Benoît Dorsaz est un homme discret. Mais discret ne veut pas dire effacé ni dépourvu de caractère. Et du caractère il en faut, pour produire des vins à la hauteur de la classe des grands terroirs valaisans.
Issu d’une famille vigneronne, il a grandi parmi les ceps de vignes. En décembre 1986, il hérite d’une parcelle de chasselas. Dès lors, il loue les vignes de sa famille et entreprend le réencépagement du vignoble, puis la rénovation et l’agrandissement de la cave paternelle. Une quinzaine d’années sont nécessaires pour permettre l’accès à toutes les vignes en tracteur chenillard ; le but étant de pouvoir désherber non pas chimiquement mais mécaniquement, ce qui est rare sur des terroirs aussi pentus et difficiles. Dans le vignoble, les finitions se font toujours à la main et chaque parcelle est suivie avec attention. Conscient que « son passage n’est qu’un souffle à l’échelle de la Terre » selon ses mots, Benoît Dorsaz adopte des méthodes de culture respectueuses de l’environnement et milite pour une viticulture intégrée, humaine et réaliste.
Dans sa large gamme, la syrah occupe une place de choix. La version Quintessence, qui fut le sujet principal de notre dégustation, est issue uniquement de sélections massales, dont certaines sont même de la serine pointue, en provenance directe de prestigieux vignobles des Côtes Rôties (domaines Bernard Gripa et René Rostaing). Ces plants sont cultivés sur le très beau terroir des Perches (gneiss avec moraines légèrement calcaires). En cave, Benoît procède à des macérations préfermentaires à froid sous glace carbonique ainsi qu’à des remontages. Au total les macérations et fermentations (si possible sous levures indigènes) durent en moyenne trois semaines. Ensuite les vins sont écoulés en pièces bourguignonnes pour leur fermentation malolactique puis leur élevage. Après 12 mois, les pièces sont assemblées et finissent leur maturation en cuve d’assemblage, pendant encore environ 6 mois.
Le décor planté, il ne restait plus qu’à se pencher sur la dernière décennie de production de ce vin. Et ce fut fait dans l’ordre suivant !
Syrah de Fully fût de chêne 1992 (4è feuille, vigne plantée en 1989) : Nez fruité-épicé, doux, précédant une bouche aux tanins fins, à la trame effilée mais qui tient. Vin de demi-corps, souple, pas très profond mais exempt de tout signe de fatigue. A point.
Syrah de Fully (cuve) 1993 : Plus bouqueté, plus plein, plus rond, belle évolution sur le tabac et poivre fin. Texture veloutée, vin plein, suave, rond, très élégant dans la trame, jeune, soyeux, très agréable. Bien du plaisir, malgré une acidité très légèrement saillante qui est une des marques du millésime.
Syrah de Fully (cuve) 1996 : Très rond, presque jeune et facile, il est tout sauf acide et maigre, ce qui est plutôt rare dans le cadre de ce millésime. C’est une belle bouteille, aux tanins légèrement marqués et appuyés mais sans évolution déclinante. Une bonne surprise.
Syrah de Fully Quintessence 2003 : Assez évolué au niveau aromatique, sur les épices douces, le tabac, le fumé. Bouche texturée, relativement fraîche pour le millésime, riche mais sans alcool débordant, construite sur de bons tanins ni verts ni cuits. Une autre belle bouteille, sur son plateau de maturité, et qui devrait continuer de bien vieillir.
Syrah de Fully Quintessence 2007 (année d’oïdium, mildiou, qualité sanitaire compliquée, difficile à vendanger) : Plus réducteur (grillé, cassis), il offre nez un peu simple. Bouche à l’avenant, mais le vin n’est pas mauvais, loin de là. Il paraît juste limité dans les tanins et la texture, avec un développement à peine végétal et une acidité marquée en finale.
Syrah de Fully Quintessence 2005 : Nez un peu en dedans, qui a besoin de s’ébrouer. Il s’ouvre sur les fruits noirs, le goudron, les épices. Vin jeune et possédant à la fois beaucoup de tanins et d’acidité. Avec son côté fougueux, il a encore besoin de se fondre, mais l’ensemble est sérieux.
Syrah de Fully Quintessence 2009 : Nez assez « lisse » (dans le meilleur sens du terme), enrobé, à peine lactique, précédant une bouche jeune (une constante sur la verticale), suave, très enrobée, soyeuse, riche mais harmonieuse. Un vrai bel équilibre solaire. C’est très bon ! Sans doute une des meilleurs syrah du valais dans le millésime.
Syrah de Fully Quintessence 1997 : Nez élégant, ouvert, sur le cade, poivre vert, créosote, graphite. Bouche fuselée, acidulée, vive, fraîche, avec beaucoup de dynamisme. Peut-être plus précis que le 1996, il paraît également un peu moins mûr. Mais il demeure un beau vin.
Syrah de Fully Quintessence 2004 : Il n’est que délicatesse et finesse et offre un toucher ultra soyeux. Apparemment peu extrait, c’est un vin très détendu dans la trame, qui offre la plus belle texture de la soirée à ce stade. Dur à cracher, dépouillé, on a ici les préludes du grand style. Il rappellerait presque la Geynale 2004 du grand Robert Michel.
Syrah de Fully Quintessence 2006 (année chaude mais arrosé en fin de cycle) : Un peu lactique, avec un côté infusé mais fragile et des notes de « raisins tapés » (François Mitjavile ©), il offre une texture souple et un corps simple et tendre. C’est un vin charmant, bon, rond, manquant un peu de nerf mais qui offre un vrai plaisir de boire.
Syrah de Fully fût de chêne 1995 : Nez puissant, fumé, très syrah. Attaque carrée, tannique, extraite, avec une sensation d’acidité accentuée qui rappelle 2005. Un vin volontaire mais pas raffiné, qui finit un peu sec et abrupt. Benoît confie, à l’instar de certains collègues cette année là, avoir beaucoup extrait afin de tenter de faire un gros vin après des 1994 difficiles et minces. Une erreur de jeunesse, plus que pardonnable !
Syrah de Fully Quintessence 2001 : Nez fin, élégant, déployé, comme la bouche, élancée et longue, avec une allonge fraîche qui ne manque pas de vinosité. Une bien belle bouteille, qui rejoint les Syrah de Claudy Clavien et Simon Maye au panthéon du millésime !
Syrah de Fully Quintessence 2010 : Nez fumé, enrobé, vaporeux, avec de la personnalité et presque un côté « soyeux ». Vin élégant, possédant une belle « fausse sucrosité » et en même temps beaucoup de vivacité, très jeune, ramassé, à l’énergie encore contenue. Une sorte de 2001 en plus abouti. Très prometteur.
Syrah de Fully Quintessence 2011 : Rond, solaire et doux, c’est un vin moins vertical que 2010, plus facile d’accès et souple, confortable, très conforme à son millésime. Ce que l’on peut difficilement lui reprocher !
Syrah de Fully Quintessence 2008 : Nez explosif, avec une transparence sensationnelle dans l’expression de toutes les composantes du vin (cépage, terroir, millésime). Un cru léger mais dense, très fin, subtil et long, difficile à cracher, de grande évidence. Une superbe bouteille et un grand coup de coeur !
Syrah de Fully Quintessence 2012 : Encore un peu d’élevage (léger réduit de bois à ce stade) mais derrière on devine un jus d’une grande pureté, avec beaucoup de chair (peut-être encore plus que 2008), de gourmandise. Il ressemble quasiment aux meilleurs aux pinots de cette année là, avec sa vibration, son évidence et son toucher. Il a tout ! Heureux seront les possesseurs de magnums.
Un immense merci à Benoît Dorsaz pour cette remarquable verticale, qui rend hommage à la conception humble mais engagée qu’il a de son métier.
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