureuse, on est sur une vraie personnalité de Chassagne, le vin possède un charme évident, alliant fausse sucrosité et tension, il est évocateur, on ne s’ennuie pas. Le fond de verre est une décoction de fleur de vigne : c’est entêtant, renversant, très étonnant !
Chez Fabien Duperray, l’art est partout
Domaine Pierre Damoy. C’est l’un des domaines les plus prestigieux et les moins banals de la Bourgogne ! Et en plus d’être le plus important propriétaire en Clos de Bèze (plus de 5 hectares !), il possède également une vigne en Chambertin, une très vieille vigne en Chapelle-Chambertin ; et enfin, il a la chance d’exploiter l’un des climats les plus singuliers de Gevrey-Chambertin, le Clos Tamisot, complanté de très vieux plants fins. Si les vins sont ici luxueusement élevés, mais sans caricature ni faute de goût, ils possèdent également un fond qu’il est très rare de rencontrer en Bourgogne et qui en fait de très grands vins de garde. Pour retrouver le goût des Bourgognes d’antan, cette adresse est devenue incontournable. Ah oui, un dernier mot : les vignes sont parmi les mieux tenues de Bourgogne, ceci explique peut-être aussi ce qui va suivre…
Gevrey-Chambertin 2019 : élevage totalement digéré par le vin, magnifique nez d’agrumes, vin transperçant de finesse et de vérité, voluptueux, charnel, on devine des terroirs assemblés et très bien interprétés, c’est une très belle bouteille, qui se goûtera bien longtemps – et sans se fermer.
Gevrey-Chambertin Clos Tamisot 2019 : nez d’agrumes, de ronce, sur le tabac brun, le havane en mode Partagas, goudronné, qui précède une bouche profonde et virile, corsée, bâtie pour la longue garde, rémanente, qui revient par couches, sur des nuances maltées qui rappellent même le cru qui a suivi, le Chambertin.
Chambertin 2019 : nez renversant de liqueur de fruit noirs et rouges, d’une gourmandise insondable, sur la groseille, fantastique d’intensité et de justesse, évolution sur le zan, noblesse difficile à surpasser pour Gevrey. Plus le vin prend l’air, plus il est renversant. Attaque d’une finesse de grain insondable, c’est salin, très mûr et frais, avec une grande allonge réglissée, sur le graphite. C’est un immense vin, pour aujourd’hui et pour demain. La rétro-olfaction est littéralement « à tomber par terre ».
Chambertin Clos de Bèze 2019 : boisé d’une très grande noblesse qui déclenche une vive séduction, nez hyper floral, on est désemparé par tant de noblesse, on navigue entre fruits et fleurs, avec un côté encens. En bouche, c’est d’une grande suavité, riche et charnu, charnel, un vin étourdissant, d’une grâce infinie. Tout le monde va l’aimer, il régate avec les plus grands crus de Vosne !
Domaine Eric Morgat. Il détestera que j’écrive cela mais dans son portfolio, Fabien Duperray a deux chouchous : Arnaud Ente et Eric Morgat. Des artistes du grand blanc, deux jusqu’au-boutistes, esthètes, qui ne reculent devant pour vivre leurs rêves et produire les plus grands vins possibles, n’hésitant pas à bousculer les codes, les us et les coutumes, pour atteindre l’inaccessible étoile, comme chantait le grand Jacques. Eric Morgat est fait de ce bois, sans mauvais jeu de mots. À la manière d’un Christophe Perrot-Minot (autre poulain – ou plutôt pur-sang – de Fabien !), il a fait sa révolution stylistique pour passer du modernisme zélé au plus grand dépouillement possible, flirtant avec la zénitude des plus grands vignerons du monde. Ainsi donc, de cru très mûrs et richement élevés des débuts, on aboutit aujourd’hui à des Savennières élancés, profonds et pointus comme des cathédrales du Grand Ouest. Le vin qui suit en est une parfaite illustration et c’est le plus grand Savennières que nous ayons goûté à ce jour.
Savennières Fidès 2019 : nez résineux, profond, d’une grande intensité, très touchant, austère et émouvant, qui précède une bouche d’une finesse transcendante, gigantesque, à la fois grasse et aérienne, insurpassable de finesse, la texture est magique, c’est celle des plus grands blancs. Tout est enrobé, caché. C’est faramineux. On notera que j’ai regoûté le vin après le monument qui a suivi, et il s’est tout sauf effondré ni dégonflé !
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Domaine Arnaud Ente. On termine par le petit Prince de Meursault, qui n’a plus rien à prouver et pourtant continue d’aller chatouiller les étoiles, par jeu et par plaisir, poussant indéfiniment le curseur de la plus haute qualité possible afin de réinventer l’esthétique des grands vins de Meursault (et Puligny !) ; d’aujourd’hui et de demain. Et ce n’est pas ici que vous allez tomber sur des vins boisés, lactiques et/ou mous. Au contraire ! D’ailleurs il n’y a plus de bois sur les blancs ni sur les rouges. Les vignes sont cultivées comme des jardins, chaque cep est connu, pensé et accompagné. Et cette philosophie s’applique également en cave. Small is really beautiful, small is amazing !
Meursault Les Gouttes d’or 2019 : impossible à décrire, à analyser, tout est dans tout, tout est en place, aucune usure, aucune fatigue, le vin n’est ni chaud, ni froid, il est gras mais rebondissant, oscillant dans tous les recoins de la bouche mais avec une grande douceur, on ressent toutes les saveurs, c’est zen, c’est reposant, c’est une très grande bouteille, hors classe. Peut-être la meilleure que nous ayons goûtée du domaine à ce jour.
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Il était 20 heures, bien temps de rentrer en Suisse. La nuit était dégagée, le ciel d’un noir étincelant, comme dans La Nuit étoilée, de Vincent Van Gogh…
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