A l’époque des vins dits de terroir et des abus de langage récurrents quant à la présupposée minéralité, j’ai dernièrement eu le plaisir d’animer au CAVE une dégustation à l’aveugle de différentes expressions de terroirs granitiques. Le but étant « d’oublier » les cépages et appellations pour se concentrer sur l’expression du lieu.
Terroirs pauvres et acides sur lesquels la vigne souffre naturellement, il semble que les granites soient enclins à donner des vins à forte personnalité, permettant au vigneron d’aller chercher de grandes maturités et concentrations, mais sans perdre équilibre ni fraîcheur, avec une véritable et notable singularité d’expression. Mais avant de se pencher sur celle-ci, posons quelques bases afin de comprendre ces sols et leur formation.
Le granite est une roche plutonique à texture grenue, à l’origine de son nom dérivé du latin granum. Il est le résultat du refroidissement lent, en profondeur, de grandes masses de magma intrusif qui formeront le plus souvent des plutons, ces derniers affleurant en surface grâce au jeu de l’érosion qui a décapé les roches sous-jacentes. Ces magmas acides sont essentiellement le résultat de la fusion partielle de la croûte terrestre continentale. Leurs minéraux constitutifs sont principalement le quartz, les micas noirs (ou biotite) et/ou blancs (ou muscovite), les feldspaths potassiques et les plagioclases. Une fois formés, ils ne demeurent pas immuables et, de leur altération, va découler une possibilité de viticulture : le sol devient alors « exprimable ».
L’altération du granite débute généralement le long de diaclases, c’est-à-dire des fissures plus ou moins larges. Elle conduit, en climat tempéré, à la formation de boules de granites puis d’un chaos granitique au pied duquel on observe une arène granitique. Les principaux agents d’altération sont l’eau (qui agit par hydratation et par hydrolyse) et les végétaux, qui ont pu s’implanter à la surface du massif (action des racines dans les diaclases et action des molécules organiques issues de la décomposition de ces végétaux). Et c’est bien entendu dans ces granites plus ou moins altérés que les vignes des vignobles granitiques prennent pied.
Le décor planté, il ne restait donc plus qu’à passer à la dégustation, par séries, à l’aveugle, et dans cet ordre.
Fendant, Président Troillet, Marie-Thérèse Chappaz 2012 (Valais) : premier nez très pomme-poire, fin, délicat, avec une évolution sur le ferment et le Saké typique des vinifications de chasselas. Ensemble discret et retenu, qui contraste avec une bouche assez tendre, subtile et fondante. Développement solaire à l’aération, avec une allonge à la fois sudiste (terroir chaud des Claives) et ferme (impact du granite et de la jeunesse du vin). Il est fort possible que le terroir s’affirme davantage à la garde et que le vin gagne encore en expression.
Muscadet S&M, Granit de Château Thébaud, Jérémie Huchet 2005 (Pays Nantais) : dans ce millésime chaud, où le vigneron a souhaité aller jusqu’au bout de la maturité de ses raisins, ce vin élevé quatre ans en cuves souterraines s’ouvrent sur des notes d’autolyse (grillé) typiques des élevages longs sur lies, puis évolue sur des nuances « minérales », mais aussi de fenouil, de fumé, avec un caractère pétrolé et de coquille d’huitre. La bouche est riche, enveloppée, mais se tend et s’allonge sapide et harmonieuse sur la finale, avec une fraîcheur impressionnante compte tenu de la haute maturité. On imagine être complètement dans l’expression du terroir.
Pouilly-Fuissé, Pierrefolle, Château des Rontets 2011 (Mâconnais) : issu d’un millésime compliqué en Bourgogne, y compris dans le Mâconnais, cette cuvée de chardonnay sur limons recouvrant une roche mère granitique (très rare dans la région) s’ouvre sur des nuances discrètes d’élevage ; mais c’est surtout en bouche que le terroir apparaît, avec une texture enrobée, civilisée, une ampleur étonnante et des amers très nobles, qui apparaissent en milieu de bouche étirent le vin vers une finale extrêmement salivante. Une léger grillé marque l’allonge, mais c’est un très beau vin pour le millésime. Bravo.
Vin de Pays des Coteaux des Fenouillèdes, Le Soula blanc, Le Soula 2010 (Roussillon) : notes de châtaigne, de fumé (encore une fois !), ouverture aromatique sur les fruits exotiques, l’ananas, avec un côté solaire mais juteux et frais, classique des meilleurs blancs granitiques. Attaque tendre et fondante, avec beaucoup de parfum (violette, abricot) en bouche, qui plus est pour un blanc du sud (impact de l’altitude et du millésime) ; allonge solaire mais sans excès, avec un excellent élevage précis qui anoblit le vin. Une bouteille très aboutie.
Condrieu, Les Chaillées de l’Enfer, Georges Vernay 2010 (Rhône nord) : sublime nez de fleur d’oranger et seringat, qui fait oublier le cépage et l’abricot facile. Attaque ciselée, saveur acidulée délicieuse, goût de pamplemousse et d’agrumes, subtilité du toucher de bouche et caractère granitique exacerbé. Du grand vin fin !
Pinot noir, F, Beck-Hartweg 2011 (Alsace) : ravissant nez de rose, de guimauve et de fleurs séchées, avec un côté « nature » et authentique touchant mais sans déviance, à la Chauvet, archétype du bouquet floral. Léger gaz carbonique sur l’attaque, goût de jus de groseille fidèle au terroir, vin nerveux, pointu, ultra frais et salivant, délicieux. Il possède presque une bouche de vin blanc et mériterait même d’être goûté en verre noir !
D.O. Casablanca-Chile, Pinot noir, Montsecano 2012 (Chili) : nez quasi beaujolais, qui a fait tromper les dégustateurs à l’aveugle (ils ont tous dit gamay, mais ils reconnaissaient en fait le granite !), avec des accents de fruits rouges sucrés, de fruits exotiques, d’agrumes, d’abricot mûr. Attaque sur un léger gaz carbonique, incroyable rétro-olfaction de fleurs séchées, d’iris, de pot pourri, de poivre, qui rappelle de grands moulin-à-vent d’année d’années solaires : expression maximale du lieu et coup de cœur. Un vin d’artiste, qui justifie son titre de meilleur pinot du chili. Et l’on notera que la seconde cuvée du domaine, le Refugio, est également digne d’intérêt, dans un registre plus immédiat, encore plus floral mais avec moins d’épices. Un pur délice.
Fleurie, Clos de la Roilette, Domaine Coudert 2009 (Beaujolais) : nez solaire de tabac brun, de Suze (vendange entière), d’abricot, d’épices nobles, jeune, précis et droit, avec la profondeur aromatique des grands terroirs. Bouche cohérente et dans la continuité, avec un goût de fruits mûrs, d’épices, de rose séchée tirant sur du végétal noble et lui donnant ce côté androgyne propre au cru. Vin franc, de très bonne allonge, plus Moulin-à-vent que Fleurie dans ce millésime, au potentiel de garde non négligeable. Un très beau gamay de granite.
Gamay de Fully, Vieilles Vignes, Christophe Abbet 2009 (Valais) : explosion d’arômes de kirsch, de lavande, d’abricot, de romarin, de thym, de fruits sucrés, qui a fait pencher certains dégustateurs pointus vers l’idée d’une syrah de granite ! Evolution sur les agrumes, le pomelo, qui exacerbe le côté granitique du vin. Tanin ferme, avec une côté solaire notoire, une amertume noble relativement marquée. Vin très puissant pour un gamay, fidèle à son terroir et millésime, qui rappelle certains beaujolais 2003.
Bramaterra, I Porfidi, Tenute Sella 2007 (Piémont) : nez original et singulier de grenadine, de menthe poivrée, de sarment brûlé, de cerises à l’eau-de-vie, tirant sur la confiture de framboise et le végétal du cépage. On retrouve cette « végétalité » noble en bouche, avec un côté tannique et droit, nerveux, et ce goût d’oxyde de fer typique de nombreux vins de la région. Racé mais plus serré que d’ordinaire, il mérite un peu de garde.
Saint-Joseph, Domaine Chave 2007 (Rhône nord) : bouquet profond et affirmé de poivre noir, de graphite, d’olive noire, d’encens, de réglisse et de mélasse, avec un élevage grillé en soutien mais qui demeure discret : grande densité et épaisseur aromatique. Attaque ferme, « masculine », saveur d’orange sanguine, vin très profond, dense, doté d’une vraie réserve de puissance et possédant l’éclat des grands vin de terroir et de garde.
Syrah, Ergo Sum, Domaine Beechworth 2010 (Australie) : ce vin produit par Michel Chapoutier en Australie offre un premier nez de boisé-grillé présent, tirant sur un léger caramel et des nuances de tomate séchée ; la bouche poursuit dans ce registre, avec un côté quasi métallique que l’on pourrait pour une fois presque attribuer davantage au terroir qu’à un éventuel défaut. Son austérité et acidité marquée fait penser qu’il a sans doute besoin de vieillir. Une vision plus extrême de la syrah de granite, moins nuancée, par ailleurs.
Vin de France, Ministre Imperial, Domaine Comte Abbatucci 2012 (Corse) : le vin de la dégustation, et une révélation pour beaucoup ce soir là ! Nez explosif de fruits rouges, de grenadine, de griotte, de liqueur d’orange, de pamplemousse rose, de fruits sucrés, à l’éclat aromatique hors du commun. Bouche acidulée, aux tanins subtils, éclaboussante de fraîcheur, sanguine, sapide, incroyablement goûteuse, qui rappelle à la fois certains grands pinots noirs de Bourgogne, mais aussi quelques grands rouges de l’Etna. Grand vin incrâchable.
D.O. Madrid, Las Umbrias, Comando G 2010 (Madrid) : ce grenache d’altitude (comprise entre 850 et 1150 mètres !) offre un premier nez de café froid, de moka, de tabac brun, s’ouvrant sur la rose, avec du végétal noble (grappe entière), légèrement mat mais laissant entrevoir une vraie race et personnalité. Attaque ferme, tirant sur du végétal de vendange entière, pour ce vin à la trame sérieuse et au « goût de brûlé » noble. Un cru jeune, de gros potentiel, qui exsude son terroir extrême. A noter qu’une bonne partie de la gamme du domaine sera disponible dès cet automne CAVE. Ne la manquez pas, car ces vins vont en étonner plus d’un !
Cannonau di Sardegna, Mamuthone, Sedilesu 2011 (Sardaigne) : nous terminons par le vin le plus riche, sudiste et solaire de la dégustation, issu lui aussi de grenache et d’un terroir haut en altitude, chaud, sec et venté : nez explosif de kirsch, de mangue, de fruits rouges gratinés, avec des accents de ciste et de romarin ; la bouche transpire le sud et livre une version du cépage très mûr mais également fortement ancré dans son terroir, avec un goût d’herbes aromatiques fraîches qui n’est pas sans évoquer l’île qui l’a vu naître.
2 Comments
Cela fait de quoi se régaler, Chez Vernay, chez Grillet aussi.
Du très bon et plutôt inédit en effet en grenache fin et frais de Madrid chez Comando G (Rumbo al Norte 2010 est magnifique également) et aussi en Mentrida (Ataulfos, du même Jimenez Landi). Montrant que tout n’est pas perdu pour les rouges espagnols 🙂
Le I Porfidi 2007 que tu nous avais fait goûté était très élégant en effet, « rayassien » (sables porphyriques d’origine volcanique).
Il est bon que de plus en plus de gens commencent à comprendre profondément la Sardaigne. 🙂