Nos liens privilégiés avec le Domaine Leroy et les vins que nous avons achetés en tant qu’importateurs durant de nombreuses années nous ont déjà permis d’organiser au CAVE deux horizontales de rêve : une consacrée au millésime 1993 (partie un et deux), l’autre au millésime 1995. Ce fut donc jeudi dernier au tour du millésime 1996 d’entrer en scène. Une année qui a fait couler beaucoup d’encre, en Bourgogne…
Réputée de grande qualité, elle se caractérise par une récolte assez abondante. Grâce à un climat sec et chaud, la floraison s’est effectuée rapidement début juin. L’été – contrasté – a fait naître quelques craintes quant à l’évolution de la maturation. Heureusement, un mois de septembre exceptionnellement sec et lumineux a permis des vendanges ensoleillées de raisins sains, que la bise a aidé à concentrer en fin de cycle de maturation. Certains vignerons se sont toutefois hâtés pour vendanger légèrement trop tôt des raisins alcooliquement mûrs, mais déficitaires en terme de maturité physiologique et phénolique. Ainsi donc, le grands vins mûrs et frais, profonds, côtoient d’autres cuvées plus maigres et « métalliques », qui ont tendance à tomber avec le temps, voire à s’oxyder prématurément. En blanc peut-être davantage qu’en rouge.
D’après les plus grands spécialistes de la Bourgogne, et à l’instar du millésime 1997, Lalou Bize Leroy est réputée pour être l’une des plus grandes interprètes de cette année moins facile qu’il ne pouvait y paraître sur le papier. Mais l’idéal, pour s’en rendre compte, était encore de goûter une partie de ses vins, ayant passé au moins vingt années sous verre.
Pommard Les Vignots — 1 ha 25 a 99 ca
Premier nez solaire, épicé, sur les fruits rouges compotés, les agrumes, moyennement intense, qui devient légèrement fumé en se réchauffant. Il entre en bouche assez virile, carré, avec une acidité marquée et un végétal un peu rustique propre au millésime. Par son équilibre, il rappelle l’évolution de certains cabernets franc sur calcaire. C’est un vin carré, nerveux, frais dans l’équilibre et la saveur, avec un toucher de bouche qui évoque la craie. Il est pleinement à boire.
Vosne-Romanée Genaivrières — 1 ha 23 a 31 ca
Magnifique nez très floral, épicé, évoluant avec beaucoup de noblesse sur la ronce, le poivron rouge, très intense et très racé pour un Village. Très « Vosne » sur l’attaque avec sa fausse sucrosité et sa souplesse, il développe beaucoup d’ampleur pour son pedigree, ainsi qu’une saveur épicée (thé fumé) de grande classe. On a ici toute l’aristocratie des grands pinots vinifiés en vendange entière, avec un vin long, dense, étonnement salivant. Magnifique à boire aujourd’hui. Coup de coeur.
Savigny Les Beaune 1er Cru Les Narbantons — 81 a 2 ca
Nez épicé et qui dans ses contours rappelle l’aromatique du Pommard, avec néanmoins plus de fruits rouges et d’épices ; mais paraissant moins évolué, plus jeune. Il travaille très bien à l’air et prend des nuances de ronce, de bois de santal : on devine un beau terroir. Attaque soyeuse, puis le vin se retend rapidement et prend un goût de griotte exquis. La texture est à la fois soyeuse et « calcaire », les tanins sont en pointillé. Très beau vin, à son apex, qui appelle une grande volaille.
Nuits-Saint-Georges 1er Cru Aux Vignerondes — 37 a 80 ca
Nez très intense sur la fraise, la violette, les fruits noirs : on devine un terroir très classe, qui rappelle d’ailleurs Vosne dans ses accents séducteurs, avec quelque chose de mystérieux, captivant et insaisissable dans l’aromatique. Bouche magnifique, aussi vineuse que soyeuse, le tanin est présent mais idéalement enrobé, le vin est vivant, insolent de jeunesse, avec un goût de rose et un parfum d’encens que l’on adore dans les grands Bourgogne. Un immense vin, qui rend hommage à un terroir trop peu connu.
Gevrey Chambertin 1er Cru Les Combottes — 46 a 3 ca
Nez un peu en retrait, lent à venir, s’ouvrant progressivement sur la griotte et la prunelle, avec un je-ne-sais-quoi de sauvage. Il évolue très lentement sur la fraise épicée, un peu fauve, un peu secret. La bouche paraît supérieure au nez à ce stade, le vin est jeune, avec un goût acidulé de griotte marquant, comme au nez : on devine un raisin croquant. Un cru de finesse et de souplesse. Mais la vinosité n’est pas la même que sur Vignerondes, elle est moins marquée, plus suggérée.
Corton-Renardes Grand Cru — 50 a 14 ca
Robe très légère. Nez suprêmement élégant, qui rappelle certains barolo de terroirs calcaires du sud de l’appellation, avec son végétal noble et réglissé, mentholé et ses nuances de racine de gentiane confite. Bouche à l’avenant, très fine mais pas maigre, dynamique, mûre, pas débordée par son acidité, à la fois nerveuse et suave. Un grand vin « scintillant », complexe, qui possède de la réserve sur l’allonge : il est certes encore jeune mais déjà très beau.
Clos de la Roche Grand Cru — 66 a 50 ca
Nez brouillé, sur livèche, dû à un dépôt important au fond de bouteille. Une fois affiné et le verre transvasé, on a beaucoup de densité aromatique, des notes de burlat, réglisse, quinquina, beaucoup d’intensité. Bouche hyper charnue et soyeuse sur l’attaque, pleine de vin, moins fine mais plus ronde que la réputation du cru. Il vibre et présente un caractère tactile hédoniste qui le rend difficile à cracher, le plaisir de grumer est grand. Vin intense et harmonieux jusqu’à la finale.
Romanée-Saint-Vivant Grand Cru — 99 a 29 ca
Le domaine a la chance de posséder quasiment un hectare de ce très grand cru et c’est heureux pour ce climat d’être mis en avant par un tel interprète, car le présent vin possède « tout le génie du lieu », à savoir un nez d’une délicatesse et complexité folle, insécable, qu’il convient de ne pas simplifier en ne le décrivant qu’avec quelques succincts arômes. Disons seulement que la composante florale est dominante et touchante. La bouche est du même acabit et émeut par son intensité, la finesse de ses composantes mais sans jamais se départir d’une très forte personnalité. Marie-Thérèse Chappaz, présente ce soir-là parmi les dégustateurs, dira de ce vin qu’il possède « la présence d’une véritable personne ». Avec le « petit coup de griffe typique du cru en finale », ajoutera un très fin connaisseur. Tout simplement immense. Et éternel.
A l’issue de cette magnifique horizontale, deux évidences apparaissent :
Tout d’abord, il est bon de redire, en empruntant les mots de Michel Bettane que « le Domaine Leroy rappelle à tous la marge existante entre le très bon et le très grand, c’est un sommet absolu de la Bourgogne ». Et il faut le boire pour le croire. Car même après vingt quatre heures d’aération et des fonds de bouteilles en large vidange, les vins paraissaient comme inoxydables, affichant une plénitude de texture et densité d’expression unique, qui force le respect et fait même réfléchir.
Ensuite, en dégustant ces véritables essences de terroirs, nous comprenons encore mieux la pertinence de l’inscription en 2015 des climats de Côte d’Or au Patrimoine mondial par l’UNESCO. Car il émane des plus grands vins dégustés ce soir-là une immense personnalité, bouleversante, qui rend hommage au domaine qui les a produits autant qu’aux moines qui jadis classèrent et délimitèrent ces climats. Plus que jamais, il faut préserver ces lieux chargés d’histoire, qui permettent d’enfanter de si beaux vins, capables de nous toucher au plus profond. L’immatériel devient alors presque palpable.
Pour mieux connaître le domaine et la trajectoire quasi romanesque de Lalou Bize-Leroy, nous vous conseillons de revoir les entretiens réalisés par Thierry Desseauve ici, là et encore là. On peut aussi relire son interview dans Terre de Vins.
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